L’association Antikomplex : sur les traces du passé allemand dans les pays tchèques

Avec la publication de l’ouvrage Zmizelé Sudety, les Sudètes disparues, paru en 2006, l’association tchèque Antikomplex a rencontré un grand succès et s’est faite connaître du public tchèque et allemand comme l’un des nouveaux acteurs du dialogue germano-tchèque sur le passé commun. Petr Mikšíček est l’un des principaux membres d’Antikomplex. Il est au micro de Radio Prague

A l’aide de photographies datant de la période de l’entre-deux-guerres et de photos actuelles prisent aux mêmes endroits, l’ouvrage Zmizelé Sudety, les ‘Sudètes disparues’, publié par l’association Antikomplex, dresse un tableau des transformations paysagères des régions frontalières tchèques au cours des 70 dernières années. Plus de cinquante années après la migration forcée des populations germanophones de Tchécoslovaquie, la réception positive de cet ouvrage a constitué un moment clefs de l’évolution du rapport de la société tchèque vis-à-vis de cet épisode crucial de son histoire.

Petr Mikšíček est culturologue, documentariste et l’un des principaux acteurs de l’association Antikomplex. Il a participé à la publication de nombreux ouvrages consacrés aux régions frontalières tchèques, ces espaces appelés ‘les Sudètes’ ou ‘Sudety’ en tchèque et où la majorité des habitants étaient de nationalité allemande jusqu’en 1945. Il explique comment est née l’association Antikomplex :

Petr Mikšíček
« L’association Antikomplex est née en 1998, et se définit comme une association d’historiens, de politistes et de juristes qui s’était fixée pour principal objectif d’ouvrir une réflexion sur la vie culturelle des Allemands dits ‘sudètes’ dans la Première République tchécoslovaque. L’un des premiers objectifs était de réfléchir sur les principaux sujets que sont les transferts ou les expulsions des Allemands, le principe de la culpabilité collective qui a motivé le transfert des Allemands, les décrets Beneš ; un ensemble de sujets qui sont restés présents dans la société tchèque après 1989. Il s’agissait aussi de réfléchir sur les relations avec les organisations sudètes en Allemagne. »

A la suite de la chute du régime socialiste on se souvient que la question sudète, c’est-à-dire un ensemble de thèmes qui entourent les expulsions des allemands de Tchécoslovaquie et les revendications des organisations créées par ces populations dans l’Allemagne de l’Ouest, avait envenimé les relations diplomatiques entre l’Allemagne et la République tchèque.

Les craintes face aux revendications de restitutions ou de compensations des organisations sudètes en Allemagne était fortement ressenties en République tchèque non seulement dans les régions frontalières, les espaces principaux des expulsions, mais également par l’ensemble de la société tchèque. En outre, le fait que les populations allemandes de Tchécoslovaquie ont soutenu dans leur grande majorité dans les années 1930 les partis pangermanistes favorables au rattachement des régions frontalières à l’Allemagne nazie est considéré en République tchèque comme la source principale de la disparition de la Première République tchécoslovaque en 1938 et de la mise en place du protectorat de Bohême et de Moravie jusqu’en 1945. C’est afin de proposer les cadres d’un regard décomplexé sur le passé commun germano-tchèque qu’Antikomplex a été créé :

Photo: Sudetendeutsches Archiv / Creative Commons 1.0 Generic
« L’association présente aux Tchèques le regard de l’autre, c’est-à-dire le point de vue des Allemands. C’est la raison pour laquelle le projet s’appelle Antikomplex. Nous connaissons le point de vue tchèque qui considère que le départ forcé des Allemands est une bonne chose, que la vie est plus calme, que les Tchèques ont un Etat ethniquement homogène etc., et que le transfert des Allemands était une chose nécessaire. Présenter le point de vue l’autre, c’est attirer l’attention sur le fait que l’histoire était peut-être différente, car elle est composée de relations forgées durant des centaines d’années. Les Allemands ont bien conscience de la part de leur responsabilité dans la chute de la Première République tchécoslovaque. Mais les Allemands sudètes considèrent ne pas avoir eu la chance de participer à la reconstruction du pays après la Seconde Guerre mondiale et ne pas avoir eu la possibilité de redéfinir de nouvelles relations avec les Tchèques. Une grande partie de la population allemande n’est pas capable de reprendre le dialogue avec les Tchèques. De même, les Tchèques ont des difficultés à entrer en contact avec les Allemands des sudètes. L’objectif de notre association est de nous débarrasser de ce complexe lié aux stéréotypes du conflit germano-tchèque du siècle dernier. Nous essayons de déconstruire ces stéréotypes en présentant les histoires de personnes qui ont vécu ce passé, en enregistrant leurs propos, en les publiant dans des livres et en les présentant dans des expositions. Ces histoires perturbent les stéréotypes et permettent de voir les choses de manière différente. »

