Il y a 30 ans, la partition de la Tchécoslovaquie était actée
Trente ans se sont écoulés cette année depuis la suite d’événements qui ont mené à la partition – pacifique – de la Tchécoslovaquie, sonnant le glas de cet Etat commun né en 1918 sur les cendres de l’empire austro-hongrois. Un des moments-clés de ce processus a été la rencontre à Brno de Václav Klaus et de Vladimír Mečiar, les deux chefs de gouvernement de l’Etat fédéral en décomposition.
En 1992, alors que la Yougoslavie se déchire dans le fracas des armes et dans le sang, la Tchécoslovaquie vit ses derniers instants, mais parvient à éloigner le spectre d’un conflit. 75 ans auparavant, la fin de la Première Guerre mondiale et le désagrégation de l’empire austro-hongrois avait permis aux Tchèques et aux Slovaques, lesquels n’avaient jamais disposé de leur propre Etat, de proclamer leur indépendance. Une union qui n’allait pas de soi, mais « géostratégique » à l’époque, comme l’avait jadis souligné l’historien Antoine Marès sur notre antenne.
Excepté l’intermède de la Deuxième Guerre mondiale, où la Slovaquie acquiert un Etat, mais fantoche et à la botte de Berlin, cet Etat tchécoslovaque a tenu trois quarts de siècle – sans que jamais, pourtant, ne se soit dissipées les velléités d’autonomie slovaques. Le principe d’une fédération est acquis en 1969, confirmé après la chute du communisme en 1989, mais sans jamais d’accord réel entre Tchèques et Slovaques sur la forme que doit prendre cet Etat commun : classiquement, les Tchèques sont centralisateurs, les Slovaques aspirent à toujours plus d’autonomie.
En 1992, les événements s’enchaînent : négociations non-abouties en février, victoire du parti de Vladimír Mečiar en Slovaquie aux législatives de juin, Déclaration d’indépendance adoptée par le conseil national slovaque le 17 juillet…
Trois jours plus tard, le président Václav Havel annonce sa démission. Jusqu’à la fin de l’existence de l’Etat commun des Tchèques et des Slovaques, le poste de chef de l’Etat restera vacant. On écoute Václav Havel le 20 juillet 1992 :
« Je ne peux pas assumer la responsabilité de l’évolution politique dans un pays qui prend une direction indépendamment de mon influence. De la même façon que je ne veux pas devenir un frein aux événements historiques, je ne veux pas non plus être réduit à un simple fonctionnaire vivant dans l’attente du moment où il quittera définitivement son poste et qui, pendant tout ce temps-là, ne fera que regarder passivement les choses. J’ai toujours souhaité et je souhaite, à l’avenir également, créer quelque chose de bon et d’utile, au profit de mes concitoyens. Le poste de président fédéral ne me permet plus de faire un travail créateur et constructif. »
Un mois plus tard, le 26 août 1992, les premiers ministres tchèque et slovaque, Václav Klaus et Vladimír Mečiar se rencontrent à Brno, symboliquement à mi-chemin entre Prague et Bratislava, pour devenir des acteurs de cet événement historique. Dans la célèbre villa constructiviste Tugendhat, ils signent un accord prévoyant la création de deux Etats indépendants.
Cette fameuse réunion a toujours été auréolée d’un certain « mystère », il reste une photographie devenue iconique et l’annonce de la partition de l’Etat, actée peu avant minuit ce jour-là.
La photo en question montre une journée d’été tranquille dans un grand jardin, les deux hommes à une table se parlant entre quatre yeux. Les deux dirigeants venaient de se mettre d’accord sur la division de la fédération. Un événement historique qui, même aujourd’hui, n’a pas, et n’aura peut-être jamais, d’interprétation claire. L’éternelle querelle restera probablement de savoir à qui incombe la plus grande responsabilité de la rupture, aux Tchèques ou aux Slovaques. Aujourd’hui, les deux acteurs s’accordent à dire que la fédération était déjà divisée à l’époque et qu’il s’agissait seulement d’empêcher les deux nations de prendre les armes et de se tirer dessus.
Le Premier ministre tchèque d’alors, devenu bien plus tard président tchèque, Václav Klaus, s’est toujours félicité de cette séparation à l’amiable, ce « divorce de velours », comme il a souvent été caractérisé en écho à la révolution de Velours :
« Notre rencontre à la villa Tugendhat a constitué un moment crucial dans les négociations. J’ai alors compris que mes homologues slovaques n’avaient reçu aucun mandat pour continuer dans le cadre d’un Etat commun. »
Même si, selon Vladimír Mečiar, la situation au sein d’un Etat commun était devenue « intenable », pour l’historien Petr Roubal, c’est bel et bien Václav Klaus qui a insisté sur la rapidité des changements et qui aurait été le principal artisan de la partition. Petr Roubal :
« Le résultat le plus important de ces négociations à la villa Tugendhat, c’est cette annonce de la date précise de la scission. C’était le succès incontesté de Václav Klaus, qui a réussi à établir un itinéraire précis du processus de séparation des deux pays. Je pense que la société tchèque était prête à cela. On s’attendait un peu à ce dénouement, et non sans soulagement d’ailleurs. On avait enfin l’espoir de voir s'achever les interminables débats sur la forme de notre cohabitation. (…) Paradoxalement, c’est la partie tchèque qui a insisté pour que la séparation soit la plus rapide possible. Les négociations du 26 août représentent une victoire de Václav Klaus, car il a enfin obtenu ce qu’il voulait. »
Le 1er janvier 1993, la partition du pays était effective.
Trente ans plus tard, la Tchéquie et la Slovaquie ont beau être séparées depuis une bonne génération, les deux pays entretiennent une relation « particulière » avec une coopération bilatérale et des liens politiques, économiques, culturels, familiaux et autres jamais démentis.
La frontière physique qui s’est érigée entre les deux pays à la suite de l’indépendance slovaque a disparu à la faveur de l’entrée des deux pays dans l’Union européenne en 2004 et il fallait bien un événement majeur comme une pandémie mondiale pour interrompre – un temps seulement – la circulation habituelle entre les deux pays. Petite différence quand même, la Slovaquie a adopté l’euro tandis que la République tchèque semble tout faire pour repousser l’échéance aux calendes grecques…
Et comme si en réalité la fédération existait bel et bien toujours, même anecdotiques, les occasions symboliques de recréer l’Etat tchéco(-)slovaque ne manquent pas : pour preuve, par exemple, le show télévisé Česko Slovensko má talent, genre de télé crochet diffusé sur deux chaînes tchèque et slovaque.
D’ailleurs, à l’occasion des 30 ans de la rencontre Klaus-Mečiar à Brno, la Radio tchèque Dvojka et leurs collègues slovaques de Radio Regina ont prévu une émission spéciale ce 26 août, un programme symbolique « fédéral » qui est préparé par les studios de Prague, Brno et Košice. Ce vendredi, la Radio tchécoslovaque, et ses émissions présentées indifféremment dans les deux langues, revivra donc le temps d’une journée…