Février 1948 : les Tchèques se souviennent…
En février 1988, moins de deux ans seulement avant la révolution de velours, le 40e anniversaire de la prise du pouvoir en Tchécoslovaquie par le parti communiste était encore célébré en grande pompe, en présence de son secrétaire général de l’époque, Miloš Jakeš. Trente ans plus tard, le 25 février 2018, c’étaient la liberté et la démocratie, à savoir des valeurs étouffées par le régime totalitaire qui ont été célébrées un peu partout en République tchèque. Sur la place Venceslas, à Prague, plusieurs centaines de personnes ont manifesté contre le retour des communistes au pouvoir, ainsi que contre l’éventualité d’un gouvernement composé de membres d’un seul parti.
Parmi les centaines de milliers de personnes persécutées par ce régime totalitaire dans l’ancienne Tchécoslovaquie figurent des femmes et des hommes décorés, dimanche dernier, du prix « Chevalier et Dame de la culture tchèque ». Cette récompense a été attribuée, pour la quatrième année consécutive, aux artistes et personnalités culturelles obligés d’interrompre leurs carrières à cause de leur engagement anti-communiste. Ainsi, le ministre de la Culture a récompensé, à titre posthume, une des plus grandes actrices et comédiennes tchèques de l’avant et de l’après-guerre, Jiřina Štěpničková, victime d’un complot de la police secrète communiste et condamnée pour haute trahison après une fuite ratée vers l’Allemagne de l’Ouest, en 1951. Une artiste qui a passé dix ans derrière les barreaux et pour laquelle certaines de ses collègues comédiennes demandaient la peine capitale.
Arrêté avec sa mère à la frontière tchéco-allemande alors qu’il était âgé de quatre ans, l’acteur Jiří Štěpnička a assisté à la cérémonie de remise des prix « Chevalier et Dame de la culture tchèque » :« C’est un énorme plaisir de recevoir cette récompense ici, sur la scène du Théâtre de Vinohrady. Ce théâtre qui tenait tant à cœur à ma mère et où sa vie a pris un tournant tragique. »
Des actes de piété, manifestations et cérémonies du souvenir se sont déroulées dans plusieurs villes et communes du pays, à l’occasion du 70e anniversaire du « putsch communiste » : à Liberec, Brno, ou encore à Číhošť, dans la région de la Vysočina, où une messe a été célébrée en mémoire de Josef Toufar, première victime des purges communistes dans les rangs de l’Eglise catholique dans les années 1950. Accusé d’avoir manipulé un crucifix pendant la messe, le prêtre Josef Toufar a été brutalement torturé avant de mourir le 25 février 1950 à l’âge de 47 ans. En 2015, sa dépouille avait été exhumée d’une fosse commune à Prague. Son enterrement avait ensuite été célébré à Číhošť, où le prêtre avait exercé pendant huit ans.
A Prague, les événements de février 1948, communément appelés « Coup de Prague », ont été évoqués devant le Mémorial des victimes du communisme dans le quartier d’Újezd ou encore sur la place de la Vieille-Ville. Dans la rue Nerudova, les Pragois se sont souvenus de plusieurs milliers d’étudiants qui s’étaient dirigés, le 25 février 1948, vers le Château de Prague, pour soutenir le président Edvard Beneš. Celui-ci a, par la suite, accepté la démission de douze ministres qui n’étaient pas membres du Parti communiste et nommé leurs remplaçants conformément à ce que souhaitait le Premier ministre communiste Klement Gottwald. La police a brutalement dispersé cette manifestation de plus de cinq mille étudiants des écoles supérieures. Parmi eux, František Šedivý, aujourd’hui vice-président de la Confédération des prisonniers politiques :« Nous avons fait la même expérience pendant la guerre. Les personnes qui se sont emparés du pouvoir ont utilisé les mêmes méthodes d’oppression et de violence. Notre manifestation a été importante, d’autres gens venaient nous rejoindre. Lors de cet événement, c’était tout le peuple qui exprimait son refus avec ce qui était en train de se passer. »Les manifestations liées au 70e anniversaire du « putsch communiste » se poursuivent à Plzeň, en Bohême de l’Ouest, par une exposition des étudiants en design et, par un concert de la Philharmonie de Plzeň, inspiré des événements du février 1948 et prévu pour ce mardi. Des compositions typiques de l’époque du communisme seront au programme, de même que celles qui n’ont pas pu être jouées en public à l’époque, à savoir des œuvres de Bohuslav Martinů ou de Herbert Slavický.