Jan Masaryk : le ministre entendu se disputer la veille de sa mort, selon des documents d’archives
De nouveaux documents relatifs à la mort de l’ancien ministre des Affaires étrangères tchécoslovaque Jan Masaryk ont été fournis par la France, les États-Unis et le Royaume-Uni à la Tchéquie. L’étude de ces archives inédites pourrait permettre d’en savoir plus sur les causes exactes du décès du diplomate, jamais élucidées.
Le mystère autour de la mort de l’ancien ministre des Affaires étrangères Jan Masaryk est-il sur le point d’être percé ? Il est encore trop tôt pour le dire, mais de nouveaux éléments pourraient permettre d’y voir plus clair.
Il y a quelques mois, en effet, le ministère des Affaires étrangères tchèque, à la demande de l’historien et président de la commission parlementaire en matière de sécurité, Pavel Žaček, a accepté de se tourner vers l’étranger pour tenter de trouver le fin mot de l’histoire.
La France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont ainsi été sollicités pour retrouver dans leurs archives diplomatiques respectives tout document relatif à la mort de l’ancien chef de la diplomatie, disparu dans des circonstances obscures le 10 mars 1948. Ce jour-là, le corps du ministre était, en effet, découvert inerte dans la cour du palais Černín, le siège du ministère des Affaires étrangères à Prague, en contrebas de la fenêtre de sa salle de bain. Si la piste de l’assassinat est aujourd’hui privilégiée, l’hypothèse d’un suicide ou d’un accident n’ont pu jusqu’à présent être complètement écartées.
« Nerveux, pâle et tremblant »
La découverte de nouveaux documents dans les archives étrangères, actuellement à l’étude au ministère des Affaires étrangères, a relancé l’intérêt pour cette affaire jamais élucidée. Journaliste pour le serveur Aktuálně.cz, Jan Horák est l’un des rares à avoir eu accès à ces sources inédites. Au micro de la radio tchèque, il révèle certains des éléments-clefs que renferment ces documents :
« Pour la personne qui m’a permis d’accéder aux archives et moi-même, le témoignage le plus intéressant provient d’une dépêche d’un membre du renseignement militaire américain, qui était en poste à Prague [...]. La dépêche repose sur le témoignage, recueilli par une source de cet officier qui se serait entretenue avec Bohumil Příhoda [ndlr : le majordome de Jan Masaryk]. Ce dernier lui a dit que la veille de la mort de Jan Masaryk, vers 21h10, trois hommes se sont présentés à Masaryk et se sont fortement disputés avec lui. Parmi les propos échangés, Příhoda dit avoir entendu Masaryk crier à plusieurs reprises : ‘Je ne signerai pas cela pour vous. Demandez-moi tout ce que vous voulez, mais pas cela. Jamais je n’y consentirai de mon vivant.’ »
S’il est authentifié, ce nouveau témoignage pourrait être un tournant majeur dans l’enquête sur la mort de Jan Masaryk, puisque dans le rapport dressé par les autorités tchécoslovaques de l’époque le majordome tenait un tout autre discours. Bohumil Příhoda y est cité expliquant avoir vu Masaryk pour la dernière fois vers 21h30 pour lui servir de l’eau et de la bière - alors qu’il l’aurait revu aux alentours de minuit - et certifiait que personne ne lui avait rendu visite ce soir-là.
