Il y a 25 ans, David Černý repeignait un char soviétique en rose
Depuis 1945 trônait à Prague, sur l’actuelle place Kinský dans le Ve arrondissement, un char soviétique qui rappelait la libération de la capitale tchécoslovaque par l’Armée rouge. Un matin d’avril 1991, le 28 très précisément, les passants ont écarquillé les yeux : le char soviétique jusqu’alors d’un vert militaire on ne peut plus réglementaire avait été entièrement repeint en rose ! C’était il y a 25 ans et derrière cette facétie toute politique se trouvait un jeune artiste aujourd’hui reconnu, David Černý. Retour sur l’histoire de ce char et cet épisode de l’après-révolution de velours.
Le symbole fera néanmoins long feu, notamment après l’invasion du pays en août 1968 par les chars des troupes du Pacte de Varsovie. Les dernières illusions tombent et l’Armée rouge passe alors du symbole d’armée libératrice à celui de force d’occupation :
« Evidemment, le pouvoir avait récupéré ce mémorial de Smíchov. Il y avait de nombreuses cérémonies de recueillement organisées par le régime. Mais les gens savaient plus ou moins que ce type de tank n’avait jamais libéré la ville et considéraient donc cela comme une manifestation du pouvoir en place. Tout a été balayé lorsque David Černý et ses amis ont repeint le char en rose. »
Ce happening se déroule en catimini dans la nuit du 27 au 28 avril 1991. A cette époque, la Tchécoslovaquie est redevenue libre et démocratique. La révolution de velours de 1989 a renversé le pouvoir communiste et l’atmosphère d’effervescence perdure encore dans la toute jeune démocratie dirigée par l’ancien dissident et dramaturge Václav Havel. Pourtant, cet acte artistique, mais surtout hautement politique, fait débat et soulève surtout une vague de protestations du gouvernement soviétique encore en place à Moscou.David Černý est arrêté pour vandalisme et les autorités tchécoslovaques font repeindre le tank en vert militaire. L’aventure rocambolesque continue, car un groupe de quinze députés, usant de leur immunité parlementaire, badigeonne une fois de plus l’engin en rose. L’artiste finira quant à lui par être libéré. Vingt-cinq ans après, l’hystérie médiatique qui a entouré l’événement est presque devenue incompréhensible, sauf si l’on se replace dans le contexte de l’après-1989, comme l’explique Aleš Knížek :
« Il faut bien se rendre compte qu’on était quelques années après la révolution de velours et qu’auparavant nous avions subi un lavage de cerveaux long de quarante ans. Le char lui-même en était le symbole. Evidemment, personne n’a jamais nié que l’Armée rouge ait libéré Prague. Ce qui était en jeu dans le cas présent était totalement différent. »
Après la libération de David Černý, le char a perdu son statut de monument culturel national et lors de travaux de réaménagement de la place, le symbole gênant a été supprimé. D’abord placé au Musée militaire de Kbely, il est finalement installé au Musée technique militaire de Lešany. L’histoire fait bien des facéties, car il y a quelques années, c’est l’armée elle-même qui a repeint le tank en rose, alors que la couche d’origine commençait à s’effriter. Aujourd’hui, il se trouve donc toujours à Lešany, tout pimpant et rose bonbon.