Galileo : « Se baser seulement sur le GPS américain serait dangereux »

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Le siège de Galileo sera à Prague. L’accord final a été conclu début janvier dans le cadre d’une conférence sur le système européen de navigation par satellite organisée dans la capitale tchèque. A l'occasion de cet événement, pour parler plus en détails de ce qu’est Galileo, Radio Prague s’était entretenu avec Paul Flament, l’un des responsables à la Commission européenne. Alors que Galileo doit être officiellement lancé début septembre, c'est l'occasion de revenir sur les enjeux de ce projet ambitieux qui doit venir concurrencer le GPS américain.

Paul Flament
« Le focus principal de cette conférence est orienté sur les applications de la navigation par satellites, et cette conférence est organisée ici aujourd’hui parce que l’agence qui va gérer les programmes Galileo et EGNOS dans le futur va s’installer à Prague en 2012. »

Qu’est-ce qu’EGNOS?

« Aujourd’hui il existe un système mondial de navigation par satellites qui est le GPS américain. Tout le monde le connaît parce qu’il permet entre autres de naviguer les voitures aujourd’hui. L’Europe, depuis maintenant une dizaine d’années a développé un système pour améliorer les performances de ce GPS au-dessus du territoire européen. Donc EGNOS est un système qui améliore les performances en termes de précision de localisation des équipements, des voitures, des trains, des avions et des bateaux, et qui permet également d’assurer ce que l’on appelle l’intégrité des signaux GPS.

Aujourd’hui, quand un avion atterrit sur un aéroport, il a besoin de savoir si les informations qu’il reçoit du GPS sont 100% fiables. Le système EGNOS rajoute cette information sur la fiabilité de ce qui arrive du GPS. Comme ça un avion qui atterrit peut savoir si les satellites GPS qu’il a au-dessus de lui sont réellement en fonction et fonctionnent correctement. Pour un avion, la précision à quelques mètres est très importante. EGNOS lui donne cette précision… »

Où en est-on avec Galileo ? Une date a été fixée à 2014, les délais vont-ils être respectés ?

« Les délais sur Galileo sont compliqués parce que l’Europe met en place une machine nouvelle et complexe pour laquelle l’Union et les industries européennes ont dû apprendre. Aujourd’hui sur le papier, l’ensemble des conditions sont là pour qu’à la fin de 2014 nous ayons déjà des services qui puissent être mis à disposition des utilisateurs. Derrière la fourniture de services, il y a une architecture avec une infrastructure, des stations au sol et des satellites en orbite. Dès que l’on met des satellites en orbite, on commence à fournir des services, en interopérabilité avec le GPS américain. Aujourd’hui, il y a déjà deux satellites Galileo opérationnels. Les récepteurs qui seraient équipés des chaînes de réception pour Galileo pourraient déjà utiliser ces satellites. Au fur et à mesure que nous allons augmenter le nombre de satellites, les précisions seront meilleures et les utilisateurs pourront tabler sur les satellites Galileo. »

Vous parler de précision ; je crois qu’aujourd’hui le GPS permet une précision à 20 mètres, en tout cas pour les services gratuits, et que Galileo veut devenir précis à 4 mètres ?

« Effectivement la précision qu’offre le GPS est comprise entre 10 et 20 mètres. Quand Galileo sera là on descendra au niveau du mètre. Mais il y a d’autres paramètres qui entrent en jeu : il y a la couverture – à certains endroits le GPS n’offre pas la précision de 10 à 20m ; il y a aussi une question de disponibilité en termes de temps – pendant 98% du temps le GPS offre cette précision mais pendant 1 ou 2% du temps non. Donc le terme de précision est simple parce qu’il frappe l’esprit mais au niveau technique, il y a d’autres paramètres à mettre en œuvre. Toujours est-il qu’avec Galileo la précision sera de l’ordre du mètre. »

