Quand les personnes queer lèvent le voile sur leurs vies
« Dans l’histoire les personnes queer ont souvent été proscrites, les régimes totalitaires les ont réduites au silence, dans de nombreux Etats on les a assassinées, dans certains pays on les a repoussées en marge de la société. Et tout cela malgré le fait qu’ils existent depuis le début de l’existence de l’humanité, qu’ils aient fait partie de la grande histoire et qu’ils aient parfois été ses créatrices, » écrit le journaliste Filip Titlbach (1993) dans la préface de son livre intitulé Byli jsme tu vždycky - Nous avons toujours été là. C’est un recueil de treize entretiens avec des gens de la communauté LGBT qui parlent ouvertement de leurs vies, de leurs aspirations et de leurs rapports avec la société.
Un recueil de treize entretiens
Filip Titlbach, qui est un journaliste connu, voulait d’abord écrire lui-même un livre sur la vie des personnes queer, mais il a abandonné le projet parce qu’il estimait être dépourvu de talent littéraire. Mais, se rendant compte qu’un livre de ce genre manquait dans les librairies tchèques, il a finalement décidé de donner la parole aux autres et de publier un livre d’entretiens :
« Je me suis dit: ‘Tu sais poser des questions. Et puis aussi tu connais assez bien cette problématique.’ En effet, j’ai ma propre histoire que je sais communiquer, que je peux partager avec les autres. Et finalement, j’ai aussi beaucoup de contacts et d’amis. Quand on est journaliste, on fait un travail qui repose sur les contacts incessants avec les autres. Et grâce à mon travail, je dispose aujourd’hui d’un tel réseau de contacts que je peux faire parler les gens capables de raconter l’histoire de leur vie, je connais les récits susceptibles d’intéresser la société majoritaire. Je peux faire parler également les gens dont les expériences sont extrêmes, et ce genre d’histoires figurent aussi dans mon livre. Et puis j’ai donné la parole à des gens qui s’occupent sérieusement d’un pan particulier de la réalité queer. J’ai donc essayé de réunir tous ces gens-là. »
Assumer sa véritable identité
Le livre s’ouvre par la confession de Filip Titlbach lui-même. Il évoque son enfance et adolescence dans une ville de Bohême de l’Ouest. L’enfance d’un garçon homosexuel qui vit dans un milieu où l’homophobie est de rigueur et qui découvre sa différence qu’il considère comme inavouable. Solitaire et angoissé, il se sent seul au monde et sa situation lui semble sans issue. Après de longues hésitations, il doit rassembler toutes ses forces intérieures pour avouer son homosexualité d’abord à un ami, puis à sa mère. Leurs réactions positives lui permettent finalement d’assumer son véritable identité et de respirer librement. Son livre est donc destiné entre autres à tous ces jeunes qui n’arrivent pas à vivre librement leur vie mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle il a été écrit :
« La raison beaucoup plus importante est le fait que cela existe toujours. Autour de moi il y a de plus en plus de gens qui se heurtent à des injustices et des obstacles qui ne devraient plus exister. Nous ne sommes pas encore parvenus à une situation où les gens se respecteraient tels qu’ils sont nés. Ce n’est pas encore le cas. »
Les différents aspects de la communauté LGBT
Dans le livre, il y a donc des entretiens avec des personnes représentant presque tous les aspects de la communauté LGBT. Un psychothérapeute explique l’état psychologique de ces gens différents. Il retrace les différentes phases du coming out, c’est-à-dire de la révélation volontaire d’une orientation sexuelle, et cherche à expliquer les réactions de la société et les racines de l’homophobie. Une militante lesbienne évoque ses expériences de directrice du festival des fiertés Prague Pride et les diverses formes de discrimination dont est victime la communauté LGBT. Un jeune homme parle de son conflit traumatisant avec sa mère catholique qui a refusé d’accepter son homosexualité et voulait à tout prix en faire un hétérosexuel. Filip Titlbach dénonce ces tentatives de conversion vouées à l’échec mais qui peuvent avoir de graves conséquences psychologiques :
« Dans le livre, il y a treize entretiens et parmi les personnes interrogées il y en a, je pense, quatre qui parlent de la thérapie de conversion. C’est un traitement visant à changer l’orientation sexuelle de l’individu. Cela est pratiqué surtout dans les milieux religieux. Je croyais que cela existait surtout à l’étranger mais que ce n’était plus pratiqué en Tchéquie. Il s’avère pourtant que même chez nous, il y a des gens qui ont été obligés à suivre une thérapie de conversion ou qui connaissent des gens qui l’avaient suivie. Et c’est quelque chose qui m’a vraiment choqué. »
Les vieilles certitudes ébranlées
Parmi les autres personnes qui se confient ouvertement dans le livre, on trouve un gay séropositif qui raconte sa vie dans la société, une femme qui a changé de sexe et se sent bien dans sa nouvelle identité et aussi une personne intersexuelle qui refuse de choisir entre les identités masculine et féminine. Le monde binaire dans lequel les rôles de l’homme et de la femme étaient définis une fois pour toutes, commence donc à se compliquer, les vieilles certitudes sont ébranlées et cela peut provoquer l’incompréhension, la réticence et le rejet de la société majoritaire. Filip Titlbach cherche à éclairer et à instruire tous ceux qui ne s’opposent pas rigoureusement à l’évolution de la société :
« C’est un livre pour tous ceux qui ont l’esprit ouvert. Et je crois qu’il est compréhensible même pour les gens hétérosexuels à condition qu’ils aient l’esprit ouvert. Presque à chaque page le lecteur trouvera des notes qui lui expliquent ce que signifie queer, ce que veut dire l’hétéronormativité, d’où vient tout cela, pourquoi au XVIe siècle le mot queer avait une autre signification, etc. Il y a donc beaucoup de notes explicatives afin que n’importe qui puisse lire ce livre. »
Vivre sa vie
Evidemment, un livre de ce genre ne peut pas saisir l’ampleur d’une problématique qui touche directement ou indirectement toute la société. Filip Titlbach sait bien qu’il y manque plusieurs thèmes importants. Il regrette particulièrement de ne pas avoir évoqué dans le livre les transformations que subit la famille actuelle ou l’identité de genre des gens âgés. Il espère cependant que son livre pourra aider surtout ceux qui se sentent exclus et isolés, dont les désirs et les aspirations naturelles se heurtent à l’incompréhension et qui ont pourtant le droit de vivre leur vie :
« Je reçois beaucoup de réactions de parents mais ce sont surtout des parents qui ont déjà eu un problème de ce genre concernant leur enfant. Récemment, c’était par exemple une mère qui m’a écrit que mon livre l’avait beaucoup aidée. Sa fille est lesbienne et la mère n’arrivait pas à accepter ce fait. Après avoir lu le livre, elle s’est rendu compte que c’était une prédisposition intérieure et elle le comprend maintenant parce qu’elle voit que c’est un phénomène qui concerne beaucoup d’autres gens. »