Expats en Tchéquie : « nous vivons le confinement au jour le jour »
Il y a plus d’un demi-million d’étrangers vivant sur le territoire tchèque, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur. Ils se sont retrouvés dans des situations particulières ces dernières semaines, confinés dans un pays étranger et parfois contraints de ne pas pouvoir regagner leur patrie et leurs proches. Radio Prague Int. a recueilli les témoignages de plusieurs d’entre eux.
Malgré ces mesures drastiques, l’Etat tchèque doit faire face à une pénurie de masques, de respirateurs artificiels et autres équipements médicaux jugés indispensables pour contrecarrer l’épidémie. Pour en découdre avec l’épidémie, beaucoup se sont lancés dans la confection artisanale de masques, une activité que le gouvernement tchèque approuve.
L’une des couturières en herbe, Anna, âgée de 26 ans et originaire de Moldavie, se livre sur cette situation inédite, elle qui vit en Tchéquie depuis moins d’un an.
« J’essaie de coudre quelques masques mais j’ai encore besoin de m’entraîner car ce n’est pas évident. J’en ai cousu pour mon partenaire et mes colocataires car bientôt nous n’en aurons plus, il ne m’en reste qu’un à l’heure actuelle. »
Anna fait partie de ceux qui s’attendaient à de telles mesures de la part du gouvernement. Alors que le virus ne touchait que la ville chinoise de Wuhan dans la province du Hubei, elle a passé des commandes en ligne d’équipement médical. Une chimère aujourd’hui. Contrastant avec son comportement préventif, ses colocataires quant à elles se sentaient moins concernées - comme beaucoup - et continuaient de voyager.
« Au début, ils étaient sceptiques et pensaient que ce n’était qu’une bonne grippe, puis peu à peu, alors que tout le monde commençait à ne parler que de ça et que les gouvernements en Europe prenaient des mesures strictes, ils ont alors pris conscience de la gravité de la situation. Maintenant, ils font beaucoup plus attention. On fait bien attention à ce que chacun porte un masque et des gants quand on doit sortir et on essaie de s’entraider. »
Michael Kiearans, un canadien de 70 ans, vit depuis des décennies en Tchéquie. Il fait partie de ceux considérés comme « à risque » du fait de son âge.
« Ce qui s’est passé en Italie m’a vraiment fait comprendre à quel point tout cela était sérieux. La façon dont le virus s’est développé puis répandu là-bas a été un signal d’alarme terrible pour moi. Je n’ai pas cousu de masques mais ma femme en a conçu quelques-uns pour nous. »
Professeur d’anglais, Michael Kiearans a vu très rapidement sa vie professionnelle impactée par les mesures du gouvernement.« Cela a stoppé net mon travail. Ce que je fais, essaie de faire, c’est de mettre en place des classes en ligne. J’essaie de m’organiser et de réunir des étudiants pour qu’on se rencontre via Skype ou Zoom, pour que nous puissions maintenir les cours. Mais, cela n’a jamais été ma façon de faire. J’ai choisi d’enseigner en école parce que je trouve cela plus stimulant que d’enseigner en ligne. Maintenant nous n’avons plus que cette solution donc on essaie de la mettre en place. Ce n’est pas la récréation pour autant. »
Le professeur d’anglais espère que les écoles dans lesquelles il a travaillé seront assez solides pour faire face à cette situation.
Anna, qui travaille dans un des secteurs les plus touchés, une compagnie qui organise des événements d’ampleur internationale, explique aussi qu’elle et ses collègues sont inquiètes de la situation. Avec l’interdiction de se déplacer dans plusieurs pays européens, ils se retrouvent dans la situation ambiguë d’inviter des clients à des conférences dont l’organisation n’est plus garantie.
« Je ne sais pas si nous allons fermer, peut-être. Mais je ne l’espère pas. Comme vous pouvez l’imaginer, les gens ne veulent pas voyager en ce moment et même s’ils le voulaient ils auraient beaucoup de mal. C’est compréhensible. Nous espérons pouvoir compter sur des inventives du gouvernement et des aides financières pour les entreprises et les gérants. J’espère que nous pourrons nous en sortir, mais oui, pour le moment, la situation est très incertaine. »
Mercredi 18 mars dernier, le Premier ministre Andrej Babiš déclara lors d’une conférence de presse que le gouvernement pourrait débloquer jusqu’à 300 milliards de couronnes pour soutenir les entreprises touchées pour les conséquences de l’épidémie, avec 100 milliards de couronnes pour une aide d’urgence et le reste pour garantir les paiements d’intérêt que les entreprises doivent aux banques.
Un montant supplémentaire de 10 milliards de couronnes doit être redirigé des programmes opérationnels de l'UE vers la Banque morave tchèque de garantie et de développement, qui sera également utilisé comme soutien. La banque a déjà enregistré des demandes financières d'une valeur de 5 milliards de couronnes, mais jusqu'à présent, 600 millions de couronnes seulement ont été effectivement allouées à la banque dans le cadre de la première vague de mesures d'urgence.
Payam Razi, un irano-américain fondateur d’un cinéma d’art et d’essai dans Prague 1 il y a six mois, fait partie de ceux qui ont participé à l’élaboration de l’aide financière gouvernementale. Il témoigne.
