Frédéric Martel et les « Culture wars » : Etats-Unis, culture et sexualité à l’Institut français

A l’invitation de l’Institut français, Frédéric Martel était présent la semaine dernière à Prague pour une conférence intitulée « Culture wars : art, homosexualité et politique ». Journaliste et écrivain, il est notamment l’auteur des livres « Le Rose et le Noir : les homosexuels en France depuis 1968 » et « De la Culture en Amérique ». Les « Culture wars », ce sont des polémiques nées aux Etats-Unis à propos du financement de la culture, un thème que Frédéric Martel a présenté à Prague.

« Le sujet des ‘Culture wars’ trace un lien entre deux recherches très différentes que j’ai faites, une qui concernait les gays et qui portait donc essentiellement sur la question de la libération homosexuelle depuis Stonewall, depuis 1969, et d’autre part j’ai travaillé sur le système culturel américain, sur le modèle culturel des Etats-Unis, aussi sur l’influence américaine à travers le monde. Et il se trouve que les Etats-Unis ont eu une politique culturelle intéressante, audacieuse, efficace, qu’on ne connaît pas, et que souvent on a minoré ou marginalisé, surtout les Français… »

On la caricature pas mal, avec Disney et quelques grosses productions américaines, et on croit que toute la production américaine s’arrête là…

« Voilà, même si Disney existe vraiment, ce n’est pas un mythe, mais il n’y a pas que ça, disons. Il se trouve qu’il y a eu, à un moment donné, à la fin des années 1980, au début des années 1990, une très forte polémique aux USA, à travers des spectacles, des œuvres plastiques. Elles étaient financées par le gouvernement fédéral, et notamment l’agence culturelle fédérale, qui s’appelle le National Endowment for the Arts, et elles ont suscité de très fortes polémiques parce que ces œuvres, qui avaient reçu des subventions publiques, étaient controversées, essentiellement parce qu’elles touchaient à la sexualité et notamment à l’homosexualité. C’était essentiellement quatre ou cinq auteurs, qui ont été principalement visés, mais ça a touché plus d’une centaine d’œuvres, donc en fait ça a été assez important. »

Par exemple, une fameuse exposition de photographies…

« En fait, tout a commencé autour de deux artistes qui sont Robert Mapplethorpe, dont les œuvres étaient des photos, dont une partie – il y a des photos très diverses chez Mapplethorpe, des photos de fleurs, de stars – était composée en partie de photos sadomasochistes, et c’est celles-ci qui ont suscité des réserves. Il faut dire que les photos sont très dures, même pour quelqu’un d’habitué à voir des photos… elles sont très violentes, ce sont effectivement des photos difficiles. Et puis il y a eu aussi la photographie très célèbre, qui s’appelle ‘Piss Christ’ d’Andres Serrano : c’est en fait une photo du Christ, avec tout un tas de gouttelettes. Une très belle photo d’ailleurs, orangée, jaune, lumineuse, d’une qualité exceptionnelle, avec un crucifix. Et l’artiste a expliqué que les gouttelettes étaient de l’urine, la sienne. »

Et pourquoi présenter ce sujet, aujourd’hui à Prague ? La question commence à la fin des années 80 aux Etats-Unis… est-ce qu’on retrouve de telles polémiques en Europe ?

« Alors d’abord, vous savez, presque partout dans le monde, lorsqu’il y a polémique, controverse sur l’art, et parfois censure ou quotas ou un système de contrôle quel qu’il soit – c’est vrai en Chine, en Egypte, en Syrie, au Liban, au Brésil… - vous avez toujours au fond les mêmes suspects, les « usual suspects ». Très souvent, la politique, la critique du régime, et très vite après, la question de la famille, du sexe, de l’homosexualité et de la sexualité visible. Donc c’est un thème très récurrent, partout à travers le monde, que ce soit dans le monde catholique, musulman, chez les bouddhistes… Et même parfois dans des états laïcs, pour des raisons variées, c’est vrai aussi aux Etats-Unis à cause du protestantisme. J’imagine que c’est même vrai ici, sans être un pays très croyant, en République tchèque : par exemple, si vous voyez ce que dit Klaus, votre président, en terme de famille, etc., on peut supposer, sans que j’ai d’informations particulières, qu’il a éventuellement une réaction un peu méfiante à l’égard de ce genre de sujets. »