Frantisek Drtikol
Pour commencer cette promenade à travers le monde de la culture, un petit horison d'actualité : l'opéra du Théâtre national de Prague, en tournée d'un mois au Japon, y connaît un grand succès, notamment avec La Flûte enchantée de Mozart. A Prague, deux festivals de cinéma commencent la semaine prochaine : dans le cadre du Projet 100, les cinéphiles verront douze joyaux de la cinématographie mondiale, Le Dernier tango à Paris de Bernardo Bertolucci et Le Velours bleu de David Lynch par exemple. Le festival Febiofest présentera des centaines de nouveaux films. Toujours dans le monde du cinéma, le célèbre réalisateur tchèque, Milos Forman, va tourner un film sur le peintre espagnol Francisco Goya. Où ? En Espagne, bien sûr. Le nom de la vedette qui incarnera Goya n'est pas encore connu. Le film devrait sortir en 2002. Splendeurs et misères de l'Inde, voilà le titre qui dit tout sur l'exposition des photos, à Plzen, en Bohême de l'ouest, d'un jeune photographe tchèque, Milan Vachal.
Restons dans le monde de la photographie... Difficile de trouver un sujet plus attirant, du point de vue du public, et plus difficile du point de vue de l'artiste, photographe, peintre ou sculpteur, qu'un corps humain. Et si, en plus, il s'agit d'un corps dénudé... Pourquoi est-ce que l'homme est, depuis toujours, tellement fasciné par le nu qui est, en effet, un reflet de lui-même ? Le nu est spontanné, naturel, il nous montre l'homme tel qu'il est vraiment : débarrassé des clichés, des tabous, des préjugés, de tout ce que la civilisation lui impose.
Je voudrais vous faire connaître, aujourd'hui, un artiste tchèque qui s'est fait remarquer dans le monde entier justement par ses nus. Pourquoi lui ? Parce que le 13 janvier, quarante ans se sont écoulés depuis sa mort, parce que ses oeuvres sont actuellement à voir à Prague, mais surtout, parce qu'il s'agit de l'un des premiers grands photographes tchèques modernes, d'un personnage intéressant et exceptionnel... Frantisek Drtikol est né en 1883 à Pribram, en Bohême centrale, dans la famille d'un petit commerçant. Il aurait peut-être voulu faire des études de peinture, mais son père, homme réaliste, a choisi à sa place un métier artisanal - celui de photographe. A dix-huit ans, Frantisek Drtikol part en stage dans une école de photographie à Munich. Il y reste deux ans. Ce séjour le fait tomber amoureux de la photographie artistique et marquera toute sa vie professionnelle. En 1910, Drtikol s'installe à Prague et ouvre, non loin de la place Venceslas, son célèbre atelier spécialisé dans le portrait. Devant son appareil défilent de grandes personnalités de l'époque, acteurs et chanteurs, musiciens et compositeurs, peintres et sculpteurs, écrivains et poètes, hommes politiques... Parmi elles, par exemple, T. G. Masaryk, futur Président tchècoslovaque, le peintre et écrivain Josef Capek, la vedette de l'opéra, Emmy Destinn, ou encore Paul Valéry, poète français. Que pensait Frantisek Drtikol du portrait ? "Quand je fais une photo du modèle pour un sculpteur ou un peintre, je ne m'occupe que de la forme. A eux d'exprimer le caractère de la personne, ou plutôt leur vision de son caractère. Sinon, j'essaye toujours de matérialiser ce qui est, dans le visage et dans le corps, immatériel, et c'est justement le caractère".
otos sont surprenantes, mystérieuses, pleines d'imagination, poétiques et dramatiques en même temps, arrangées, mais pourtant point "figées", point artificielles. Au début, Drtikol s'est laissé influencer par l'Art nouveau, il fait un cycle de portraits de Salomé, femme fatale, femme cruelle, femme qui domine l'homme. Brune, de grands yeux noirs, des bijoux dans les cheveux, nue, avec la tête coupée de saint Jean-Baptiste entre les mains, voilà la Salomé la plus connue de Drtikol...
Dans les années 20, l'artiste s'inspire de l'avant-garde, du cubisme et du futurisme. Les filles et les femmes jouent, sur ses photos, aves des accessoires aux formes géometriques : cercles, barres, cordes, triangles, boules... Les objets et les corps éclairés jettent des ombres, et on sent très bien que Frantisek Drtikol adore ce jeu magnifique de la lumière. "La lumière est à l'origine de la photographie", a écrit l'artiste, "elle sait donner des centaines de formes à un seul objet et l'oeil du photographe doit être susceptible de percevoir toutes ces nuances. Tout comme le sentiment, qui embellit et anime un visage humain, la lumière embellit et anime des choses. Une bande de lumière, qui entre dans mon atelier et grimpe sur le rideau, c'est un spectacle que je ne donnerais pour rien au monde".
A part le jeu de la lumière, c'est le mouvement qui est caractéristique pour les photos de Frantisek Drtikol. Rien d'étonnant, il choisissait souvent comme modèles des danseuses, des femmes minces aux gestes gracieux. Moins surprenant encore, une d'entre elles, Ervina Kupferova, danseuse aux théâtres les plus prestigieux de Prague, était sa première femme... Dans la moitié des années 30, Frantisek Drtikol surprend ses admirateurs. Au sommet de sa gloire, l'artiste dit adieu à la photohraphie, vend son atelier avec tout l'équipement et offre des milliers de ses photos, dessins et catalogues, au Musée des Arts et Métiers de Prague. Pourquoi avoir sauté du train filant à toute vitesse ? Justement pour ralenir... Le reste de sa vie, Frantisek Drtikol se tient à l'écart de la société. Il se consacre à la philosophie, au bouddhisme. Il a quelques élèves qui l'admirent et viennent le voir dans sa villa pragoise. Après sa mort, en 1961, son oeuvre tombe un peu dans l'oubli, pour être systèmatiquement redécouverte, ces vingt dernières années. A vous aussi, de découvrir son monde rêvé, où les femmes ne vieillissent pas, où elles sont toujours belles, séduisantes et insaisissables, telles qu'elles devraient être même dans la réalité...
Pour terminer cette émission, pourquoi pas un peu de musique... Dans le quartier pragois de Smichov, on peut trouver le siège de l'Institut Bohuslav Martinu. Mercredi dernier, l'Institut où l'on peut trouver tout, sur ce fameux compositeur tchèque de la première moitié du 20ème siècle, a ouvert ses portes aux public. Dans une des prochaines émissions, je vous parlerai des activités de l'Institut, de la Fondation Martinu, créée par l'épouse française du compositeur, Charlotte, et, bien sûr, de la vie, de la personnalité et de la musique de Bohuslav Martinu. Pour vous mettre l'eau à la bouche, voici un petit extrait de son oeuvre...