Forum Tchéquie/Afrique : un rapport de l'OCDE optimiste sur les perspectives de développement
Le centre de développement de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) établit un lien entre les pays membres de cette organisation, fortement industrialisés, et d’autres contrées du monde en développement. Henri-Bernard Solignac Lecomte est le directeur de cette unité pour l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Europe. Il a participé au East-West Business Forum, une conférence internationale qui s’est tenue à Prague les 25 et 26 septembre portant sur les échanges économiques entre la République tchèque et les pays africains. Henri-Bernard Solignac Lecomte y a présenté un rapport sur les perspectives de développement économique du continent africain et en a ensuite profité pour répondre aux questions de Radio Prague.
« La conclusion, elle est que la croissance reste bonne pour les années à venir. On a un modèle de prévisions qui nous dit que ce sera près de 5% pour cette année et plus de 5% l’année prochaine en moyenne pour le continent. Mais le défi reste celui de la transformation structurelle, la transformation de l’économie. En deux mots, la croissance est bonne mais elle ne crée pas assez d’emplois. Pour créer des emplois, il faut que de nouvelles activités se développent, pas seulement plus d’activités traditionnelles. Et c’est cela le défi des économies africaines. »
Quelles sont les disparités que vous observez entre les pays africains et à l’inverse les choses qui les rassemblent d’un point de vue économique ?
« Sur le plan économique, on a des groupes de pays qui sont très différents. Vous avez des pays à revenu intermédiaire que sont les pays d’Afrique du Nord ou l’Afrique du Sud ; ce sont des économies qui sont assez proches de celles de l’OCDE par plusieurs critères. Et puis on a au milieu, dans la zone intertropicale, l’Afrique qu’on appelle généralement subsaharienne, où là on a des niveaux très disparates de développement avec des économies relativement modernes pour partie dans des pays comme le Kenya par exemple. Enfin, on a un troisième type d’économies en Guinée ou en Centrafrique où on est dans des pays très fragiles. Donc là aussi, même au sein de ces pays subsahariens, il y a une très grande diversité de situations. »Lors de votre intervention, vous avez dit que les prévisions il y a dix ans étaient plutôt pessimistes. Aujourd’hui, elles sont plutôt optimistes avec des croissances qui tournent autour de 5% pour la plupart des pays africains. Est-il possible que dans dix ans, les prévisions soient à nouveau pessimistes, et que celles d’aujourd’hui se soient trompées ?
« Je pense qu’il y a un certain nombre de facteurs qui se sont mis en place et sur lesquels on ne peut pas revenir. Il y a notamment un certain nombre de pays qui ont franchi des étapes sur le plan structurel. Je mentionnais ces pays à revenu intermédiaire. On peut évidemment penser que ça peut revenir en arrière : l’Argentine nous montre que le développement est un processus qui est réversible. Mais on a bon espoir que ces pays, ces économies, continuent de se structurer sur cette trajectoire.
L’autre chose qui a changée, c’est la nature des régimes politiques, qui s’est profondément transformée. On a aujourd’hui des sociétés civiles qui sont beaucoup plus libres dans leur expression et des mécanismes de « check and balances » je dirais, c’est-à-dire de contrôles, qui sont dans beaucoup de pays, pas tous, de plus en plus profondément enracinés. Donc je pense que ce sont des garanties du fait que cette maturation économique et politique est enclenchée pour de bon. »
Quelles sont selon les réformes qu’il faut réaliser pour assurer un développement durable ?
« Au risque de la caricature, on pourrait dire que la bataille de la gestion macro-économique a été gagnée. Là où dans les années 1970-1980, on a eu des accidents macro-économiques notamment en termes d’explosion de la dette absolument terribles, on a depuis une quinzaine d’années des économies qui sont quand même beaucoup mieux gérées en termes de maîtrise de l’inflation, de maîtrise des déficits. Il y a très clairement une qualité de gestion des gouvernements qui est de plus en plus élevée. »
« Il reste maintenant à gagner la bataille des réformes structurelles. Ce qui empêche la croissance d’être plus créatrice d’emplois, ce qui empêche ces nouvelles activités de se développer, c’est en général le manque d’infrastructures. Il faut pouvoir connecter les villes, les campagnes, les pays au reste du monde. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. C’est aussi l’énergie. On a beaucoup de mal à avoir une énergie de qualité et en quantité suffisante pour avoir des activités productives et surtout compétitives. C’est l’éducation et la formation. Beaucoup de jeunes cherchent un emploi, beaucoup d’entreprises cherchent des travailleurs, mais les deux ne se rencontrent pas parce que les formations ne sont pas adaptées à ce dont ont besoin les entreprises. Et puis, il y a un environnement des affaires qui, même s’il s’améliore dans beaucoup de pays - on a eu l’exemple du Rwanda lors de cette conférence-, reste problématique en termes de corruption, notamment dans beaucoup d’autres pays. Donc le chantier reste énorme. »Les domaines que vous avez évoqués sont des domaines dans lesquels l’Etat a un grand rôle à jouer…
« Il y a de plus en plus de pays qui ont les moyens de financer ces réformes. Avec l’extraordinaire envolée des prix des matières premières dont l’Afrique est particulièrement riche, vous avez un grand nombre de pays qui ont aujourd’hui les moyens de se passer complètement de l’aide. Tous les pays producteurs d’énergie notamment, donc de pétrole, de gaz, tout cela, ne sont plus du tout dépendants de l’aide et si celle-ci s’arrêtait ils seraient tout à faire capable de financer ces réformes en question. Une chose que les gens savent peu, c’est que si on fait la moyenne de tous les pays africains, y compris les plus pauvres et les plus dépendants, l’Afrique, si elle était un pays, collecterait onze fois plus en termes d’impôts qu’elle ne reçoit d’aides de l’extérieur. Et pour les pays exportateurs de matières premières comme le pétrole, c’est beaucoup plus encore. Donc la question du financement, elle ne se pose déjà plus. C’est vraiment une question de l’allocation de ces ressources, de savoir bien les dépenser. »
N’y a-t-il pas justement un problème de dépendance à ces matières premières pour certains pays ?