La présentation d’un point de vue différent sur le passé des relations germano-tchèques en Tchécoslovaquie avait été portée, durant la période socialiste, par les intellectuels dissidents au régime socialiste. La Causa Danubius, par exemple, est le nom donné à un ensemble de textes, de lettres et de pamphlets écrits par Ján Mlynárik, historien et publiciste slovaque, et signataire de la Charte 77. Ján Mlynárik est l’un des principaux dissidents à avoir présenté une critique de l’inhumanité du principe de culpabilité qui avait permis l’expulsion de la quasi totalité des près de trois millions d’Allemands de Tchécoslovaquie. Ce regard porté par Ján Mlynárik était à l’époque à contre courant de la vision officielle. Il tentait de briser l’un des tabous de l’histoire tchèque telle que présentée par les historiens du régime communiste. Cette version affirme que les expulsions étaient le fruit d’un processus historique justifié par la lutte des classes ; les Allemands ayant été présentés comme les représentants de la culture bourgeoise. Les autorités communistes s’étaient en outre efforcées de limiter l’accès à l’histoire des lieux des expulsions.

S’interroger sur l’histoire des lieux de vie des populations allemandes est l’un des principaux enjeux de l’association Antikomplex qui s’efforce de faire connaître le passé des régions frontalières tchèques et de faire prendre conscience de la perte culturelle consécutive au départ de plusieurs millions de citoyens de langue allemande.

« Evidemment avec le départ des Allemands c’est aussi la culture immatérielle des lieux qui est partie, c’est à dire le souvenir des lieux, les histoires locales, la connaissance de la toponymie, les photographies et l’atmosphère de ces espaces. Ce que nous essayons de faire dans le cadre d’Antikomplex, c’est d’essayer de retrouver l’idée de cette époque, et montrer comment les gens y vivaient. Aujourd’hui, dans les régions frontalières, il y a beaucoup moins de personnes et ceux qui y vivent sont à la périphérie du pays. Les régions frontalières son loin d’être les plus riches de la République tchèque. Elles sont désormais des lieux de loisirs où les gens viennent se reposer et rechercher le silence. On peut, sans doute, remplir à nouveau ce vide en rappelant la vie de ces espaces à l’époque où les Allemands y vivaient. »

Cette volonté de rappeler la vie des Allemands de la Tchécoslovaquie accompagne, selon Petr Mikšíček, l’intérêt des citoyens tchèques vis-à-vis de ce passé mal connu. Antikomplex œuvre au rappel de la mémoire de lieux :

« Nous rappelons le passé de ces régions avant la guerre comme une source d’inspiration. Le paysage a un réel potentiel et il est possible de faire quelque chose du point de vue culturel, artistique ou scientifique dans ces régions, 60 ans après le départ des Allemands. Il est en fait assez facile de rappeler la mémoire des lieux et c’est une chose qui nous plaît énormément »

Aujourd’hui, les membres de l’association travaillent en partenariat avec les responsables du musée des citoyens de langue allemande de Tchécoslovaquie qui devrait ouvrir ses portes au cours de l’année 2012 à Ústí nad Labem et présenter la plus grande exposition permanente de l’histoire et de la culture allemande dans les pays tchèques. Un récent sondage montre toutefois que la moitié des Tchèques estiment toujours que les expulsions ont été justes.