Derrière ces paramètres techniques, il y a un enjeu géostratégique, parce que le GPS est un monopole américain. Le Pentagone peut décider de l’éteindre ou de restreindre son utilisation. Il semble que ça a été le cas pendant la dernière guerre d’Irak ou les bombardements de l’ex-Yougoslavie. C’est un défi européen, vous êtes bien placé à la Commission pour savoir que cela a été compliqué entre les Etats-membres de faire passer ce projet. Même si c’est sur la bonne voie, ça reste compliqué…

« Techniquement le système est effectivement compliqué mais pour les utilisateurs l’important est de se dire : aujourd’hui on dispose d’un système qui est le GPS américain. Les Américains sont nos amis, cela m’étonnerait qu’un jour ils décident de restreindre l’accès du GPS au-dessus de l’Europe. Toujours est il qu’il y a des ingénieurs qui travaillent sur ces projets et qui vous diront toujours qu’il est bon de disposer d’un système mais qu’il est meilleur de disposer de deux systèmes pour des raisons de ‘back-up’, c’est-à-dire, de solution de secours. »

« Donc, baser des applications sur un seul et unique système contrôlé par un centre de contrôle qui pourrait avoir des problèmes, c’est dangereux. On dit aujourd’hui que 6% de l’activité économique dans les pays industrialisés utilisent le positionnement et le temps fournis par le système GPS. Cela veut dire que 6% de nos économies sont dépendantes du système GPS américain que nous ne contrôlons pas du tout. Pour des raisons de sagesse, il est bon qu’il y ait au moins un deuxième système qui puisse prendre le relais si jamais le premier devait avoir un problème. »

« Deuxième raison : pour les industries européennes il est bon également d’apprendre et d’avoir la maîtrise des techniques de navigation par satellites. Jusqu’à il y a une dizaine d’années, les seules sociétés qui fabriquaient des récepteurs de navigation et concevaient des applications basées sur la navigation par satellites étaient des industries américaines. Depuis que le projet Galileo a été mis en place, les industriels européens commencent à avoir les compétences et le savoir-faire pour eux aussi développer des récepteurs et des applications. C’est là qu’est le réel enjeu : dans les applications, pas dans la mise en place du système en lui-même. Et Galileo a permis aux industriels européens d’acquérir les connaissances nécessaires pour les applications. »

Cela n’empêche pas que cette conférence est organisée à Prague avec comme principal partenaire la société américaine Honeywell…

« Oui, ça c’est intéressant… Effectivement, les autorités de Prague ont visiblement des partenariats avec cette société. J’ai parlé avec le représentant de Honeywell ici qui m’a dit qu’il ne fallait pas voir cette société comme une société américaine. C’est une société internationale comme peut l’être par exemple Siemens, une société également internationale qui a aussi des activités aux Etats-Unis. Et ils ont des compétences, qui peuvent être utilisées dans les systèmes de navigation. D’où la présence d’Honeywell ici à cette conférence. Il semblerait qu’ils ont des centres de recherche importants à Prague, raison pour laquelle ils ont décidé de mettre de l’argent dans cette conférence. »

Qu’est-ce que sera ce centre praguois de Galileo?

Le siège de la GSA à Prague
« Aujourd’hui le projet de la navigation par satellites est géré par la Commission européenne à Bruxelles, et nous utilisons l’agence spatiale européenne comme architecte technique. La Commission n’a pas vocation à gérer des programmes technologiques comme Galileo. Pour des raisons historiques la gestion se fait depuis Bruxelles, mais l’idée est d’externaliser la gestion du programme vers cette agence, qu’on appelle la GSA, ici à Prague. Toutes les activités de gestion du programme vont être transférées à Prague. Ne resteront à Bruxelles que les aspects de propriété, parce que l’UE reste propriétaire du système – il y a aussi une responsabilité vis-à-vis du Parlement et du Conseil européen – et les aspects de relations internationales. Tout le reste – les choix du nombre de satellite, de l’exploitant technique du système, de la manière de créer les interfaces nécessaires avec les utilisateurs – sera géré depuis le centre GSA à Prague. »


Rediffusion du 31/01/2012