Guy Erismann : Les mystères de la musique d'Antonin Dvorak

0:00
/
0:00

« Comment Antonin Dvorak qui mourut il y a cent ans, et dont la vie recouvre toute la seconde moitié du XIXe siècle, est-il devenu, en même temps que le plus populaire des compositeurs tchèques, l'incarnation de tout un peuple, dans son absolu et dans ses contradictions » ? se demande Guy Erismann dans le prologue de la monographie qu'il a consacré au compositeur qui avait réussi à imposer la musique tchèque sur le plan international. Le livre paru aux éditions Fayard retrace la création et la vie de Dvorak, mais il est également une grande tentative de placer son oeuvre dans le contexte culturel et social de son époque. C'est pourquoi Guy Erismann met l'accent sur les rapports de Dvorak avec d'autres grands compositeurs tchèques - Smetana, son aîné, et Janacek, son cadet. Il s'interroge aussi sur les sources de cette musique et sur sa force mystérieuse qui envoûte l'auditeur :"Il reste toujours une part de mystère dans chaque individu, écrit-il, notamment celle qui distingue l'artiste véritable du besogneux. Cette part-là ne se définit pas. C'est ainsi que l'harmonie de Dvorak qui n'apparaît ni neuve ni originale en soi est propre à piquer la curiosité. Le miracle réside peut-être dans l'étroite association de la mélodie et du rythme qui sont les caractéristiques de l'incroyable jaillissement du compositeur. Elle procède de l'une et de l'autre, comme se formant spontanément au fur et à mesure que ces éléments, les plus directement populaires - qu'on pourrait qualifier d'instinctifs - se présentent à sa pensée. C'est un peu comme si, par enchantement, l'harmonie se colorait d'elle-même au gré des fluctuations mélodiques et rythmiques de l'inspiration. Dvorak n'a jamais eu véritablement de maître dans l'art d'orchestrer et d'instrumenter. " De nombreuses questions surgissent quant on lit ce livre sur Dvorak, ce qui d'ailleurs n'est pas le moindre de ses mérites. J'ai posée quelques unes de ses questions à l'auteur lui-même.

Vous avez écrit des monographies de Smetana, de Janacek et de Martinu. On peut dire donc que la série des grands compositeurs tchèques est complète. Pourquoi n'avez-vous abordé Dvorak qu'à la fin ?

"En réalité, j'avais écrit un livre sur Dvorak il y a très longtemps, en 1966, un petit livre publié aux éditions Seghers que je considérais comme périmé, parce qu'en ce moment on n'avait que très peu de contacts avec vous et beaucoup de sources me manquaient. Alors, une fois que j'ai fait les monographies des autres compositeurs j'y suis revenu pour faire un Dvorak plus conforme à ce que je pense. C'est donc quarante ans après, j'ai quand même plus d'expériences et une meilleure connaissance de Dvorak. "

Peut-on le comparer à d'autres compositeurs tchèques. Quelle est sa place ?

"Il a une place majeure dans l'école tchèque du XIXe siècle. Mais on ne peut pas quand même sous-estimer l'apport capital de Smetana avant lui. D'ailleurs ils se connaissaient, vous savez que Dvorak jouait sous la direction de Smetana dans l'orchestre du Théâtre provisoire à Prague. Ils se connaissaient très bien mais c'étaient des personnages extrêmement différents sur le plan du caractère et du tempérament, sur le plan des idées politiques etc. Mais, ils s'entendaient bien et ils avaient des points communs comme la recherche de la vérité, comme le culte de la patrie et de Jan Hus, bien que Dvorak soit un homme très influencé par la contre-réforme."

Peut-on situer Dvorak dans le contexte musical européen ?

Dvorak a beaucoup souffert d'être toujours en compétition avec les compositeurs du romantisme allemand surtout, dont certains étaient d'ailleurs des amis de lui, notamment Schumann, Wagner, Brahms. Brahms était son ami et il lui devait, en fin de compte, d'avoir construit sa carrière dans les pays anglo-saxons. Dvorak doit beaucoup à Brahms qui l'a vraiment épaulé, qui l'a fait éditer, qui l'a mis vraiment au beau milieu de la musique européenne. Mais, dans d'autres pays, notamment en France ce n'était pas la même chose. Vous savez que Dvorak comme Smetana n'est jamais venu en France, parce qu'il était considéré comme un représentant de la branche bohémienne de la musique allemande. C'est comme ça qu'on percevait Dvorak chez nous au XIXe siècle. Et c'était une erreur ayant beaucoup retardé sa popularité en France qui n'a jamais transpercé les frontières, à part, bien sûr les Danses slaves."

Dvorak était donc un grand admirateur de Wagner au début, puis a été encouragé dans sa carrière par Brahms. Comment cela se fait-il que ce compositeur qui s'est épanoui dans un milieu dominé par l'élément allemand, a su finalement créer une musique si profondément tchèque ?

"Eh bien c'est un peu le mystère de la musique tchèque. On peut en dire autant de Smetana qui était encore germanophone et peut-être germanophile par naissance, tout au moins au début de sa carrière. Dvorak, lui, était un tchécophone et petit paysan de Bohême. Donc, il y avait chez lui un fond extraordinaire d'aspirations. Mais il a toujours été écartelé, si je peux dire, entre ses aspirations et son admiration pour Wagner et pour Liszt qui étaient pour lui des compositeurs progressistes, très modernes par rapport au folklorisme qui marquait encore la musique tchèque."

(Vous entendrez la seconde partie de cet entretien dans les Rencontres littéraires de samedi 2 avril.)