Guy Erismann, homme comblé par la musique
Nous espérions lire ses nouveaux livres, faire des interviews intéressantes avec lui et même l'accueillir encore à Prague. Tout cela n'est plus possible. Guy Erismann nous a quitté dans la nuit du 5 au 6 septembre comme s'il voulait accompagner Luciano Pavarotti, un autre grand disparu.
Dire que Guy Erismann était musicologue serait défigurer par la froideur de ce mot le rapport chaleureux que cet homme entretenait avec la musique. Ce grand amoureux de la musique tchèque voulait partager sa passion avec les autres et il l'a fait pendant toute sa vie grâce à la radio et à l'écriture. Il s'interrogeait lui-même sur les racines de son engouement :
« Chaque fois qu'on entend la musique tchèque, celle qui est la plus connue, les quatre grands Smetana, Dvorak, Janacek et Martinu, on sait bien dans quel pays on est. On est en Bohême, on est en Moravie, on est sur le Plateau tchéco-morave et cette musique ressemble vraiment à ce pays. On voit le pays, on voit la nature. Et puis pour peu qu'on s'intéresse à l'histoire, car il est impossible de s'intéresser à la musique tchèque sans s'intéresser à l'histoire du pays, on voit les grandes correspondances et les grandes connivences entre l'histoire et la musique. »
La liste des ouvrages de Guy Erismann consacrés aux compositeurs tchèques commence en 1964 lorsqu'il publie une monographie d'Antonin Dvorak. Par la suite il écrira des livres sur Leos Janacek, Bohuslav Martinu et Bedrich Smetana et finira par se lancer dans la rédaction d'un ouvrage encyclopédique « La musique dans les pays tchèques », entreprise difficile et périlleuse pour un chercheur qui n'est pas tchécophone. Il considère le livre comme un bon instrument pour propager la musique :
« ... à condition qu'il replace la musique dans son contexte, historique, social et religieux. Il faut que la musique raconte ce qu'est le peuple et le pays, ce que signifient ses paysages, ses sites etc. Sinon on ne comprend pas. On ne comprend pas les poèmes symphoniques de Smetana, on ne comprend pas pourquoi Dvorak a écrit l'opéra « Dimitri » plutôt qu'autre chose, pourquoi Smetana a écrit « Libuse », pourquoi Martinu, après être venu en France et s'être nourri de culture française, retourne d'une manière tout à fait nette vers les racines de son pays, vers la Vysocina, par exemple... »
L'intérêt profond pour notre musique a amené Guy Erismann à la présenter dans d'innombrables émissions de radio, dans des colloques et des conférences. C'est en raison de cet intérêt qu'il a fondé en France le Mouvement Janacek, association des amis du compositeur qu'il comparait au soleil et dont il admirait la passion de la vérité. La musique l'a amené à étudier aussi l'histoire et la civilisation tchèque :
« Vous êtes au coeur de l'Europe, ce n'est pas une formule d'historien, une formule de poète. La Bohême, la Moravie, vous êtes le coeur de l'Europe, le carrefour de l'Europe, tout s'est passé chez vous, les grands courants de pensée se sont rencontrés, les grandes armées et les grandes religions se sont affrontées. Vous êtes un pays qui apporte beaucoup, si on veut bien se donner la peine d'étudier son historie, qui apporte beaucoup à l'histoire des autres. Moi, maintenant, je ne peux plus parler de l'histoire de France sans immédiatement penser à ce qui se passait en même temps chez vous ... »
La vie de Guy Erismann est close, son oeuvre nous reste. En lisant ses livres, on sent que c'était un homme heureux, homme comblé par la musique, homme généreux qui nous a tous invité à partager son bonheur.