Hana Machková, deuxième femme tchèque décorée de la Légion d’honneur
Rectrice de l’Université d’économie de Prague (VŠE), Hana Machková est devenue la deuxième femme tchèque seulement de l’histoire à s’être vu remettre les insignes de Chevalier dans l’Ordre de la Légion d’honneur. Un chiffre qui peut paraître étonnant au XXIe siècle alors que plusieurs dizaines d’hommes tchèques ont déjà eu les honneurs de la plus haute distinction honorifique française. Hana Machková a été décorée la semaine dernière au Palais Buquoy des mains de Jean-Pierre Asvazadourian. Selon l’ambassadeur de France, cette distinction marque la reconnaissance de l’engagement indéfectible d’une femme qui est l’unique rectrice d’une école supérieure publique tchèque en faveur du renforcement des liens universitaires et scientifiques entre la République tchèque et la France. Un grand jour pour Hana Machková comme elle l’a confié au micro de Radio Prague :
Cette médaille récompense néanmoins un travail entrepris il y a vingt-six ans de cela au lendemain de la révolution…
« Oui, j’ai créé, dès le 1er juillet 1990, l’Institut franco-tchèque de gestion (IFTG). A l’époque, j’étais boursière du gouvernement français et je venais de finir mes études à Strasbourg. A mon retour, l’ambassade de France a demandé à la VŠE de créer un centre de gestion pour les francophones. Le président de la VŠE à l’époque, M. Věněk Šilhán, lui aussi un ancien opposant du régime communiste, m’a alors chargée, alors que je n’avais encore que 32 ans, de créer et surtout de diriger cet IFTG. Depuis, nous avons formé quelque 600 cadres qui parlent tous français, qui travaillent dans des entreprises françaises, nos premiers employeurs en République tchèque sont la Société générale – Komerční banka, et L’Oréal. Ce qui a été très important au début, et il ne faut pas l’oublier, est que la France a financé le programme de formation des formateurs. Il y a donc beaucoup de formateurs tchèques qui sont aujourd’hui à mes côtés qui ont passé un séjour en France et qui ont développé avec moi ce programme de prestige que nous appelons aujourd’hui, malheureusement ou pas, en anglais le MBA. C’est un programme du troisième cycle et c’est le seul qui existe pour les cadres francophones. »A 26 ans, cet IFTG est donc un peu votre enfant. Quel regard portez-vous sur la façon dont il a grandi et sur ce qu’il est devenu ?
« Aujourd’hui, c’est un centre connu et reconnu par le monde francophone en République tchèque. Je suis très heureuse de voir que nos anciens étudiants réussissent très bien leurs carrières, que ce soit en République tchèque, en France ou dans un autre pays. Notre objectif est bien entendu de poursuivre notre action. Je suis très fière que la pérennité de l’IFTG soit assurée, mon fils en étant devenu le directeur exécutif. Il a 33 ans et est diplômé de l’université Jean Moulin Lyon 3. J’ai ainsi déjà assuré le passage de témoin et l’avenir de l’IFTG, car il y a un jeune Tchèque francophone et francophile qui continuera lorsque je prendrai ma retraite. »
Dans le petit discours que vous avez prononcé à l’ambassade, vous avez évoqué votre découverte du français à l’école grâce à vos parents. Quels souvenirs en gardez-vous ?
« C’était une école primaire à Prague spécialisée dans l’enseignement du français. J’ai commencé en 1966. A l’époque, sous le régime communiste, c’était une des rares possibilités pour les enfants d’apprendre des langues étrangères, et surtout occidentales. Ma mère aussi était francophone et avait des liens avec la France. Mon père a toujours cru qu’apprendre des langues étrangères était un investissement très important. Je dois dire que, aujourd’hui encore, je rencontre beaucoup de gens qui sont issus de cette école et ont fait de belles carrières professionnelles. A l’université, la blague est de me demander si untel ou unetelle qui parle français a fréquenté la même école élémentaire que moi. Et très souvent je réponds ‘oui’. Par exemple, un ancien Premier ministre est passé sur les bancs de cette école. C’est le cas aussi du directeur du festival de musique du Printemps de Prague ou d’un certain nombre de médecins… Bref, ce sont un peu les élites de ce pays qui ont appris le français dans cette école. Notre chance aussi était qu’il existait alors un jumelage avec Nîmes, qui avait un maire communiste à sa tête. Nîmes était donc une des rares villes qui étaient autorisées à avoir des échanges avec la Tchécoslovaquie. Pour moi, y aller et pouvoir vivre dans une famille française a été une grande découverte. Pendant des années, je suis restée en contact avec la copine qui m’avait reçue chez elle. C’était très beau. »Comment avez-vous entretenu votre français et cultivé votre intérêt pour la France avant la révolution et votre premier séjour en tant qu’étudiante à Strasbourg en 1990, car les possibilités de voyages et d’échanges étaient réduites ?
« En République tchèque, nous avons une longue tradition de la formation linguistique et nous avons vraiment de très bons professeurs. Me concernant, les professeurs de français ont joué un rôle déterminant dans ma vie. Malgré le fait qu’eux n’avaient pas pu voyager ou pratiquer le français, ils possédaient une culture et une francophilie qu’ils nous ont transmises à nous, leurs élèves. Plus tard, durant mes études à l’université, j’ai eu aussi la chance d’avoir un professeur de français qui était très motivé par notre formation et qui voulait transmettre ses connaissances et sa francophilie. Nous avions aussi la possibilité de lire la littérature classique, d’aller au cinéma… Bon, c’était dur quand même, car c’était surveillé. La seule presse autorisée, c’était L’Humanité… »
Selon vous, quelle est la place du français aujourd’hui en République tchèque ?
« Je suis certaine que le français a vraiment sa place. Bien sûr, tout le monde doit parler anglais. C’est un ‘mal’ nécessaire. Mais apprendre une langue comme le français vous donne un avantage : vous êtes plus compétitif par rapport aux autres. Il ne faut pas non plus oublier qu’il y a plus de 500 entreprises françaises qui sont implantées en République tchèque. Parler deux langues favorise donc le développement d’une carrière professionnelle. L’apprentissage du français n’est donc pas seulement un plaisir, c’est aussi quelque chose qui vous donne une valeur ajoutée sur le marché du travail. »Même à l’heure où la République tchèque tend à s’orienter vers l’Est, vers la Russie jusqu’aux sanctions économiques, puis aujourd’hui vers la Chine ?
« Il ne s’agit pas là de la diplomatie tchèque, mais de notre président de la République… A ce propos, savez-vous que l’épouse de M. Zeman est francophone et qu’elle a étudié le français ? Je pense donc que même le président a quelques raisons d’avoir de bonnes relations avec la France… Mais pour en revenir à votre question, non, je ne pense pas qu’il s’agisse d’une tendance. Je dirais plutôt que c’est une forme de pragmatisme. C’est aussi peut-être un complexe de certains hommes politiques qui estiment qu’il est plus facile de réussir à l’Est qu’à l’Ouest. Mais ce n’est pas l’opinion de la majorité des Tchèques et c’est pourquoi je pense qu’un pays comme la France joue et continuera de jouer un rôle important. »
Suite de l’entretien avec Hana Machková dans le prochain Panorama.