Laurent Cantet : « Le langage est un marqueur social »
Le 11e Festival du Film français s’est terminé mercredi soir par l’avant-première à Prague du film Entre les murs de Laurent Cantet, Palme d’Or à Cannes en juin dernier, et candidat officiel aux Oscars 2009 dans la catégorie Film étranger. Adapté du récit d’un professeur de français, François Bégaudeau, le film a été tourné avec des élèves d’un collège du XXe arrondissement à Paris, un établissement considéré comme difficile. Le parti-pris du réalisateur a été de montrer non pas des séances de travail, mais les moments où le professeur doit gérer une communication souvent mal aisée avec ses élèves. Anna Kubista a demandé à Laurent Cantet, lui-même fils d’enseignant et parent d’élève, s’il s’identifiait avec l’approche pédagogique du professeur.
« Oui, ce que les deux films partagent c’est que le langage est un des outils les plus puissants d’intégration. Ce qui me plaît beaucoup dans L’esquive c’est l’attention portée au langage des jeunes, que mon film retrouve aussi. Moi je me suis souvent amusé à les écouter, ils manient les mots avec une certaine éloquence qui n’est évidemment pas conforme aux règles de grammaire officielle qu’ils sont en train d’apprendre à l’école. Il y a une fulgurance de cette langue, des trouvailles d’images qui sont magnifiques. Ce que mon film dit plus que le film de Kechiche, c’est combien le langage est un marqueur social et que si on veut réussir à trouver une place dans le monde, on a intérêt à savoir passer d’un registre à l’autre. »
Quelles ont été les réactions du monde professoral ? On voit bien déjà dans le film que la méthode et la façon d’envisager les choses divergent entre François et ses collègues...« C’est vrai que le film a divisé le monde enseignant en France, certains y retrouvant des expériences personnelles assez puissantes, et à l’opposé il y a un certain nombre de profs qui n’ont pas voulu se reconnaître dans cette école que je présente. Je pense qu’ils ont vu ce film comme un documentaire or ce n’en est pas un. C’est vraiment l’histoire de ce prof là, face à cette classe là, composée de ces enfants là. Ce qu’on essaye de montrer c’est les relations qui peuvent se nouer dans un contexte particulier. Moi je n’ai jamais cherché l’exemplarité. »Et la réaction des élèves qui ont vu ce film ?
« Les adolescents de manière générale sont beaucoup venus voir le film. Ca a été une très bonne surprise pour nous. Je pense que s’ils sont venus c’est aussi parce qu’ils ont senti que le film leur rendait justice, qu’il ne les juge pas, alors qu’ils sont habitués à être jugés, montrés du doigt, à être traités de crétins, de brûleurs de voiture. Finalement c’est une tranche d’âge dont on a peur, parce qu’elle est incontrôlable, qu’elle a cette énergie incontrôlable qu’on lui voit dans le film. Sauf que là, on les regarde assez précisément pour déceler chez eux une vraie intelligence, une envie de comprendre le monde. Ils ont été assez sensibles à cette image là. Ils ont aussi découvert les coulisses de leur univers : l’image du prof qu’ils ont eux c’est juste une fonction. Ils m’ont quand même tous dit : quand même on a compris que les profs ne faisaient pas ce boulot par hasard, qu’ils le faisaient pour nous et puis quand ils sont entre eux, ils parlent de nous ! Il y a eu toute une série de témoignages d’adolescents qui m’a fait comprendre qu’on donnait à travers ce film une image plus humaine et plus partageable des profs. »