« Ce que l’on dit dans notre rapport, c’est que ces matières premières – c’est un peu contre-intuitif – peuvent être la base de la diversification. Quand on pense aux matières premières, on pense dépendance à l’égard de l’or, du pétrole, de tout cela. C’est un risque mais ce n’est pas une fatalité. On a vu des pays comme le Botswana par exemple qui ont réussi à développer leur économie et notamment tout le volet social grâce aux revenus du diamant qui ont été bien utilisés. On a vu Maurice qui a franchi très rapidement différentes étapes de sa transformation en investissant intelligemment ses revenus d’abord du sucre, ensuite de l’industrie du vêtement pour finalement développer des services à haute valeur ajoutée dans la banque notamment. Le Chili a commencé dans le cuivre, a développé une activité dans le bois pour finir par développer à partir de rien une activité d’exportation de saumon, ce qui n’existait absolument pas, avant de passer à de la manufacture, à des services à haute valeur ajoutée. Donc pour bien se diversifier, il faut d’abord diversifier ses ressources naturelles.Les pays d’Afrique qui ont de l’or ou du fer ont en général d’autres minerais à leur disposition. Ils ont en général aussi des terres arables à leur disposition. Il s’agit de marcher sur ses deux pieds, donc de développer à la fois l’agriculture, les mines, l’énergie et ne pas rester dépendant. Ce n’est pas mal d’avoir beaucoup de ressources naturelles, c’est mal de dépendre d’une seule.
Par ailleurs, la part des revenus tirée des royalties sur les matières premières est trop élevée dans les revenus des gouvernements. Parce que cela les rend dépendants de ce qui est un peu une rente. Une rente qui de plus est volatile car si les prix s’effondrent, alors les revenus s’effondrent. C’est ce que l’on a vu en 2009. Donc nous disons que ce n’est pas bon de continuer à dépendre autant de ce type de rente. Il faut augmenter la part des ressources de la taxation directe et la part des ressources de la taxation indirecte, mais surtout de la taxation directe.
Car aujourd’hui, peu de gens paient l’impôt sur le revenu en Afrique, y compris ceux qui auraient les moyens de le faire, et surtout les entreprises paient en général beaucoup moins que ce qu’elles devraient payer. Les taux nominaux d’imposition en Afrique sont parmi les plus élevés du monde mais les taux réels pour les grandes entreprises sont bien en dessous. Parce que les grandes entreprises ont les moyens de négocier des arrangements avec les gouvernements.
Ce qui est à court terme le plus facile à faire pour les gouvernements, c’est de revoir à la hausse ces niveaux d’imposition des grands opérateurs économiques. Et je ne parle pas seulement des multinationales, je parle également des grands opérateurs du secteur informel, les importateurs de céréales, qui, en général, ne paient absolument aucun impôt. Et puis il faut lâcher la pression sur le segment le plus opprimé qu’est celui des PME, qui lui par contre est fait de petites entreprises qui n’ont pas les moyens de négocier des exemptions fiscales et qui, non seulement, supportent les taux nominaux les plus élevés, mais qui en plus sont souvent l’objet de redressements abusifs de la part des administrations fiscales à la recherche de ressources. Donc, il faut rééquilibrer la pression entre les grands qui ne paient pas assez et les petits qui paient trop. »
Mais justement les grands sont souvent des entreprises multi-nationales étrangères ; est-ce que pour les états africains ce ne serait pas un bénéfice d’avoir des entreprises nationales qui exploiteraient les ressources du pays ?
« C’est pas évident, on ne peut pas donner de solutions sans regarder au cas par cas. Prendre une participation dans une compagnie, ça veut aussi dire avoir les capacités en interne de gérer de manière stratégique cette participation. Ce n’est pas évident. Il vaut peut-être mieux ne pas avoir de participation directe, mais avoir une transparence des revenus et de l’exploitation des entreprises étrangères qui opèrent sur votre sol, et avoir une taxation juste, efficace et transparente de cette activité. »
Pour terminer, nous sommes en République Tchèque, quelles sont selon vous les perspectives pour ce pays en ce qui concerne le développement de ses activités en Afrique ? Aujourd’hui on sait que les pays d’Europe centrale exportent un peu et qu’ils importent encore moins...
« Je pense qu’il y a énormément de besoins dans l’ingénierie, notamment dans des secteurs comme l’agro-processing, puisqu’il va falloir nourrir une population urbaine qui est en croissance rapide. Donc il va y a avoir besoin de transfert de technologies extrèmement impotant. Je pense que les opérateurs tchèques sont détenteurs de ce type de technologies, mais pour cela il faut trouver le bon matching, c’est-à-dire qu’il faut que les investisseurs, pour être assurés, aient des partenaires de confiance sur place, des partenaires locaux ou des gens qui sont investis depuis longtemps sur place et qui peuvent les guider dans un partenariat qui soit profitable pour les deux parties. Je pense que dans tout ce qui est l’ingénierie, l’équipement, l’agro-processing, les services aux entreprises d’exploitation minière par exemple sur place, là les opérateurs tchèques ont certainement une carte à jouer. »