Humanita fait à nouveau son cinéma… et pas que
Cinéma datant de 1913, Humanita a rouvert ses portes à l’été 2021, après que son grand écran a été délaissé pendant plusieurs décennies. Puriste, la programmation musicale et cinématographique de l’unique salle obscure du huitième arrondissement de Prague se veut aujourd’hui aussi peu commerciale que possible.
Salle indépendante dissimulée dans une petite cour à deux pas de la station de métro Palmovka, Humanita a inauguré la reprise des projections avec un classique de Bohumil Hrabal, « Perličky na dně ». Bohumil Hrabal, une personnalité indissociable du quartier de Libeň, même si c’est à un autre cinéma – le Kino Svět – qu’il fait référence dans plusieurs de ses nouvelles. A quelques rues du bâtiment qui abritait le cinéma Svět – et qui se trouve dans un déplorable état de semi-abandon depuis des années –, le cinéma Humanita, lui, accueille donc à nouveau les spectateurs dans une salle entièrement remise à neuf. Cependant, « Humanita » n’a pas toujours été son nom : depuis sa création, en 1913, il a été régulièrement rebaptisé, au gré de ses différents propriétaires, comme l’explique Martin Plitz, chargé de la programmation cinématographique au cinéma Humanita :
« L’histoire du cinéma Humanité est très intéressante. Il s’agit de l’un des plus anciens cinémas de Prague. A Prague, la première projection cinématographique a eu lieu en 1896, mais pas dans un cinéma établi. Le premier cinéma établi date de 1907 : il s’agissait du cinéma de monsieur Ponrepo, dans la maison appelée ‘U Modré štiky’. Quant au cinéma Humanita, il n’a que cinq ans de moins : il date de 1913. Le bâtiment dans lequel il a été ouvert se trouve dans une cour, et il abritait à l’origine des écuries. Le cinéma s’est tout d’abord appelé ‘Cinématographe de monsieur Karafiát’, du nom de son premier exploitant. Le nom a ensuite changé, au gré des propriétaires. Il s’est par exemple appelé ‘Útulek’ (‘le refuge’), un nom peu habituel pour un cinéma. Sans doute parce que c’était une association d’invalides de guerre qui avait repris ce cinéma. Puis il a été exploité par la Croix rouge tchécoslovaque. Car à cette époque, les associations pouvaient gérer les cinémas ; elles bénéficiaient alors d’avantages fiscaux. Le Sokol faisait de même, par exemple. »
« Vers la fin de l’année 1937, le cinéma a pris le nom de ‘Humanita’. L’origine de ce nom est malheureusement inconnue… Toujours est-il qu’il l’a gardé, et que c’est sous ce nom qu’il est resté en activité jusqu’au milieu des années 1960. Après la Seconde Guerre mondiale, il a été nationalisé, et son activité interrompue, sans doute parce qu’elle n’était pas rentable… Mais il a continué à servir des fins cinématographiques : du matériel et des films y étaient entreposés. Pour la petite histoire, l’acteur du théâtre Sklep Tomáš Hanák a travaillé dans ces locaux, en tant que magasinier. Dans les faits, pendant toutes ces années, le cinéma existait toujours ; c’est jusque qu’il n’était pas en activité. »
C’était sans compter sur la motivation d’un groupe de passionnés, qui ont décidé de tout faire pour renouer avec la tradition du lieu. Martin Plitz :
« Le bâtiment a été racheté par un passionné ; accompagné d’une bande d’enthousiastes, ils se sont mis au travail pour lui redonner sa vocation initiale. Mais en ne se cantonnant pas qu’au cinéma, comme vous pouvez l’entendre – ce soir, on y joue du jazz, par exemple. Il s’agit donc d’une initiative entièrement privée, réalisée sans subventions ni aide quelconque. »
Art et essai avant tout
Une initiative de restauration privée, mais qui vise une collaboration avec la mairie de Prague 8 pour bénéficier d’un soutien pour son fonctionnement. Le cinéma Humanita propose par ailleurs à la location ses locaux pour l’organisation d’événements privés ; cependant, fidèle à sa devise, qui le définit comme un lieu « pour les accros à l’indépendance », il ne fera figurer à son programme que les manifestations culturelles passant l’épreuve stricte de la sélection « puriste » des gérants.
De même, c’est dans cet esprit strictement « art et essai » qu’est sélectionné le programme culturel. Martin Plitz :
« Notre programme compte deux événements réguliers : le cinéclub du lundi, dans le cadre duquel nous essayons de programmer d’une part des films moins récents, parfois en lien avec le quartier de Libeň, parfois avec des personnalités intéressantes. D’autre part, nous passons des films plus récents. D’une façon générale, à quelques exceptions près, nous essayons de passer des films non commerciaux, du cinéma d’art et d’essai, plutôt que des productions comme celles qui passent habituellement dans les cinémas. »
« Par ailleurs, tous les mardis, nous avons le jazz club, qui consiste en une scène ouverte. Et nous organisons également des concerts, des ateliers, etc. »
Parmi les événements culturels à venir prochainement, le cinéma Humanita assurera la projection de deux films scandinaves dans le cadre du festival SCANDI, qui a lieu du 25 au 31 janvier dans plusieurs cinémas de Prague et d’autres villes tchèques. Pour ce qui est de la programmation musicale, à terme, l’équipe voudrait également inviter des groupes français de jazz manouche à se produire en concert.
Par ailleurs, le lieu culturel Humanita souhaiterait également commémorer les 80 années depuis l’attentat contre Reinhard Heydrich, non seulement parce que c’est dans le quartier de Libeň qu’il a été perpétré, mais aussi parce que l’adresse du cinéma, au numéro 20 de la rue Novákových, est étroitement liée à cet événement historique : c’est en effet dans cette rue que vivait la famille Nováková, dont tous les membres ont été exécutés pour avoir caché le résistant membre de l’opération Anthropoid Jan Kubiš après l’attentat qui a coûté la vie au dignitaire nazi.