Faux-amis, aspirons le luxe !

Photo: Thomas Warm / Freeimages
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On évoque souvent l’amitié franco-tchèque sur Radio Prague, alors que les « faux-amis » franco-tchèques sont pourtant nombreux ; du moins pour ce qui est du domaine de la linguistique, comme nous nous sommes efforcés de vous en donner une petite idée lors de nos deux précédentes rubriques. Et ce n’est rien de dire qu’il s’agit là pour nous, qui sommes parfois quelque peu en panne d’inspiration (si, si, reconnaissons-le), d’un sujet et d’une source de luxe. Et tiens, tiens, c’est justement à ce mot « luxe » auquel nous allons nous intéresser pour cette fois. Le luxe, un vrai faux-ami qu’il convient… d’aspirer. Toute une affaire, vous allez comprendre pourquoi.

Dans notre dernière rubrique relative aux faux-amis, nous nous étions quittés avec les « champions des champignons », littéralement les « šampioni žampiónů », que sont les Tchèques. Certains champignons rares, comme la truffe - lanýž, particulièrement appréciés des « gourmets » et des « gurmáni » que nous avions également évoqués il y a quelque temps de cela (cf : http://www.radio.cz/fr/rubrique/tcheque/la-gourmandise-nest-pas-un-vilain-defaut), sont des produits qualifiés de luxe. Rien de nouveau sous le soleil jusque-là nous direz-vous, mais si nous énonçons cette évidence selon laquelle ce qui est rare est cher (sauf bien entendu un cheval bon marché, quoi que prétende le sophisme), c’est pour nous arrêter sur ce mot « luxe ».

Photo: Oleg Fetisov
En français, le substantif « luxe » peut désigner le caractère de ce qui est coûteux, raffiné ou somptueux, un environnement constitué par des objets coûteux, voire une manière de vivre elle aussi coûteuse et raffinée, une grande abondance, une profusion, ou encore quelque chose que l’on se permet de faire en plus de manière exceptionnelle, pour le plaisir. Ces différents sens, nous les retrouvons également en tchèque avec « luxus », dont la terminaison nous indique qu’il s’agit là d’un mot d’origine latine que l’on retrouve dans beaucoup d’autres langues européennes. L’équivalent tchèque de « luxus » est « přepych », deux mots qui, sémantiquement, se valent tout à fait ou presque.

Mais en tchèque existe également le mot « lux » qui, lui, peut avoir deux significations n’ayant plus aucun rapport avec le « luxus ». Ce mot « lux » existe également en français. Il est même somme toute relativement courant, ancien aussi puisqu’il provient lui aussi du latin et signifiait « lumière ». Aujourd’hui, ce mot désigne une unité de mesure d’éclairement.

Mais l’explication de ce premier sens, commun donc au tchèque et au français, ne nous éclaire pas (notez le jeu de mots…) sur le second sens de « lux », qui devient alors un mot tout à fait tchèque dont on ne trouve plus d’équivalent en français. En fait, un « lux » est… un aspirateur. Eh oui… Et pas nécessairement un aspirateur luxueux comme on pourrait éventuellement le penser et que nous pourrions nous amuser à traduire comme « luxusní lux ».

Photo: Thomas Warm / Freeimages
Alors, que dire de cet aspirateur, de ce « lux » tout ce qu’il y a de plus ordinaire ? Le mot s’est formé comme une abréviation d’« Electrolux », la marque suédoise bien connue spécialisée dans l’électroménager. Précisons ici que lors de la création de la société au début du XXe siècle, celle-ci s’est d’abord appelée AB Lux et que ce n’est que lors de sa fusion avec Elektromagnetiska en 1912 qu’elle est devenue Elektrolux, l’assemblage donc des noms des deux marques, le tout avant le lancement sur le marché de l’aspirateur appelé « Lux 1 »… d’où provient cet « emprunt » tchèque…

Vous le savez peut-être, en linguistique, cette figure de style s’appelle une antonomase. Dit plus simplement et pour ne pas vous effrayer avec des « grands mots », il s’agit d’un procédé dans lequel un nom propre ou commercial, généralement très populaire, est utilisé comme un nom commun ou générique. Certaines de ces antonomases finissent par se lexicaliser, comme cela a donc été le cas en tchèque avec « lux », dont le paradoxe finalement est d’être, de facto, un mot étranger, mais un mot étranger qui n’existe (si on ne se trompe pas) qu’en tchèque (et en slovaque). En français, on trouve différents exemples similaires de cette lexicalisation de certaines antonomases avec les mots « poubelle », « bordeaux », « roquefort », « scotch », « macadam » ou encore, pour rester dans l’électroménager, le non moins célèbre « frigidaire », synonyme de réfrigérateur.

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Mais l’affaire ne s’arrête pas là, car sur la base de ce nouveau mot « lux » apparu dans leur lexique, les Tchèques ont également invité le verbe « luxovat » - « passer l’aspirateur ». Attention néanmoins : si « luxovat » est employé dans le sens général de « passer l’aspirateur », il ne l’est pas dans celui d’aspirer proprement dit, c’est-à-dire l’action « d’attirer en créant un vide partiel », par exemple la poussière d’une moquette. Pour ce sens concret, la langue tchèque possède son propre verbe :« vysávat », qui signifie donc « aspirer » mais aussi « pomper », « sucer » voire « sécher » et constitue également un synonyme de « luxovat » - « passer l’aspirateur ». Et s’il existe un verbe, il existe aussi un substantif - « vysavač », qui n’est rien d’autre qu’un aspirateur et un synonyme de « lux ». Alors pourquoi diable deux mots pour une chose aussi futile qu’un aspirateur ? Sachez ici que l’usage du mot « lux » est moins soutenu que celui de « vysavač » et que c’est ce dernier qui est employé dans les commerces ou dans les « annonces publicitaires » – « reklamy ».

Bon, avouons-le : en nous lançant dans la préparation de cette rubrique, nous n’imaginions pas vous en raconter tant sur ce « lux » qui n’a de luxueux que la forme du mot. Et si on se quitte avec ce mot « reklama », ce n’est pas par hasard : il s’agit là en effet d’un autre de ces « faux-amis » franco-tchèques qui nous amusent tant, et c’est avec lui que nous attaquerons la suite de notre série. Ce sera dans quinze jours. D’ici-là, portez-vous du mieux possible – mějte se co nejlíp!, portez le soleil en vous – slunce v duši, salut et à bientôt – zatím ahoj !