François Trenck
Pandour redouté, aventurier, amateur des duels, buveur, joueur de cartes passionné, mais aussi bon commandant et stratège, homme parlant sept langues étrangères, auteur de ses propres mémoires, compositeur et violoniste - c'est le baron François Trenck, né, il y a 290 ans, le 1er janvier 1711, et mort trente-huit ans plus tard dans la prison de la forteresse de Spilberk à Brno. Le baron Trenck est enterré dans la crypte du couvent des Capucins de Brno. Voici donc la vie du baron Trenck accompagnée de la visite de la crypte où il repose.
François Trenck est né en 1711 dans la ville italienne de Reggio di Calabria. Il a commencé sa carrière militaire en Russie, où il combattait contre les Turcs, puis en Autriche. Sa vie était riche en péripéties très dramatiques; à 17 ans, il fut promu officier de l'armée autrichienne, mais aussitôt dégradé pour manque de discipline; il qualifia son colonel de lâche et lui donna un coup de cravache. Traduit devant le tribunal, la peine capitale plana au-dessus de sa tête. Mais, favorisé par la fortune, le comte Trenck fut seulement déchu de son grade et condamné aux travaux forcés. Pendant six mois, il édifia les fortifications de Kiev, avant de regagner ses domaines dans l'actuelle Croatie. S'installant en Autriche, Trenck offrit à l'impératrice Marie-Thérèse de constituer un corps de pandours - hommes recrutés parmi des délinquants redoutés vivant en marge de la société - qui combattraient sous ses couleurs contre le roi prussien Frédéric II. L'impératrice accepta et Trenck dirigea de main de fer près de 5000 hommes réputés pour leur cruauté. Il entra de nouveau en conflit avec les officiers autrichiens et fut accusé même de trahison. Le tribunal le condamna à verser 12 000 écus d'or, cette somme équivalant à l'époque au prix d'un manoir. Le comte décida de ne pas payer. Suivi par 600 hommes, il entra au service de la Hollande. Après son retour à Vienne, il provoqua de nouveaux conflits, cette fois-ci au sein de la haute noblesse. Marie-Thérèse le mit aux arrêts, mais le comte Trenck n'hésite pas à lui démontrer sa manière d'obéir à ses ordres. A l'Opéra, en présence de l'impératrice, il tenta de jeter son adversaire de vieille date, le comte Gossau, du haut de la loge. Jusqu'alors personne ne se permit de faire une chose pareille.
Trenck comparut une nouvelle fois devant le tribunal pour être condamné à la peine capitale, pour la deuxième fois déjà. Les juges furent scandalisés par la conduite insouciante du comte qui ridiculisa le tribunal et refusa de le prendre au sérieux. L'impératrice gracia Trenck pour ses mérites précédents, la peine de mort étant substituée par la prison à vie au château fort de Spilberk à Brno. C'est là que la vie de l'aristocrate aventureux s'est liée aux capucins. Après trois ans passés dans cette prison peu accueillante et sentant la mort s'approcher, le comte légua à cet ordre une partie de ses biens et souhaita que son corps repose dans leur crypte, par terre, parmi les religieux. Son voeu fut exhaussé, mais aux XIXe siècle son arrière-neveu trouva que la dépouille de l'ancien colonel devait reposer dans un cercueil. Voilà pourquoi la momie élancée du comte François Trenck repose à présent dans une bière pompeuse disposée au niveau supérieur de la crypte des capucins que je vous propose de visiter maintenant.
Il suffit de descendre quelques marches pour ressentir le froid de la crypte. Au XVIIIe siècle, lorsqu'on cessa d'inhumer dans le caveau, la majorité des soixante canaux d'aération fut emmurée. D'abord nous nous retrouvons dans la partie inférieure de la cave où gisent les dépouilles des capucins à même le sable. C'est une curiosité européenne: le système de circulation d'air et la composition favorable de la couche inférieure du sol contribuèrent à ce que les cadavres ne se décomposent pas, mais se momifient graduellement. Les tissus momifiés et brunis des religieux permettent de deviner la forme de leurs visages, notre impression étant intensifiée par quelques objets accompagnant les religieux au lieu de leur repos éternel- un chapelet, un habit? « Nous fûmes ce que vous êtes, vous serez ce que nous sommes », dit une inscription. La crypte abrite aussi les corps des adeptes et des protecteurs de l'ordre qui ne reposent pas par terre mais gisent dans des cercueils, comme le corps de François Trenck. Mais quittons maintenant la crypte et visitons le couvent des capucins dont l'histoire mérite une attention particulière. Le couvent, l'église et la crypte datent de l'année 1650, tandis que les capucins apparurent à Brno en 1603 déjà. Leur couvent d'origine, érigé au-delà des fortifications de la ville, fut détruit par les habitants de Brno, pendant la guerre de Trente Ans, au moment où ils se préparaient à faire face au siège des troupes du général suédois Torstenson. En effet, tous les édifices se trouvant dans les environs des fortifications furent rasés pour qu'ils ne se transforment pas en bastions de l'ennemi. Dans les années cinquante, le régime communiste interrompit l'existence séculaire de l'ordre: les religieux furent emprisonnés. Aujourd'hui, le couvent est habité par cinq capucins et d'autres se préparent à la vie religieuse. L'ordre se consacre avant tout aux activités humanitaires: »Nous sommes les membres d'un ordre souhaitant vivre dans la pauvreté, nous mettons l'accent sur la fraternité humaine, car la paix intérieure de l'homme ne dépend aucunement de la possession de biens matériels », estime le supérieur des capucins de Brno, Pavel Uhrik. Il se peut que le comte François Trenck ait abouti, lui aussi, à la fin de ses jours, à cette conclusion.