Eva Cendors : « Sur les planches, on a peur de s’exposer et on adore ça en même temps »

Eva Cendors, photo: Site officiel d'Eva Cendors

Dans notre rubrique culturelle de cette semaine, rencontre avec Eva Cendors, une comédienne et musicienne tchèque installée en France depuis plusieurs années déjà. Au micro de Radio Prague, elle a évoqué son parcours, la découverte du théâtre à la faveur d’un séjour en France, et sa passion nouvelle pour la musique.

Eva Cendors, bonjour. Vous êtes une artiste multi-facettes, je crois qu’on peut le dire comme ça… Chanteuse, musicienne, vous êtes aussi actrice et notons que nous sommes presque collègues puisque vous avez travaillé aussi pour la radio en France et que vous faites souvent des voix off… Mais commençons par le commencement, vous êtes d’origine tchèque, installée en France depuis plusieurs années, rappelez-nous votre parcours depuis la République tchèque, jusque dans l’Hexagone…

Eva Cendors,  photo: Site officiel d'Eva Cendors
« Cela remonte à bien loin. J’avais 14 ans et pour entrer au lycée, il y avait un concours assez difficile et sélectif. Il y avait une classe avec l’allemand et l’anglais, et une autre avec l’allemand et le français. J’ai demandé en premier vœu, l’allemand et l’anglais parce que l’anglais est international. Et ensuite, j’ai mis entre parenthèses, éventuellement, la classe d’allemand et français en me disant que si la première était pleine, j’irai dans la seconde. Effectivement, c’est comme ça que ça s’est terminé et je me suis retrouvée dans la classe de français. J’ai eu une prof extraordinaire et j’ai adoré la langue. J’ai donc continué à étudier le français à l’Université Charles à Prague. Forcément, à partir de mes 18 ans, j’ai fait des voyages en France, des échanges… Puis, à 20 ans, je me suis retrouvée dans la campagne française, dans l’Allier, où j’ai suivi une formation alternative, qui liait l’artistique et le pédagogique Steiner, le fondateur de l’anthroposophie. On a eu la chance de découvrir, comme c’est le cas dans l’éducation Steiner, de découvrir l’aspect créatif et artistique. A 20 ans, je me suis donc retrouvée à faire du théâtre en français. »

Vous vous êtes retrouvée plongée dans le bain, d’un coup. Vous n’aviez jamais fait de théâtre auparavant ?

« Même pas ! A l’intérieur de moi il y avait toujours une envie dans ce sens. J’adorais apprendre des poèmes par cœur, m’enivrer des sonorités des mots, j’étais un peu jalouse des artistes, je les regardais avec admiration… Mais en même temps, c’était tellement loin de ma vie ! Je viens d’une famille d’ingénieurs et pour mes parents, l’art, tant que j’étais petite ça allait, tant que ça restait des hobbys. Après, il fallait penser à quelque chose de sérieux. Donc, à 20 ans, je me retrouve dans cette formation où j’ai fait du théâtre. Au départ, j’étais extrêmement timide. La première pièce était une tragédie de Racine où je faisais partie du chœur. Comme j’étais très grande, j’étais placée derrière et je pouvais rester cachée ! Néanmoins, j’ai fait des progrès et je me suis retrouvée sur scène avec une comédie de Coline Serreau et j’ai eu le rôle principal. »

Etait-ce une révélation de se retrouver sur les planches et de jouer ?

« Ah oui ! C’était tellement agréable, tellement jouissif. On a peur de s’exposer, mais on adore en même temps ! »

Vous êtes ensuite restée en France ?

« Non, je suis repartie en Tchéquie au bout d’un an. Mais par contre je me suis dit que les études universitaires ne me satisfaisaient plus. Du coup, j’ai commencé à regarder du côté de la DAMU, l’école de théâtre de Prague. Par un coup de chance incroyable, ils ouvraient un nouveau département de théâtre anthropologique. C’est un théâtre un peu différent, très basé sur l’expression corporelle. Comme c’était la première année, un peu chaotique, j’ai été prise. Ils ont vraiment vu mon enthousiasme et je me suis retrouvée à faire du théâtre à temps plein. J’ai commencé à beaucoup voyager : je suis allée au Monténégro pour des projets, je suis partie en Suisse, en Italie, aux Etats-Unis… »

Vous avez la bougeotte…

« Oui, même si avec l’âge on se calme quand même un peu. C’est vrai que j’avais besoin de découvrir le monde, de me découvrir moi-même. C’est un apprentissage extraordinaire de pouvoir explorer différents pays, différents projets… Ma vingtaine, ça a été vraiment l’exploration des possibilités et des limites. Tout cela s’est arrêté en 2002, en France. C’était en Haute-Savoie, à Annemasse, avec Genève à côté, où j’ai été embauchée comme prof de technique de geste et de mouvement au Conservatoire. »

Encore une corde à votre arc que j’avais oubliée. C’est un besoin pour vous, de vous renouveler tout le temps dans différents domaines ?

