Identity.Move! : l’identité à la limite des différents styles artistiques (2e partie)
« Identity.Move! » est un projet qui réunit quatorze pays situés dans l’est de l’Union européenne, de la Lettonie, au nord, à la Grèce, au sud. L’objectif des coordinateurs de ce projet est de tisser des liens entre ces pays qui, selon eux, ne coopèrent pas assez dans le domaine de la recherche artistique. La recherche était également le contenu principal de la résidence artistique qui s’est tenue à Prague du 2 au 25 juillet, la République tchèque étant, par le biais de l’association Motus, un des quatre pays organisateurs d’Identity.Move!. Les participants à cette résidence sont venus de Croatie, de Lituanie, d’Allemagne et de Grèce. A la fin de leur séjour, Radio Prague a assisté à la présentation de leurs travaux. Nous vous proposons la deuxième partie de cette rencontre.
« Le regard que, moi, je porte sur la recherche diffère sensiblement de celui de Ben. Quand je dis recherche, cela signifie LE travail. La partie du travail est même plus dure que la réalisation du projet. Et puis, du point de vue de l’esthétique, nous étions trop éloignés avec Ben. D’habitude, je suis beaucoup plus conceptuel et Ben esthétique, même si dans notre projet ici à Prague, c’était complétement l’inverse. »
Pour s’enrichir mutuellement, les deux artistes ont donc échangé leurs méthodologies. Pavlos décrit comment il a trouvé cette expérience :
« Cela paraît libérateur et très facile. Mon style de travail est extrêmement frustrant car, pendant des mois, vous n’avez rien entre les mains. C’est toujours les études, la lecture, le travail… J’utilise la méthode psychanalytique, je m’entraîne comme psychanalyste et, donc, je suis amené à toujours remettre mes désirs en question. »
L’objectif de la recherche qu’entreprend Pavlos est d’identifier ce qui a déjà été fait sur un sujet précis. Ensuite, il transpose ce qu’il a trouvé sur une surface sous forme de points et essaie de les relier et ainsi remplir le vide… Comme il le dit lui-même, Pavlos Kountouriotis est sceptique quant à l’idée que quiconque puisse véritablement ajouter son propre point dans ce réseau du savoir.Sa thèse portait sur l’automutilation et les blessures que l’on se fait volontairement au cours d’un spectacle. A Prague, il a montré une vidéo de lui en tant que derviche tourneur « un peu » particulier puisqu’il tournait avec de longues chaînes métalliques accrochées à ses sourcils. A la fin du spectacle, il les a sorties de sa peau et cela a dû lui faire très mal. Pavlos remarque que son objectif était de comprendre pourquoi l’automutilation existe :
« Pour moi, il s’agit en grande partie de renforcement et de libération personnelle. Avec l’avènement de la modernité, le corps est discipliné. Il a perdu sa capacité à décider de lui-même. C’est généralement le gouvernement qui nous dit ce qu’il faut faire. Ainsi, même notre capacité à ressentir la douleur nous a été volée. On préfère prendre une aspirine que de souffrir. Auparavant, les gens voulaient ressentir la douleur pour être plus proches de Dieu ou de la vérité. »
Par la transgression des règles, Pavlos remet en question les frontières que la majorité des gens respectent. Cette remise en question se fait, selon lui, en faveur de ceux qui sont en marge de la société :
« Le problème est que nous nous considérons comme un ensemble homogène. En réalité, chacun est d’une certaine manière en dehors des murs de la ville. Pour moi, la transgression est une manière de nous rappeler l’existence de nos limites et de nous demander si nous en avons vraiment besoin. Je sais que c’est un sujet très sensible. Les personnes qui sont en marge nous font peur. Mais ce que nous devons faire, c’est nous rendre compte que c’est nous qui les avons rejetées. Nous les avons transformées en autres. »
Le dernier projet de recherche que les artistes ont présenté à Prague, relatif à l’idendité des femmes à l’époque soviétique, s’est tenu au Studio Alta. Ses auteures, Agnija Šeiko et Ingrida Gerbutavičiūtė, ont fait attendre tout le monde devant la porte d’entrée. Et nombreux ont été ceux à voir là un parallèle avec les queues pour acheter des bananes ou de la viande, une situation habituelle sous le régime communiste. Puis, la porte s’est ouverte et les gens sont entrés dans le bâtiment un par un. Ils ont alors pu s’asseoir à une grande table à condition de trinquer et de boire de la vodka avec Agnija.Mais avant d’évoquer plus en détail ce projet sur l’époque du communisme, revenons sur le parcours des deux artistes.