« On était juste comme les autres jeunes entreprises, essayant de passer la barre des six mois et d’en apprendre plus sur ce que nous faisons. Nous nous attendions à ce que, à partir de ce moment, au début du printemps et à l'approche de l'été à venir, nous puissions enfin voir le résultat de tout le travail que nous y avions fait. »« Quand le gouvernement a annoncé la fermeture des bars et des restaurants, nous avions desséances de cinéma complètes. Comme je suis irano-américain, j’avais un programme très intéressant pour le Nouvel An perse avec une pièce de théâtre, de la musique, des projections, mais tout a dû être annulé. »
« Le plus terrible dans tout ça, c’est que nous ne savons pas quand nous allons rouvrir. À présent que le personnel est parti et que toutes les opportunités ont été perdues, cela semble être assez difficile. »
Payam Razi trouve que les mesures de soutien du gouvernement pour les entreprises est une très bonne nouvelle, même s’il ne pense pas être éligible à de telles mesures car il ne sait pas si cela s’applique également aux étrangers et à ceux avec un permis de résidence permanent dans le pays.
Toutes les entreprises ne souffrent pas d’une perte rapide de clients. Aileen, originaire du Panama, qui travaille pour la branche tchèque d’une entreprise internationale de technologie des soins de santé depuis plus d’un an, explique qu’ils sont en train d’aider le gouvernement et les hôpitaux dans plusieurs pays.
« La priorité numéro un est de s’assurer que tous les employés vont bien. Les réglementations locales s'appliquent, mais à l'échelle mondiale, nous avons été soutenus pour vraiment travailler à domicile autant que possible. »Elle vit à Prague avec son mari Pierre. Tous les deux vivent mal la distance avec leur famille.
« Je pense que c’est très difficile d’être loin en ce moment. À ce moment précis, je devrais dire que nous sommes reconnaissants d’avoir un groupe d’amis unis, que l’on se soutient mutuellement car nous sommes tous éloignés de nos familles. Mais oui, je suis souvent en contact avec comme le nombre de cas au Panama augmente de jour en jour.
« Tout le monde devient un petit peu fou avec ce qu’il se passe et prend de nos nouvelles pour voir comment ça va. Nous sommes à un endroit où nous avons les technologies pour ne plus vraiment sentir la distance. »
À l’image des autres interviewés, ils utilisent principalement les réseaux sociaux pour être en contact. Mais pour certains d’entre eux, cela ne suffit pas, comme pour Payam Razi qui est inquiet pour son père, âgé de 74 ans.
« Il s’est mis de son propre chef en quarantaine depuis un mois. Mon frère et moi on est très inquiets. La seule façon de m’assurer qu’il va bien est de l’appeler quotidiennement. Pour l’instant tout va bien. Aucun membre de ma famille n'est exposé au virus. Mais je continuerai de m'inquiéter pour lui jusqu'à la fin de la crise. »
Interrogé sur la situation en Iran, il trouve que les mesures y sont plus dures que ce qu’il peut vivre ici.« De ce que j’entends en Iran, vous nous pouvez pas entrer dans un supermarché ou centre commercial sans être contrôlé par les autorités. Je sais que l’armée a été appelée pour maîtriser la situation et tout cela après 10 000 tests positifs donc je pense que les mesures plus strictes en Iran sont proportionnées à l’ampleur de l’épidémie. »
« Cependant, je pense que la République tchèque a pris la bonne décision en fermant les lieux culturels, les bars, les restaurants et les frontières rapidement, comparé à d’autres pays. Je pense qu’ils ont bien conscience de la vitesse à laquelle peut se propager le virus et je pense qu’ils ont bien la situation en mains. »
Et Anna, de Moldavie, d’approuver même si elle estime que le gouvernement pourrait mieux informer les citoyens sur le bien-fondé de telles restrictions.
« Je pense que la République tchèque fait tout ce qui doit être fait. Comparé à la Moldavie par exemple, je pense que c’est bien mieux même si je suis surprise de l’organisation moldave. Ils ont déclaré l’état d’urgence. »
« Le conseil que je donnerais à la République tchèque serait de mieux informer le public sur l’importance de telles mesures et de leur nécessité. Pourquoi c’est important de porter un masque. Il y a encore des gens qui ne comprennent pas pourquoi ces mesures draconiennes sont prises et si c’est pour leur bien. »
Si vous croisez des gens dans la rue ou dans un magasin ils sont calmes, font ce qu’ils ont à faire prenant en compte les mesures et c’est tout.
Mais tous les intervenants ne partagent pas forcément cet avis. C’est le cas de Pierre, le mari d’Aileen, qui se dit impressionné par le comportement des Tchèques.
« Je ne savais pas trop à quoi m’attendre mais je vois que les gens sont plutôt calmes. Si vous croisez des gens dans la rue ou dans un magasin ils sont calmes, font ce qu’ils ont à faire prenant en compte les mesures et c’est tout. »
C’est vrai que tout le monde n’a pas forcément bien pris ces mesures de confinement partout dans le pays. De sévères critiques ont été adressées au gouvernement par certains artistes, qui ont été contraints d’interrompre leurs spectacles.
Cependant, tout comme dans d'autres pays, des concerts en ligne et des activités similaires ont été de plus en plus utilisés pour rompre cette situation d’isolement. Pendant ce temps, des acteurs du théâtre municipal de la ville morave de Zlín ont apporté leur pierre à l’édifice de l'effort public mis en place par l'État en confectionnant des masques.Michael Kierans souligne qu’en 70 ans d’existence il n’a jamais connu une telle situation. Cependant, il insiste sur le fait qu’il reste optimiste car il n’y a pas d’autres solutions.
« Je vis au jour le jour. Le virus progresse vite. On en est là. Plus tôt on l’acceptera et mieux ça se passera, je pense. »