« Je dirais qu’à la base, c’est un besoin vital de survie. On se retrouve à l’étranger et il faut très rapidement se mettre à gagner sa vie. On m’a proposé cette chance de montrer à Genève ce que je faisais. Je suis donc devenue enseignante un peu par la force des choses. Ensuite, je me suis dirigée davantage vers le jeu d’acteur et la comédie. En tant qu’artiste, il y a malheureusement des moments de creux et de vide. Pour des gens hyperactifs comme je le suis probablement, c’est dur. Du coup, je me suis demandée ce que je pouvais faire. Quelqu’un m’a dit de faire de la chanson ! Je ne savais pas si j’en serai capable. Finalement, je me suis enfermée dans ma chambre et je me suis dit : si en deux heures, je suis capable de faire une chanson, alors je ferai de la musique. Et j’ai écrit une chanson ! En un an j’en ai écrit une trentaine, j’ai commencé à les montrer à mes amis à Paris. Ils ont bien aimé, m’ont donc soutenue, et m’ont enregistrée. J’ai commencé à faire de la scène et ça a été remarqué. »

Quelles sont les choses qui vous inspirent dans vos compositions ? Je crois savoir que vous écrivez aussi en français, c’est donc un rapport à la langue différent que celui que l’on a avec sa langue maternelle…

« Quand j’ai commencé à écrire, c’était en tchèque parce que cela me semblait plus simple. Un jour, j’étais en panne d’inspiration et c’est le français qui est venu. Quand on vit en France, on baigne dans la langue tous les jours : on pense dans la langue, on rêve dans la langue… et puis mon mari est français. Ça vient donc assez facilement. Maintenant, j’écris donc des chansons en français, en anglais. Mon inspiration, c’est la vie, ce qui se passe en moi, autour de moi. Cela peut être une image, une sensation, une histoire, un fait de société… »

Je le disais vous faites pas mal de voix off… C’est intéressant puisqu’on est à la radio… Qu’est-ce qui vous plaît, cette fois, dans ce registre. Un registre moins exhibitionniste que la comédie puisque tout passe par la voix…

« A la base je ne suis pas du tout exhibitionniste et me mettre en avant me gêne plus qu’autre chose. Je ne suis pas une de ces actrices qui a besoin d’être adulée, admirée. Ce n’est pas moi. Je suis restée très timide et c’est souvent un défi de me mettre en avant. C’est vrai qu’il y a des comédiens qui sont frustrées d’être à la radio ou de faire du doublage, parce qu’on ne les voit pas. Moi, j’aime bien : comme il n’y a plus de corps, la voix compte à 100%. Ce qu’on dit, comment on le dit, avec quelle intonation et à quel rythme, tout cela raconte l’histoire. Et j’adore ça. »

Vous avez eu des petits rôles dans pas mal de films. A ce propos, racontez-nous une anecdote… Vous avez notamment rencontré l’acteur de la Liste de Schindler Liam Neeson.

Eva Cendors avec Liam Neeson,  photo: Site officiel d'Eva Cendors
« Effectivement, j’étais à Paris depuis quelques années, ça marchait plus ou moins bien. J’avais des rôles, mais en même temps, on attend toujours quelque chose de particulier, on essaye de se battre et ça ne marche pas et ça nous frustre. Un vendredi après-midi on m’appelle en me demandant si je suis disponible le mardi suivant. C’était une grande production franco-américaine, dont je n’ai pas compris le nom du réalisateur, ni celui du film. Je savais juste que c’était un film d’action. C’était pour faire doublure lumière de l’actrice principale. Je me suis dit que c’était une bonne expérience de voir un gros tournage. Je fais mon travail, doublure lumière, sauf que c’était des journées de tournage de scènes d’action, et l’actrice principale était doublée par la cascadeuse. Celle-ci s’est blessée à la mâchoire. Du coup, comme ils voulaient quand même épargner l’actrice principale, c’est moi qui ai pris sa place et je me suis retrouvée dans les bras de Liam Neeson, dans une scène assez dramatique. Je me retrouve donc dans une cave poussiéreuse, ligotée, allongée par terre. L’acteur principale arrive, je ne sais pas qui c’est car je ne me suis pas renseignée. Il me dit quelque chose comme ‘Hi, I’m Yann’. Je réponds ‘Hi, I’m Eva’. Et on tourne. Je ne suis pas physionomiste, donc je ne l’ai pas reconnu. C’est très bien, je n’avais aucune pression, et je tourne avec lui comme avec un vieux copain. Le soir, à la maison, je regarde qui jouait dans le premier volet du film Taken. Je vois que l’acteur principal est Liam Neeson. Je l’ai adoré dans la Liste de Schindler ! Je me suis mise à trembler et me suis dit : ‘Oh mon Dieu !’ »

Revenons à votre travail de musicienne. Vous avez fait une longue tournée cet été dans le coin des Pyrénées. Vous êtes en Tchéquie aussi pour des concerts. La musique prend le pas sur le cinéma ou ça s’équilibre ?

« Je pense que c’est 50/50. J’aime beaucoup jouer. J’aime beaucoup chanter aussi. En tant qu’auteur, compositeur, interprète, je suis moi-même. Quand je suis actrice, je me glisse dans la peau d’une autre. »

Quels sont projets d’ici la fin de l’année ?

Eva Cendors,  photo: Centre tchèque à Paris
« En tant qu’actrice, le travail me ramène plus vers la Tchéquie. Je suis mère d’un petit garçon et quand on est maman on recherche plus ses racines, ses parents. Du coup, les voyages en République tchèque se font plus nombreux. J’ai commencé à rencontrer des directeurs de casting, des producteurs en République tchèque. Des choses sont en préparation, mais c’est trop tôt pour en parler. En tant que musicienne, il y a un CD en préparation. Il y a aussi des concerts de prévu : un concert à Prague est prévu le 1er décembre, au café Campus, rue Náprstkova 10, à 20 heures. Je suis vraiment ravie de pouvoir partager ma musique avec les Tchèques. C’est mes racines. Et montrer aux autres mon parcours avec la musique, c’est extraordinaire. »