« Je suis Agnija Šeiko, chorégraphe. Je dirige un théâtre de danse à Klaipéda en Lituanie, qui s’appelle Padi Dapi Fish (le poisson Papi Dapi). Dans ce cadre, nous coopérons avec un groupe artistique Fish Eye, ‘L’œil du poisson’, et c’est comme ça que nous avons été associés à ce projet. »
Vous vous demandez peut-être pourquoi tant de poissons figurent dans le récit d’Agnija.« Le poisson parce que nous vivons dans une ville portuaire. Nous utilisons l’image de l’œil d’un poisson pour évoquer l’ouverture des regards. Quand on a lancé le théâtre de danse, nous avons gardé ce surnom. »
Agnija est l’auteure d’une vingtaine de chorégraphies qui ont été présentées en Lituanie mais aussi à l’étranger.
« Je m’appelle Ingrida Gerbutavičiūtė, je suis moi aussi lituanienne. Je suis critique de danse et dramaturge. Je dirige le département de danse et de mouvement à l’Académie lituanienne de théâtre et de musique. »
Ingrida organise également un festival de danse lituanienne à Berlin, où elle vit.
Pour les deux artistes, l’identité est un sujet familier qu’elles avaient déjà traité dans d’autres projets.
Agnija: « J’ai déjà travaillé sur ce sujet pendant quatre ou cinq ans. A l’époque, c’était cinq ans après l’adhésion de la Lituanie à l’Union européenne et nous nous demandions si cela avait changé notre identité. Globalement, je trouve ce sujet très vaste et impossible à couvrir dans un seul projet. »Ingrida: « Je vis entre l’Allemagne et la Lituanie. D’un point de vue artistique, je pense que l’identité est un sujet intéressant. On peut se demander s’il est possible de la toucher, de s’en approcher, de la décrire… C’est une histoire sans fin. »
Fort logiquement, nous avons voulu savoir si leur séjour à Prague les a aidées à clarifier ces questions. Ingrida affirme que « oui et non », une réponse de Normand comme on dit en français, qui eux ne doutent pas de leur idendité. Elle explique son hésitation par l’ampleur et l’ambition du projet qu’elle et Agnija entendent réaliser.
« Nous nous penchons sur l’identité des femmes aujourd’hui et nous la comparons à celle de l’époque soviétique. Quelle était la vie des femmes à cette époque et qu’est-ce qui était important pour elles? Bref, nous recherchons l’identité des femmes avant et après la chute des régimes communistes. »
En République tchèque, Agnija et Ingrida ont intérrogé des femmes âgées de 30 ans au moment de la Révolution de velours. Leur objectif à terme est de pouvoir comparer les expériences tchèque et lituanienne liées au changement de régime. Dans leur spectacle, elles ont notamment posé la questions des valeurs qui évoluent. Voici un bref aperçu d’une liste de conseils datant d’avant 1989 et portant sur la façon dont une femme devrait se comporter avec son mari:« Paragraphe numéro 5: apprends à résoudre les énigmes des désirs et des demandes de ton mari. Apprends à résoudre les désirs et les demandes de ton mari de ses désirs et énigmes. Apprends à résoudre les énignes et les demandes des désirs et des demandes de ton mari. »
Bref, vous avez saisi l’idée. Sinon, il vous faudra attendre jusqu’au mois de mars 2015 pour le grand final du projet Identity.Move !. Celui-ci se tiendra à Prague et tous les artistes rencontrés pendant ces deux rubriques culturelles présenteront les résultats de leurs recherches sur l’identité.