Festival du film français : Laurent Cantet présente L’Atelier à Prague
Lauréat de la Palme d’or pour Entre les murs en 2008, le cinéaste Laurent Cantet était récemment à Prague présenter son nouveau film, L’Atelier, qui suit un groupe de jeunes participant à un atelier d’écriture dans la ville de La Ciotat, dans le sud de la France. Radio Prague a rencontré le réalisateur, présent dans la capitale tchèque dans le cadre de la 20e édition du Festival du film français.
« D’abord filmer des jeunes, c’est aussi filmer des gens qui sont en pleine réflexion sur ce qu’ils sont sur ce qu’ils vont devenir, et c’est évidemment un moment de la vie où tout est possible, et où les décisions que l’on va prendre nous engagent énormément. Et puis il y a aussi le sentiment que filmer des jeunes gens, c’est aussi avoir l’assurance d’une énergie qui est absolument agréable et passionnante à filmer, surtout quand on filme un groupe comme je le fais souvent.
Il y a quelque chose de tellement vivant dans leur rapport aux autres, de tellement impliqué aussi. Quand on a cet âge-là, on fait moins la part des choses que lorsqu’on a atteint une certaine sérénité. Il y a une synergie du groupe qui m’intéresse beaucoup. »
Ce groupe de jeunes participent à un atelier d’écriture dirigé par une écrivaine, jouée par Marina Foïs. Que représente pour vous l’écriture ? Voyez-vous des similitudes avec votre travail d’écriture d’un film ?
« C’est sûr que le film pose plein de questions qui ressemblent à celles que je me pose quand moi j’écris, quand je mets en scène, ou quand je dirige des comédiens. Ce qui m’intéressait dans l’atelier c’était de créer un espace de confrontation et de discussion où l’on essaye de trouver les mots juste. Je pense que quand on trouve les mots justes à mettre sur un malaise, on a déjà fait un grand pas sur la résolution du malaise.
Le film raconte comment un personnage, Antoine, qui est celui le plus en opposition, presque systématique, sans savoir très bien où il va, va progressivement à travers son envie d’écriture, réussir à comprendre qui il est et ce qu’il doit faire pour que sa vie devienne plus ouverte que celle qu’il vit en ce moment. »
Comment avez-vous construit ce personnage d’Antoine, qui a une relation conflictuelle aux autres, qui se cherche, et qui se laisse séduire par des thèses d’extrême droite ?
« C’est toujours très difficile de savoir comment on imagine un personnage. Quand j’écris, je me laisse porter par la logique d’un individu que je découvre progressivement et qui s’enrichit de ce qu’il doit devenir. En tous les cas, ce qui m’intéressait, c’était d’en faire un personnage pas forcément sympathique mais qui allait quand même avoir un pouvoir de séduction suffisant pour faire en sorte qu’on soit avec lui, quelles que soient les positions qu’il prend, et que je désapprouve.
Antoine est le produit d’une époque : il a un rapport raciste aux autres communautés, aux musulmans par exemple. Il a un problème de relation aux autres, ce qu’il fait qu’il s’isole, et qu’il est très solitaire. Il est très attiré par l’extrême droite, mais comme il serait attiré par un autre extrémisme, juste parce que sa vie n’a pas beaucoup de sens. Il subit le mécanisme de séduction de quelqu’un qui arrive face à un jeune homme perdu et lui dit : ‘si tu viens avec moi, je te promets que ta vie aura un sens’. Ce mécanisme de séduction de l’extrême droite aurait pu s’exercer ailleurs, à l’extrême gauche, dans le djihadisme… Ce qui m’intéressait dans ce personnage c’est qu’il soit soumis à son époque, et qu’il arrive progressivement à prendre ses distances par rapport à ça. »
Comment caractérisez-vous cette époque dont vous parlez et comment percevez-vous son évolution depuis que vous avez fait un film comme Ressources humaines ?
« Aujourd’hui, les jeunes sont confrontés à une société beaucoup plus violente que celle à laquelle j’ai pu être confronté, même à celle d’il y a une dizaine ou une vingtaine d’années. Ce qui me semble évident, c’est que tant qu’on ne changera pas le regard qu’on porte sur les jeunes, tant qu’on les maintiendra en marge du monde, comme s’ils n’étaient pas encore tout à fait partie prenante dans ce que notre époque est en train de devenir, comme s’ils n’étaient pas eux-mêmes confrontés aux mêmes problèmes que nous tous, ce sera très compliqué de continuer à vivre ensemble. Et cet atelier, c’est un petit peu le but aussi.
