« Tout comme Le Petit Prince, le livre Chlebová Lhota parle aux enfants comme aux adultes »
Installée à Nantes, Nina Hamalcik est traductrice, interprète et médiatrice culturelle. En septembre dernier, elle a participé à la résidence de traduction littéraire à Brno, en Moravie, proposée par le Centre littéraire tchèque. Elle nous parle de cette expérience, ainsi que de son parcours entre la France et la République tchèque.
« Je suis d’origine franco-tchèque. J’ai vécu l’essentiel de ma vie en France, mais depuis petite, j’ai pu apprendre la langue tchèque et approcher la culture du pays. Ma grand-mère tchèque, ma ‘babička’, m’a particulièrement influencée, elle ressemblait à la grand-mère traditionnelle qu’on peut voir dans les contes, qui vous lit et vous raconte plein de choses le soir avant de dormir. Elle faisait très bien la cuisine et pouvait passer la journée au fourneau. C’était un grand plaisir de partager cela avec elle. »
Petite, vous étiez scolarisée à Prague…
« C’était de mes 9 à 14 ans. Mon père avait été muté par une société française à Prague, où j’allais à l’école française. Ensuite, ma mère et moi sommes rentrées en France, tandis que mon père est resté en Bohême. Au lycée, j’ai pris l’option tchèque au baccalauréat. C’était amusant : nous étions deux franco-tchèques dans l’Ile-de-France à passer l’épreuve de tchèque dans une salle avec d’autres locuteurs de langues rares. Il y avait avec nous des personnes qui passaient l’épreuve de berbère à côté. J’ai pu avoir quelques points en plus pour le bac. »
« Après mes études universitaires d’histoire de l’art et de d’archéologie, j’ai travaillé au Centre tchèque de Paris et dans les médiathèques de la ville de Paris, où j’ai pu également mener quelques projets liés à la culture tchèque. Parallèlement, je me suis lancée dans le master Etudes slaves de la Sorbonne, avec un mémoire sous la direction de Xavier Galmiche. »
Vous venez de passer un mois à Brno, où vous avez participé à la résidence de traduction proposée par le Centre littéraire tchèque. Était-ce votre choix de partir en résidence à Brno ?
« Oui, tout à fait. J’avais le choix entre Prague et Brno. J’aime beaucoup Prague, j’y suis attachée, mais j’avais bien envie de découvrir Brno que je ne connaissais que peu. On m’avait dit que c’était une ville agréable, intéressante et je n’ai pas été déçue. »
A Prague-Žižkov, les écrivains et traducteurs invités par le Centre littéraire tchèque habitent dans l’ancien appartement de l’écrivain Jaroslav Foglar, auteur de la BD culte des Flèches rapides, décédé en 1999. Où se passent les résidences littéraires à Brno ?
« Dans un appartement très agréable, situé pas très loin du centre. On peut se rendre à pieds, ce que je faisais tous les jours, à la bibliothèque Moravská zemská knihovna, richement fournie et où se trouve d’ailleurs le siège du Centre littéraire tchèque. J’ai découvert que c’était là aussi l’appartement d’une auteure tchèque, Ivana Ryčlová, primée pour ses écrits. En 2006, son livre ‘Ruské dilema’, Le dilemme russe, a reçu le Prix du plus beau livre tchèque. Quand je suis arrivée, l’appartement n’était pas vide, il y avait même une bibliothèque. »
Lors de votre résidence littéraire, vous avez traduit le livre pour enfants ‘Chlebová Lhota’ de l’écrivaine, plasticienne et scénographe Dagmar Urbánková. Comment l’avez-vous découvert, ainsi que son auteure ?
« J’ai eu la chance et la joie de découvrir l’œuvre de Dagmar Urbánková ainsi que l’écrivaine elle-même il y a quelques années de cela, quand j’ai travaillé au Centre tchèque de Paris. J’ai réalisé une mission d’interprétariat pour cette auteure et illustratrice lorsqu’elle donnait une conférence et animait un atelier d’arts plastiques au Centre de promotion du livre jeunesse. Je suis tombée sous le charme de l’univers très immersif et créatif de Dagmar Urbánková. Son livre ‘Chlebová Lhota’ m’a particulièrement touchée. »
Pourquoi ?
