French Kiss : « Etre DJ, c’est avoir une vraie culture musicale »
Sans être aussi réputée que Berlin ou Paris, Prague est une capitale où la vie nocturne peut être assez entraînante, avec de nombreux clubs et boîtes de nuit aussi bien pour les touristes que pour les locaux. Elle attire par conséquent de plus en plus de jeunes DJ qui viennent tenter leur chance dans une ville où il est encore assez facile de faire sa place ; parmi eux, un duo de DJ français, French Kiss, arrivés il y a tout juste un an, qui embrasent – ou embrassent – depuis lors les pistes de danse des meilleurs clubs pragois.
Chapeau, lunettes blanches, petit look « stylé », DJ Space Monkey et DJ French Peanuts, alias Franck Gampio-killy et Saïd Khammar, ont un emploi du temps bien chargé depuis leur arrivée à Prague il y a un peu plus d’une année. Informaticiens le jour, ils tournent la nuit dans les clubs pragois comme le Vertigo club, l’Akropolis, le Duplex ou le Cross Klub. DJ Space Monkey raconte les raisons de leur succès :
« On vient d’une culture où sur le marché français, il y a énormément de choix. La possibilité d’avoir une ouverture est beaucoup plus grande. Aussi, le fait d’être expatrié permet de voir différentes cultures. J’ai vécu deux ans au Danemark, j’ai commencé à écouter plus d’électro-jazz, des gens comme Trentemoller en électro. Ça nous a vraiment permis d’élargir notre vision. C’est cela notre particularité, de ne pas jouer que de l’électro, ou que de la techno. La culture musicale est grande, pourquoi se contenter de rester sur un même paramètre ? La différence n’est pas qu’on est meilleur DJ que les autres, pour sûr, mais si on regarde notre parcours depuis qu’on est à Prague, on joue dans différents types d’endroit. On n’est pas cantonné à un endroit justement parce qu’on joue différents types de musiques. »
Vous vous appelez « French kiss ». En musique électro, on pense tout de suite à la « French touch ». Est-ce que vous faites référence à cette idée-là ?
« Je viens de Paris, j’ai grandi avec Miss Kittin, Laurent Garnier au Rex, tous ces gens-là. Je pense surtout que la ‘French touch’ à l’époque, quand on voyait Daft Punk, ou Etienne de Crécy, ou Alex Gopher aller mixer à Los Angeles, c’est surtout qu’ils apportaient un particularisme. Paris, ou la France en général, est un pays où il y a énormément de mixité. Si on compare en Europe, c’est une ville qui est très mixée. Quand on se balade dans le métro à Paris, on peut voir Marakkech, l’Afrique etc. French kiss, on n’a pas de références à la ‘French touch’. On a pensé French kiss, parce qu’étant donné qu’on est expatrié, on a toujours une petite pensée pour la France. On n’est pas chez nous, ça fait longtemps qu’on est expatrié. Parfois c’est un peu compliqué, les amis ne sont pas là, la famille n’est pas là. Mais ce n’était pas en rapport avec la ‘French touch’, même si on a énormément de respect pour elle parce que ça a donné une ouverture à énormément de DJ français dans le monde. »
French Kiss, ça a aussi un côté un peu coquin. Le French kiss est connu à travers le monde mais qu’est-ce que ça veut dire ?
DJ French Peanuts : « C’est un petit peu un état d’esprit. Ça a aussi un côté vendeur. On est Français, on ne réalise pas, mais en vivant à l’étranger, je me suis rendu compte que ça donne tout de suite un côté sexy, romantique, etc. Les gens aiment bien quand même les Français à l’étranger. »
Vous commencez tous vos sets avec des discours de Martin Luther King ou Barack Obama, quelles sont les réactions que vous rencontrez ?
DJ French Peanuts : « C’est un petit peu une marque de fabrique. Quand on veut se faire remarquer, et dire qu’attention, on arrive ! Ça permet vraiment aux gens de tout de suite nous reconnaître. »
Y-a-t-il un petit côté que je ne voudrais pas qualifier de politique mais j’imagine que vous ne jouez pas Obama ou Luther King par hasard pour autant ? Ce sont des personnes que vous devez respecter, admirer et promouvoir d’une certains façon ?
DJ Space Monkey : « Pour moi, cela vient de ma culture. Ma mère avait vu Mohammed Ali au Congo. Je viens du Congo. Je suis un fan de Miles Davis, de John Coltrane, et ces gens-là se sont battus, et sont arrivés à un tel niveau musical, mais ils ont quand même dû se battre énormément, parce qu’ils allaient parfois dans des ‘gigs’ mais ils étaient noirs et cela ne passait pas. Mais comme leur musique était trop importante, au bout d’un moment, quelque chose est passé. Ce discours d’Obama, c’est aussi pour dire qu’à Prague, le problème que l’on voit – c’est notre opinion – est un problème d’ouverture. Sur les musiques alternatives, ou qui sont dites alternatives mais qui ne le sont pas si on se place du côté français ou à Barcelone, ou New-York. Mais ici, ça sonne alternatif, de jouer brésilien, ou de jouer même du Trentemoller, ça commence déjà à paraître alternatif. Jouer Obama, c’est juste pour dire qu’on arrive et qu’on va montrer autre chose. Ce n’est pas forcément quelque chose de mieux – on ne le prend pas avec un tel snobisme – mais on se dit juste qu’on peut montrer quelque chose que d’écouter du ’50 cent’. Il existe un large choix musical. »
French Kiss est devenu récemment un trio avec l’intégration de Max, un saxophoniste, qui permet d’enrichir les sets de deux DJs. Pour ces derniers, c’est une évolution importante dans leur façon de concevoir leur musique. DJ Space Monkey :
« Il y a eu cette période justement avec la French touch où les gens sont devenus des DJ stars, mais ils mettent juste un CD dans une boîte et ils arrivent à les mixer ensemble. Il n’y a rien d’extraordinaire, mais ce qui devient extraordinaire, et je parlais avec Laurent Garnier quand il est venu ici à Prague il y a quelques semaines, c’est que cela fait peut-être 14 ans qu’il mixe – il est devenu une légende de la techno – mais il me disait qu’il commençait à être content parce qu’il a son propre groupe. Il crée de la musique, il fait de la musique avec de vrais instruments, avec des vrais gens. »
C’est un peu paradoxal. Le DJ passe des disques et ne crée pas de musique. Pourtant, on dit que faire DJ est un travail, qu’il faut préparer et qu’il y a beaucoup de travail derrière. Quel est ce travail du DJ ?
« Le travail, c’est la culture musicale. J’ai compris un jour une chose quand je suis parti vivre à New-York. J’allais souvent dans les ‘gigs’ de jazz. Il y avait des gens qui ne payaient pas de mine, mais quand on leur disait par exemple 1976, ils répondaient que Miles Davis avait joué à Montreux. C’est une bêtise, c’est juste un exemple. Mais ils avaient des références. Ils n’étaient pas musiciens mais pour eux, la référence culturelle, la culture musicale, ce n’était pas seulement d’écouter des musiques, mais c’était de connaître son sujet, de savoir pourquoi Coltrane répète dix heures pas jour, pourquoi il va jouer telle note à tel moment. Je pense que DJ, ce n’est pas seulement venir mettre des CD, il faut une culture musicale. Rien que d’entendre le saxophone, cela me fait penser à Coltrane ou à Charlie Parker. Et cette culture musicale fait la différence entre un bon et un mauvais DJ, parce que la technique se travaille, ce n’est pas un problème. Je pense que la base du DJ, c’est de se cultiver. »