L’attitude d’Olivia, l’écrivaine qui vient organiser cet atelier, est assez représentative de ce qu’il me semble important de réussir. C’est-à-dire qu’au début elle est dans une curiosité vis-à-vis de ces jeunes gens et progressivement, elle se laisse entraîner dans leur façon de penser. Elle accepte aussi de les regarder comme des personnes qui ont une pensée qui ne fonctionne peut-être pas tout à fait comme la sienne, parce qu’elle n’a pas les mêmes outils, elle a une culture très différente de la leur. Mais au bout du compte, elle va prendre en compte cette façon d’envisager le monde qui passe aussi par des outils qu’elle manipule moins qu’eux, les téléphones portables, internet, les réseaux sociaux. Je pense que tant qu’on continue à avoir un regard surplombant sur les jeunes, on aura beaucoup de mal à faire que notre monde s’équilibre un petit peu. »Peut-on faire un parallèle entre cette relation que cette écrivaine, Olivia, entretient avec les jeunes qui participent à son atelier d’écriture, et votre position de réalisateur face à vos acteurs et aux membres de l’équipe qui permettent la réalisation du film ?
« Antoine reproche souvent à Olivia de les instrumentaliser, d’être la marionnettiste qui tire les ficelles et qui leur fait écrire ce qu’elle veut qu’ils écrivent. C’est évidemment une question que je me pose au moment où j’écris et surtout au moment où je travaille avec les comédiens. Je pense déjà que, rien que le fait de me poser cette question me protège un petit peu de tomber tout à fait dans les travers que je décris. Je pense aussi que tout le travail de préparation que je fais avec les acteurs me protège aussi de cela. Quand j’écris, j’ai surtout l’impression de faire des hypothèses sur ce que peut penser un jeune homme de dix-huit ans vivant dans le sud de la France.
Ces hypothèses, je les vérifie avec les comédiens, déjà pendant toutes les séances de casting que je peux faire avec eux, et puis surtout pendant les répétitions que j’exige avant de tourner. Pour ce film, on a par exemple passé trois semaines à répéter avant de tourner, évidemment en répétant sur le scénario, mais surtout en passant beaucoup de temps à parler des enjeux de chaque scène, de ce que eux pouvaient éprouver vis-à-vis d’un personnage ou d’une situation. Du coup, il est vrai que le scénario intègre des remarques qu’ils me font, des moments d’improvisation qui m’intéressent et qui viennent nourrir ce que j’avais imaginé. Et puis, il peut m’arriver que ce que j’ai écrit ne leur ressemble tellement pas que je n’aie pas envie de leur demander de l’incarner et que je supprime une scène ou un morceau de scène. Je les implique en tous les cas très tôt dans le processus d’écriture. »Il y a peut-être un autre personnage dans le film : la ville de La Ciotat. Pouvez-vous nous parler de ce choix ? Y a-t-il une forme d’hommage au cinéma ?
« La Ciotat m’était restée pour plusieurs raisons : évidemment c’est le berceau du cinéma, puisque c’est là que les frères Lumières ont fait les premiers films de l’histoire du cinéma, mais ce qui m’a vraiment attiré, c’est son passé ouvrier, le rapport que la ville entretient au port et à ce chantier naval qui a fermé à la suite de très longues luttes ouvrières.
Ce passé, c’est tout ce qu’Olivia va essayer de faire remonter à la surface dans l’atelier d’écriture, car en dehors d’une jeune fille qui se sent très liée au chantier parce qu’elle est Algérienne et que son grand-père est venu participer au chantier, tous les autres ont plutôt envie d’oublier ce chantier, de faire table rase de ce passé qui n’est même plus pour eux de l’histoire, ils n’ont plus du tout de lien avec ce passé. Ce qui m’intéresse, c’est que la ville contient dans son décor des traces de ce passé, qui nous rappellent continuellement que ce passé a existé, et qu’il est difficile de l’oublier complètement. Ces jeunes sont partagés entre ces stigmates du passé envoyés à la figure, et leur envie d’oublier tout ça et de penser le monde autrement. »