« D’abord, il est très intéressant au niveau plastique. Une bonne partie du décor, modelé par les mains de la créatrice, est à base de pain, de pain tchèque qui est un symbole culturel important. Le décor a été mis en scène et photographié. On a des vues pittoresques comme des tableaux de village sous la neige et cette neige, c’est de la farine et du sucre glace. »
« Au niveau de la forme, l’auteure alterne ces créations plastiques photographiées, la bande dessinée et le récit. L’histoire s’apparente à un conte philosophique. Au début, on peut penser à un contre traditionnel tchèque uniquement et quand je dis uniquement, ce n’est pas péjoratif. Au fil de l’histoire, une fenêtre ouvre sur l’autre et le monde, avec une valeur plus universelle. A chaque fois que je relis ce livre, je découvre de nouvelles choses, c’est un livre à observer. Je pense qu’il pourrait conquérir le cœur des Français, qu’ils soient petits ou grands. Même s’il est très différent du Petit Price de Saint-Exupéry, pour moi, ces deux livres ont un message philosophique. Ils s’adressent aux enfants, mais pas uniquement. »
Déjà le titre du livre, ‘Chlebová Lhota’, fait référence au pain. Comment le traduisez-vous ?
« Je pensais le traduire tout simplement par Le village de Pain, mais Pain avec une majuscule. L’aspect du village et de la vie en communauté, sans que celle-ci ne soit refermée sur elle-même, est important. »
Y a-t-il d’autres livres de Dagmar Urbánková qui ont été traduits en français ?
« Son livre ‘Byl jeden dům’, Il était une maison, est sorti chez Thierry Magnier. »
Quels sont les défis que représente la littérature pour enfants et ce livre en particulier pour le traducteur ?
« Je pense que c’est déjà considérer l’enfant comme une personne, ne pas vouloir trop simplifier ou adoucir les choses. C’est aussi, tout en respectant le texte et l’auteur, ne pas hésiter à prendre une certaine distance et liberté, se détacher du texte, pour pouvoir parler au mieux aux lecteurs d’une autre langue et culture. Par exemple, M. Galmiche m’a parlé de sa traduction du livre ‘Coucou ! Amusons-nous !’ de Josef Lada. Il me disait comment il s’était éloigné du texte d’origine pour que ça fonctionne, au niveau de la communication et des rythmes, et qu’il l’avait testé aussi auprès de ses nièces. »
« Dans ‘Chlebová Lhota’, il y a tout un vocabulaire concernant le pain tchèque, des sortes de pain qui ne se font pas en France. Il fallait se creuser la tête pour arriver à trouver des équivalents en français. Il y a aussi un petit clin d’œil à la France et c’est 'pan Bageta', Monsieur Baguette en français. »
Début octobre, vous avez participé à Tábor, dans le sud de la Bohême, au festival Tabook, consacré aux petits éditeurs. Comment s’est-il déroulé ?
« J’ai participé pour la première fois à ce festival consacré aux petites maisons d’édition indépendantes. Je savais que l’édition de cette année était limitée à cause du coronavirus, certains m’ont dit que ça ne valait pas tellement la peine. J’y suis allée et le festival m’a énormément plu, je l’ai trouvé très riche. Sur quatre jours, une soixantaine de rencontres ont été proposées, avec des auteurs de divers pays, français aussi, même si certains invités étrangers n’ont pas pu venir. J’ai pu y rencontrer Blexbolex, un auteur français de bande dessinée. Un certain nombre de rencontres ont été consacrées à Comenius. Les événements étaient toujours organisés dans des lieux intéressants, par exemple au café-librairie Jednota que j’ai beaucoup apprécié. Je me souviens aussi d’une lecture-échange avec Petra Hůlová autour de son dernier roman ‘Zlodějka mýho táty’, La voleuse de mon père. Et j’ai enfin pu voir l’organisatrice du festival Tereza Horváthová. Elle a fondé la maison d’édition familiale Baobab qui a publié ‘Chlebová Lhota’ de Dagmar Urbánková. »
Nina Hamalcik, quels sont vos projets de traduction ou autres ?
« En dehors de la publication de ‘Chlebová Lhota’, j’ai un projet à Nantes. Un metteur en scène a fait appel à moi pour un projet intitulé Romances européennes. Il doit se dérouler sur plusieurs années. En décembre, je vais intervenir dans le cadre de la première partie de ce projet qui est en réalité un festival culturel, artistique et citoyen. Il parle d'un quartier populaire de Nantes, avec une population d’origine diverse et avec un rapport à l’Europe peut-être un peu distant. Le projet, basé sur les échanges, rencontres et débats, fait intervenir des artistes locaux. Si tout se déroule comme prévu, il doit se développer en Europe en comprenant une itinérance à Prague. »