Le témoignage de Příhoda soulève néanmoins plus de questions qu’il n’apporte de réponses, à commencer par l’identité des trois hommes mentionnés. S’il est pour l’instant difficile de s’avancer avec certitude à ce sujet, quelques indices peuvent malgré tout être déduits des propos rapportés, selon Jan Horák :
« Leur identité, leur nom et leur nationalité ne sont pas mentionnés. Cependant, le fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères qui a vu les documents et avec qui j’ai discuté, m’a exposé la thèse suivante : puisque Masaryk était censé leur crier dessus en tchèque, il devait y avoir au moins un Tchèque parmi eux. De plus, Příhoda a apporté du café aux trois hommes. Il les a vus et a dit à la source des renseignements américains qu’il ne les connaissait pas. Dès lors, s’ils étaient tchèques, ils n’appartenaient de toute évidence pas au cercle de Jan Masaryk ou du ministère des Affaires étrangères. »
Quant à savoir quel document Masaryk refusait de signer, le mystère demeure. Jan Horák explique :
« Là encore, ce ne sont que des suppositions. Les dépêches et les documents n’indiquent pas de quoi il s’agit, mais le fonctionnaire en poste actuellement au palais Černín suppose qu’il pouvait s’agir d’une demande d’adhésion au Parti communiste tchécoslovaque. »
Demande d’adhésion au Parti communiste ou non, selon la dépêche américaine, ce sont bien les échanges enflammés entre le ministre et les trois hommes autour de ce document qui ont réveillé vers 22 heures le majordome qui vivait à l’étage au-dessus des appartements de Jan Masaryk. Příhoda a précisé par ailleurs être descendu peu avant minuit servir un dernier café au chef de la diplomatie. Masaryk lui avait alors semblé « nerveux, pâle et tremblant ». Quelques heures plus tard, Masaryk rendait son dernier souffle.
Les révélations ne s’arrêtent pas là. D’autres archives, anglaises elles, évoquent la thèse d’un empoisonnement. Dans une note, rédigée quelques semaines après la mort du ministre, les services secrets britanniques avancent, en s’appuyant sur le témoignage d’un membre des forces de sécurité tchécoslovaques nommé Diviš qui était en contact avec le médecin légiste ayant examiné le corps du ministre, que Masaryk aurait reçu une dose de cyanure avant d’être finalement défenestré. Une nouvelle hypothèse qui vient s’ajouter aux nombreuses autres.
Suicide, meurtre ou simple accident - le doute demeure
Fils du premier président tchécoslovaque, Tomáš Garrigue Masaryk, Jan est un diplomate de carrière. Ministre des Affaires étrangères du gouvernement en exil durant la Seconde Guerre mondiale, il conserve la charge après la guerre et son retour à Prague. Sa mort, en 1948, intervient à un tournant majeur de l’histoire tchécoslovaque. Quelques semaines plus tôt, en février, les communistes s’emparent du pouvoir par un coup d’État. Les ministres démocrates, qui refusent de servir sous un gouvernement communiste, décident alors de remettre leur démission, mais Masaryk ne les suit pas et s’attire les foudres de ses anciens collègues.
Les archives inédites actuellement à l’étude révèlent cependant que le ministre envisageait de quitter la Tchécoslovaquie à court terme et à l’insu du nouveau régime, qui aurait finalement eu vent de ses projets. Le régime inféodé à Moscou avait-il alors voulu l’en empêcher ?
Soixante-seize ans après les faits, la mort de Jan Masaryk reste toujours un mystère. Initialement présenté comme un suicide, avant même les résultats de l’autopsie, le décès du ministre a fait l’objet d’enquêtes successives qui n’ont pu éclaircir complètement les circonstances de la défenestration. En 1969, les enquêteurs penchaient encore en faveur d’un suicide ou d’un simple accident alors que Masaryk fumait une cigarette sur le rebord de sa fenêtre. Ce n’est qu’à partir de 2003, et a fortiori de 2016, que l’hypothèse d’un meurtre a commencé à être privilégiée par rapport aux autres alternatives.
Outre les archives occidentales, les archives russes pourraient évidemment être d’une grande utilité pour élucider l’affaire. Mais, jusqu’à présent, la Russie a toujours refusé de répondre favorablement aux requêtes qui lui avaient été adressées en ce sens par les autorités tchèques. Pour ce qui est des archives inédites issues des missions diplomatiques française, britannique et américaine, elles pourraient, selon Jan Horák, être ouvertes au public d’ici l’automne.