František Foltýn : trait d’union entre la France et la Tchécoslovaquie pour l’art abstrait

František Foltýn, photo: CTK

Découverte aujourd’hui d’un peintre tchèque, František Foltýn (1891-1976). Une exposition rétrospective lui a récemment été consacrée à la Galerie Morave de Brno, exposition qui a migré à Prague, où depuis le 7 mars jusqu’au 1er juin, elle est reprise dans la Maison à la Cloche de Pierre, sur la place de la Vieille-Ville. Avec les explications d’Anna Pravdová qui a participé à la préparation de cette exposition, c’est l’occasion de découvrir un peintre qui est un des plus intéressants représentants de l’art moderne tchèques dans l’entre-deux-guerres. Et qui comme beaucoup, fit un passage obligé à Paris.

František Foltýn,  photo: CTK
« L’exposition s’appelle ‘František Foltýn, Košice-Paris-Brno’. Elle est conçue par rapport à ses déplacements importants, par rapport à sa carrière de peintre. Il a d’abord commencé à Košice où s’était constituée une colonie d’artistes autour du directeur du musée de la Slovaquie orientale, Jindřich Polák, où Foltýn a pu organiser une exposition personnelle. Il a été là-bas jusqu’en 1924. Pratiquement directement de là, il est allé à Paris où il est resté dix ans jusqu’en 1934. Et en 1934 – on ne sait pas s’il a été obligé ou s’il l’a choisi – il est rentré et s’est installé à Brno. Ce sont les trois grands axes. Ce qui est important pour lui, c’est qu’il a toujours été au bon moment, au bon endroit : au moment où c’était intéressant d’être à Košice, il était à Košice, au moment où c’était intéressant à Paris, il y était et il a pu y rencontrer des gens stratégiquement importants pour sa carrière de peintre abstrait. Ensuite il est rentré à Brno, où la situation était bien sûr un peu différente. »

En traversant cette exposition et les différentes périodes, les différents lieux que Foltýn a fréquentés, on est frappé par la différence de l’œuvre. Pouvez-vous nous donner les différentes périodes qui ont traversé la création de František Foltýn ?

« Il a commencé comme un peintre réaliste, à faire de la peinture plutôt classique, mais quand même intéressante. Jusqu’à la période à Košice où il commence à absorber un peu les tendances de la peinture moderne. C’est là qu’il commence à faire son tableau ‘Impérialisme’ qu’il finira à Paris. On y voit déjà des influences de la peinture cubiste. C’est à Paris qu’il y aura une rupture radicale avec ce qu’il a fait avant : il aura une courte période très proche de l’artificialisme de Štyrský et de Toyen. Après il fera de la peinture, on appelle ça ‘Abstraction biomorphique’. Il va exposer avec le groupe Cercle et Carré, Abstraction-Création. Il sera vraiment au cœur de la peinture abstraite au moment où elle commence à prendre de l’importance à Paris. »

Cette abstraction a-t-elle disparu après son retour en Tchécoslovaquie ?

« Oui. Peu après son retour en Bohême il arrête la peinture abstraite et peint des paysages. Mais il revient pendant une courte période, à la fin de sa vie, à la peinture abstraite. Mais elle n’apportera pas de nouveauté par rapport à sa période abstraite parisienne. »

František Foltýn semble être le représentant, le paradigme du jeune artiste tchèque ou tchécoslovaque, qui part à Paris, capitale des Arts. Pouvez-vous nous retracer un peu l’ambiance de cette époque et ce qui pouvait amener un jeune artiste à partir à Paris ?

« Paris était à l’époque la Mecque des artistes modernes. Comme avant Rome, dans les années 20, c’était Paris. Tous les artistes qui aspiraient à une peinture moderne ou une peinture d’avant-garde devaient passer par Paris. Donc František Foltýn a fait ce même choix et a su vraiment rencontrer les gens importants et s’impliquer dans les mouvements qui étaient en train de naître. Par rapport à un paradigme, en effet beaucoup d’artistes tchèques sont allés à Paris. Paris a été une sorte de catalyseur qui a déclanché chez eux une pensée ou une peinture abstraite. Ça a été le cas pour Foltýn, ça a été le cas pour František Kupka. C’est en partie le cas de Štyrský et Toyen, et c’est en partie le cas pour Šíma. C’est le cas pour certains artistes mais pas pour tout le monde. On ne peut pas faire de généralités mais c’est vrai que certains artistes n’auraient pas fait de la peinture comme ils en ont fait s’ils n’étaient pas allés à Paris. »

Paris a donc joué le rôle de déclencheur, c’était une grande métropole cosmopolite ou on pouvait rencontrer de grands artistes internationaux. Il y avait aussi des formations, des académies, des écoles. Quel a été le parcours de Foltýn à Paris ?

