L’univers disparu du quartier de Libeň
Le quartier de Libeň, situé dans le 8e arrondissement de Prague, est le sujet d'un nouveau guide touristique de Radio Prague. Pourquoi Libeň? Le passé et le présent de cette localité authentique, qui est en train de rénover son patrimoine industriel et culturel, est à découvrir au musée de la ville de Prague, à l’exposition intitulée ‘Libeň – l'univers disparu’. Radio Prague l'a visitée en compagnie du commissaire de l'exposition, Jan Jungmann :
C'est dans cette rue qu'avait sa maison Bohumil Hrabal, un des plus importants écrivains tchèques (1914 – 1997), auteur entre autres des « Trains étroitement surveillés », sujet d'un film homonyme primé d'Oscars, et de « Une trop bruyante solitude » mis à l'écran avec Philippe Noiret dans le rôle principal. Pour Bohumil Hrabal, Libeň était son cosmos et la source d'inspiration de ses ouvrages dans lesquels perce l'humour noir, le grotesque, l'ironie et la tendresse. Ainsi, la légende du quartier de Libeň, le palais Svět – Univers, aujourd'hui laissé à l'abandon, a directement inspiré son recueil de nouvelles « Fast-food Univers ».
La première mention écrite sur la localité de Libeň remonte à 1363. En 1901, le quartier est rattaché à la grande Prague. Au tournant des XIXe et XXe siècles, Libeň devient un centre d'industrie lourde, avec la création des usines de mécanique lourde comme ČKD, l'usine automobile Praga ou encore l'usine Ruston, nom de l'entrepreneur anglais et constructeur du premier bateau à vapeur à Prague, Bohemia. De cette usine, seule une cheminée en briques rouge a été conservée et apporte, comme d'autres, un cachet unique à ce quartier. Hélas, beaucoup de bâtiments historiques ont été sacrifiés au nom de la conquête industrielle. C'est le cas aussi de l'ancien port de commerce de Libeň. Ses grues de déchargement, qui lui donnent l'air d'un port maritime, sont en rénovation complète et font partie intégrante d'un nouveau complexe d'habitation qui est en train de naître sur les bords de la Vltava, sur l'île Libeňský.
Aujourd'hui, Libeň est une partie du 8e arrondissement praguois, celle qui avec le quartier voisin de Karlín touche directement le centre-ville. Le prolongement de l'avenue Na Poříčí, dans le centre de Prague, est la rue Sokolovská par laquelle nous arrivons jusqu'à Libeň. Autrefois, la rue Sokolovská s'appelait Royale, observe Jan Jungmann:« Elle s'appelait Royale en référence au cortège royal qui a défilé par ici à l'occasion du couronnement du dernier roi de Bohême, Ferdinand V, surnommé Dobrotivý - le Bon, et qui a aussi séjourné pendant un certain temps au château de Libeň. Les clichés les plus anciens qui datent de 1895 montrent quelques maisons d'origine à un ou deux étages, aux frontons construits dans le style baroque paysan. Le bâtiment de Sokol édifié en 1910 à l'emplacement d'une caserne historique des pompiers se dresse en voisinage de l'église de saint-Adalbert, de style Art Nouveau, construit en bois comme une église provisoire mais qui a heureusement résisté au temps ».
Une partie de l'exposition est réservée aux enclos de vignes, très nombreux à Libeň, autrefois un paysage bucolique comme en témoigne son nom en tchèque qui dérive du mot « libý » qui signifie « doux, suave »… Au XVIIe siècle, Libeň possédait plus d'une centaine de vignes plantées sous le règne de Charles IV.
La colonisation du site remonte à la préhistoire. Elle est documentée par de nombreux objets uniques retrouvés pendant la période de la transformation industrielle de Libeň. A l'échelle des différents quartiers de Prague, Libeň est l'un des plus riches en trouvailles archéologiques. Les plus importantes trouvailles ont été effectuées dans la localité dénommée Košinka, souligne Michal Kostka, archéologue du Musée de Prague :
« On y a retrouvé des bijoux en argent : colliers, bracelets et fibules dorées, provenant tous du tombeau d'une riche dame qui a vécu au Ve siècle après Jésus-Christ. L'objet le plus rare est une pointe en flèche de silex taillé créée il y a 50 000 ans, à la période du paléolithique. Il y eu ensuite des trouvailles de récipients en céramique, d'instruments en pierre et en os provenant des nécropoles et des cités de diverses périodes de la préhistoire ».
Le visiteur de cette exposition sera peut-être surpris en apprenant que de nombreuses trouvailles ont été réalisées par l'écrivain Eduard Štorch, auteur de récits pour la jeunesse mettant en perspective la vie des hommes préhistoriques. Plusieurs récits de cet auteur comme les Chasseurs de Mammouth sont situés dans la localité de Libeň justement.Libeň possédait une vie culturelle et associative autonome et variée. La plus active en ce sens était l'auberge U Deutschů, lieu de représentations théâtrales depuis 1865 et précurseur de l'actuel théâtre Pod Palmovkou. Plusieurs écrivains sont liés par leur création au quartier de Libeň. Outre Bohumil Hrabal et Eduard Štroch déjà mentionnés, c'est le poète décadent Karel Hlaváček ou encore l'écrivain tchéco-juif Vojtěch Rakous.
Un symbole original de Libeň, c'est un grand réservoir de gaz sphérique érigé en 1881 par la Compagnie générale pour l'Eclairage et le Chauffage par le gaz de Bruxelles. Même si en 1900, le gazomètre de Libeň a changé de propriétaire, au profit de ICGA (Imperial Continental Gas Association) siégeant à Londres, les Praguois ont continué à l'appeler le réservoir belge. Dans les années 1930, la municipalité de Libeň a mis fin au stockage de gaz et le réservoir a été utilisé par l'institut d'aviation pour les tests aérodynamiques. Pour sa beauté technique, il a été classé au patrimoine industriel de la République tchèque.L'exposition « Libeň: l'univers disparu » est à voir au musée de la capitale Prague jusqu'au 20 février 2011. Deux autres parties de l'exposition se déroulent parallèlement au château de Libeň.