Expulsion des Allemands : quatorze familles tchèques et allemandes vivent « sous le même toit »

Photo: Martina Schneibergová

Il y a 70 ans de cela, en novembre 1946, un chapitre douloureux de l’histoire tchèque se refermait, qui n’a été rouvert qu’après la Révolution de velours : celui de l’expulsion massive des Allemands du territoire de la Tchécoslovaquie libérée. Au total, trois millions de personnes ont été déplacées en vertu du principe de responsabilité collective vis-à-vis de l’Allemagne, avec leurs biens et propriétés confisqués. Le week-end écoulé, les témoins de ce « transfert » et leurs enfants se sont rencontrés à Prague dans le cadre du projet « Réconciliation 2016 ».

Parmi les dizaines de Tchèques et Allemands réunis par ce projet, deux dames âgées et anciennes institutrices, Monika Bayer et Eva Holubová. Monika Bayer, née Pichmannová, n’avait qu’un an lorsque ses parents ont été contraints de quitter la petite ville de Rumburk, située à l’extrême nord de la Bohême, à la frontière tchéco-allemande. « J’étais enfant lorsque nous sommes partis, mais je connais notre maison comme si j’y avais grandi. Mes parents m’ont transmis tous leurs souvenirs. Quand j’y reviens, je sais comment c’était avant, ce qui s’y est passé », raconte-t-elle devant les photos de l’une des plus belles maisons de Rumburk. Cette même maison a ensuite été habitée par une famille tchèque, la famille d’Eva Holubová. Les parents de Monika sont retournés à Rumburk dans les années 1960. Eva Holubová se souvient :

« Mes parents ont accueilli les Pichmann très chaleureusement. Ils leur ont montré toute la maison, de la cave au grenier. C’était une façon de leur dire que la maison était aussi toujours la leur. C’était d’ailleurs la maison la mieux entretenue dans notre rue. »

« Vivre sous le même toit » : tel est le titre de l’exposition qui se tient jusque fin novembre à la Bibliothèque nationale technique de Prague. A travers les photos, les visiteurs peuvent découvrir les destins de sept familles allemandes expulsées de Tchécoslovaque au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ils sont confrontés aux parcours de sept familles tchèques qui habitent aujourd’hui leurs anciennes maisons. Les familles en question vivent effectivement en quelque sorte « sous le même toit », car elles se fréquentent et n’éprouvent aucune rancune les unes envers les autres.

L’exposition est organisée dans le cadre de « Réconciliation 2016 », un projet qui rappelle, sous forme de débats publics et de rencontres, le 70e anniversaire de l’expulsion des Allemands de l’ancienne Tchécoslovaquie, un sujet tabou jusqu’à la chute du communisme en 1989. L’historien Matěj Spurný explique :

Matěj Spurný,  photo: Robert Candra,  ČRo
« Cet événement a été un coup dur pour notre pays. Il a transformé, de manière dramatique, son paysage culturel. Un tiers du territoire a ainsi été dépeuplé et n’a jamais été entièrement repeuplé par la suite. Sans compter le fait que les nouveaux habitants des Sudètes ne s’y sentaient pas comme chez eux. Manipulé par la propagande communiste, le sujet du transfert des Allemands a été révélé dans toute sa complexité après la Révolution de velours. Une partie de la population a été choquée par le fait que les choses s’étaient passées autrement que ce qu’on leur avait raconté. A ce choc s’est ajoutée la peur du retour des Allemands jadis expulsés et de leurs revendications matérielles. Evidemment, cette peur est absurde, mais certains hommes politiques en ont profité et le sujet est devenu politique. »

Même si plus de vingt ans se sont écoulés depuis les premières tentatives, politiques et publiques, de réconciliation entre Tchèques et Allemands, le sujet demeure délicat. A l’origine du projet « Réconciliation 2016 », l’association Anticomplex a pour objectif de faciliter le dialogue entre les deux parties, comme l’explique Terezie Vávrová, directrice de l’ONG :

Photo: Martina Schneibergová
« Nous nous sommes rendus compte que les rencontres étaient le seul moyen de vraiment réconcilier les gens. Les Tchèques et les Allemands que nous avons connus grâce au projet entretiennent de très bonnes relations, ils voudraient se voir régulièrement, mais ils sont souvent confrontés à la barrière de langue et ne connaissent personne qui pourrait leur servir d’intermédiaire. Si les Tchèques et les Allemands veulent s’entendre et avoir un futur commun, il n’y a qu’un moyen : il faut qu’ils se connaissent personnellement. Voilà mon expérience. »