« Il a fréquenté deux académies, en tout cas il le mentionne dans son autobiographie rédigée après son retour de Paris. Les archives de ces académies sont difficilement trouvables. Il a fréquenté l’Académie Julian et l’Académie de la Grande Chaumière, deux académies privées comme il y en avait plusieurs à Paris à cette époque. Elles faisaient concurrence à l’Académie des Beaux-Arts qui était encore très académique. Et les jeunes artistes, surtout étrangers, se tournaient vers ces académies. L’Académie de la Grande Chaumière a été notamment importante pour les artistes tchèques car Emile-Antoine Bourdelle venait enseigner là-bas, il venait corriger les travaux de ses élèves tous les vendredis. Comme il avait eu une exposition à Prague en 1909, beaucoup d’artistes tchèques, notamment les sculpteurs, rêvaient d’être ses élèves à Paris. Ça a pu être le cas pour Otto Gutfreund, et donc Foltýn a choisi cette académie en arrivant à Paris. »

František Foltýn,  photo: CTK
František Foltýn a également fréquenté les cours que František Kupka donnait chez lui, dans son atelier à Puteaux. C’est un aspect peu connu de la vie de Kupka, pouvez-vous nous donner quelques renseignements ?

« František Kupka était à Paris depuis la fin du XIXe siècle. Après la guerre, en 1919, le rectorat de l’Académie des Beaux Arts de Prague, avec l’accord du ministère, a voulu en quelque sorte le remercier pour ses activités pendant la guerre et l’ont nommé professeur de l’Académie des Beaux-Arts extra statum, c’est-à-dire détaché à Paris ce qui permettait à Kupka d’avoir un petit revenu régulier, même si très modeste, et en même temps de pouvoir rester à Paris, où il était chargé de s’occuper des boursiers de l’Académie des Beaux-Arts de Prague. Cela s’est traduit par les conférences qu’il donnait toutes les semaines à ces boursiers. František Foltýn est lui aussi venu pendant les quelques années qu’il a passées à Paris. Kupka leur parlait de l’histoire de France, de la civilisation française, pas seulement au niveau factuel : il essayait de glisser dans ses cours une sorte d’éthique, une sorte de philosophie de l’histoire et une sorte de réflexion. Il essayait d’élever ces artistes au rang d’êtres indépendants qui ont une pensée individuelle autonome. »

František Foltýn suit donc les cours de Kupka, ceux de la Grande Chaumière et du cours Julian. Foltýn va vite participer à des groupes, Cercle et Carré ou Abstraction-Création. Est-ce que qu’il a également eu des expositions personnelles ? Est-ce que son travail a été reconnu ? Est-ce que des critiques français ont parlé de son travail ?

« Avant de participer à ces mouvements importants, il a pu organiser trois expositions personnelles. La première est liée au mouvement Cercle et Carré puisque c’était dans la galerie de Michel Seuphor qui a été à l’origine du Cercle et Carré. Dans ces locaux, ils organisaient des soirées qui s’appelaient ‘Les soirées de l’esprit nouveau’ où Seuphor pouvait monter des expositions de jeunes artiste. Foltýn a pu y organiser sa première exposition personnelle à Paris où il a pu montrer 15 tableaux. Il a pu en organiser une deuxième dans la galerie Quatre chemins, qui était une galerie et une maison d’édition en même temps. Et enfin une exposition à la galerie Bonaparte que les Tchèques connaissent parce qu’elle a exposé Josef Sima et le groupe le Grand Jeu. »

Il a donc eu une certaine reconnaissance. Et pourtant on a l’impression que Foltýn a vécu assez modestement voire misérablement à Paris.

« On ne sait pas trop en fait comment il a vécu à Paris. Tous les artistes tchèques ont vécu modestement, notamment ceux qui faisaient de la peinture peu classique. Mais Foltýn se débrouillait en faisant des illustrations, notamment pour la revue L’Humanité, pour des éditions qui s’appelaient Diffusion et publicité, une maison d’édition de gauche qui publiait des livres sur le prolétariat etc. C’est sûr qu’il n’a pas gagné sa vie par la peinture, mais il était assez débrouillard, en tout cas c’est l’impression qu’il donne. »

Quand il est rentré à Prague, l’exposition le montre, il y a une influence de la peinture abstraite qui commence à arriver en Tchécoslovaquie de cette époque et on voit des œuvres assez semblables à ce qu’a pu faire Foltýn à Paris ou à ce qu’a pu faire un autre peintre à Paris, Jelínek. Est-ce que vous pensez qu’il y a eu une sorte de retour du travail de ces artistes tchèques à Paris ?

« Sans doute. Jelínek a été introduit dans les milieux de la peinture abstraite par František Foltýn. Il a sans doute été marqué par le travail de Foltýn, mais je ne voudrais pas empiéter sur le travail de Hana Rousová qui a fait une étude dans le catalogue sur la peinture abstraite et sur le rôle qu’a pu jouer Foltýn dans l’introduction de la peinture abstraite dans la peinture tchèque. »

Auteur: Bertrand Schmitt
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