Goethe en Bohême

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En juillet 1785, Johann Wolfgang Goethe arrive pour la première fois en Bohême. Le célèbre poète n’a que de 36 ans mais sa santé est déjà capricieuse et il décide de faire une cure dans la célèbre station thermale de Karlovy Vary (Karlsbad). Il ne sait pas encore que c’est le début d’une longue série de séjours curatifs qui lui feront passer en Bohême au total 1 114 jours, donc presque trois ans, et qui l’attacheront à la Bohême par d’innombrables liens aussi subtils que solides. C’est à ce rapport fructueux entre un génie et une région qu’est consacré le livre de Johannes Urzidil intitulé « Goethe en Bohême ». La première version allemande de ce livre paraît en 1932, mais la traduction tchèque de cet ouvrage substantiel se fera attendre très longtemps et ne paraîtra qu’en 2009. Voici la reprise d’une émission que nous avons consacrée a ce livre en février dernier.

Jeune homme, homme dans la force de l’âge et vieillard vénérable - c’est à tous les âges de sa vie que Goethe viendra en Bohême pour y chercher la santé, les beautés naturelles, les inspirations littéraires et picturales, les objets de ses recherches scientifiques et aussi une bonne société dans laquelle ne manquent pas même des têtes couronnées. C’est en Bohême que le poète rencontrera aussi quelques femmes qui laisseront une empreinte profonde dans sa vie. Nous pouvons dire en exagérant à peine que ces dix-sept séjours en Bohême lui permettront d’assouvir temporairement presque toutes les exigences de sa soif de savoir.


Au début du XXe siècle l’écrivain tchèque de langue allemande Johannes Urzidil décide de réunir tout cela dans un livre qui paraîtra en 1932 aux éditions Hans Epstein à Vienne. Ce n’est cependant que l’ébauche du texte définitif dont la gestation prendra encore une trentaine d’années. Selon Václav Petrbok, éditeur de la traduction tchèque de l’ouvrage, l’effort de présenter la matière de son livre dans son plus large contexte rapproche Urzidil de Goethe lui-même car le poète cherchait lui aussi à voir les choses dans leur complexité :

« Goethe a vraiment cherché à saisir l’ensemble de la problématique qu’il appelle ‘das böhmische Ganzes’, ce que nous pourrions traduire comme la ‘totalité tchèque’. Il abordait cette problématique en tant qu’historien de la culture intéressé par les activités littéraires d’une région, son histoire, les sciences naturelles, la géologie, la minéralogie, la botanique, l’ethnographie. En gros, Urzidil voyait en Goethe une espèce de son double à cause de l’ampleur et de la variété de ses intérêts et il voulait, lui aussi, saisir l’ensemble de ces thèmes. C’est pourquoi la création de son livre a pris beaucoup de temps et a été assez compliquée, et c’est pourquoi il y a une telle différence entre sa première version de 1932 et les versions postérieures datant du début des années 1960.»


Ulrike von Loewetzov
Johannes Urzidil divise son livre en sept parties. Dans la première, il relate avec une grande richesse de détails les dix-sept séjours du poète à Karlovy Vary, à Teplice et dans d’autres localités tchèques. Une partie du livre est consacrée aux trois femmes que le poète a fréquentées en Bohême et qui ont joué, chacune à sa manière, un rôle important dans sa vie. L’auteur évoque d’abord Marianna von Eybenberg, une belle Berlinoise très intelligente qui est devenue amie intime du poète. Un chapitre est consacré à l’impératrice autrichienne Marie Ludovika qui a témoigné à Johann Wolfgang beaucoup d’amitié et de sympathies. Et l’auteur ne peut pas passer sous silence le dernier grand amour de Goethe, Ulrike von Loewetzov, une jeune fille qui a fait naître dans le cœur du poète septuagénaire un espoir de bonheur et qui, en refusant sa main, l’a plongé dans une déception amère.

Les parties suivantes du livre évoquent les paysages tchèques visités par Goethe, le milieu culturel tchèque, le reflet des séjours en Bohème dans l’œuvre du poète, ses recherches scientifiques effectuées en Bohême et les répercussions de l’œuvre de Goethe dans le milieu tchèque. Pour l’éditeur Václav Petrbok le livre est loin d’être une simple description d’une personnalité phénoménale dans un certain contexte mais plutôt une œuvre d’art très particulière :

Jelení skok à Karlovy Vary par Goethe,  1807
« Johannes Urzidil réunit en lui d’une façon bien particulière un chercheur, un historien de la littérature et un artiste de la parole.(…) Il se délectait littéralement en juxtaposant différents niveaux stylistiques du texte, que ce soit des écrits de Goethe lui-même ou les lettres qui lui ont été adressées. Il se délectait à décrire d’un ton légèrement ironique et parfois même avec un petit penchant pour l’exagération les passions culinaires de Goethe, son intérêt pour la minéralogie, ses relations avec la société des stations thermales. Son texte a également de grandes qualités littéraires. Cependant, il faut le lire sans se presser, à petites doses. Ce n’est pas un texte à lire sans interruption mais je pense que, grâce à ses qualités littéraires considérables, il peut trouver des lecteurs même aujourd’hui. »

Et Václav Petrbok de constater que cette approche du géant de la littérature, le ton amusé et amusant de certains chapitres, trouve un appui dans l’œuvre de Goethe lui-même :

«Goethe n’était certes pas un classique de plâtre ou de marbre bien qu’il soit parfois considéré comme tel et que lui-même ait voulu quelquefois se présenter de cette façon. L’humour, l’ironie, et l’auto-dérision ne lui font pas défaut. Nous les retrouvons dans sa correspondance, dans ses poèmes et dans ses aphorismes dans lesquels il se plaint avec humour par exemple des mauvais services dans certains établissements thermaux ou dans lesquels il ironise sur sa situation momentanée, ses problèmes de santé et son état psychique. Dans ce sens, Goethe était, j’ose dire, un homme complet. Il s’ouvrait avec convoitise au milieu tchèque dans lequel il vivait. Il le considérait comme un milieu qui l’enrichissait, qui l’inspirait mais vis-à-vis duquel il a su garder aussi une certaine distance, un certain recul dans le sens positif du terme. »

Václav Petrbok
D’après Václav Petrbok, bien que Goethe n’ait jamais visité les territoires habités majoritairement par la population tchèque, il en était bien informé grâce à ses lectures mais aussi grâces à ses contacts et à ses relations. Il souligne que Johannes Urzidil ne voulait pas écrire qu’une étude spécialisée sur les séjours de Goethe en Bohême de l’ouest et du nord. Cela aurait été évidemment possible mais il cherchait quelque chose de plus. Il ambitionnait de faire revivre dans sa plénitude l’image de Bohême allemande disparue depuis longtemps, ses beautés naturelles, son milieu culturel et ses rapports avec l’ethnie tchèque :

« Et justement, cette ambition d’Urzidil de mettre en relief ce milieu avec toutes ses couleurs et ne pas se limiter à une description statique des séjours de Goethe en Bohême donne un grand intérêt à ce livre qui peut, dans une certaine mesure, suppléer à un ouvrage sur l’histoire culturelle de Bohême du nord-ouest des premières trois décennies du XIXe siècle. »

(L’étude historique de Johannes Urzidil «Goethe en Bohême » traduit en tchèque par Veronika Dudková et Michaela Jakobsenová est sorti en 2009 aux éditions Pistorius et Olšanská.)