Partition de la Tchécoslovaquie : un divorce de velours, vraiment ?

Quelques mois de négociations auront suffi aux Tchèques et aux Slovaques, en 1992, pour se mettre d’accord sur les termes de leur séparation. Alors que quelques centaines de kilomètres plus au sud, la guerre faisait rage depuis déjà plus d’un an en Yougoslavie, le divorce tchéco-slovaque fait figure d’exception dans l’histoire de l’Europe. Parfois elle aussi qualifiée de « velours », comme la révolution avant elle trois ans plus tôt, la partition de la Tchécoslovaquie apparaît toujours, trente ans plus tard, comme une décision essentiellement politique.

« O nás bez nás » (littéralement « Sur nous sans nous ») est une expression que Tchèques et Slovaques utilisent régulièrement pour rappeler qu’à plusieurs reprises au cours du XXe siècle, d’autres que le peuple tchcéoslovaque lui-même ont décidé du sort de ce dernier. Il s’agit bien évidemment des accords de Munich en 1938, de l’écrasement du Printemps de Prague en 1968, ou encore, donc, de la partition de la Tchécoslovaquie, décision prise par les politiques tchèques et plus encore slovaques dans le courant de l’année 1992.

Vladimír Mečiar et Václav Klaus | Photo: Musée national

Si d’un côté comme de l’autre de la frontière, les avis restent aujourd’hui partagés sur le bien-fondé de cette décision, beaucoup, tant dans la population slovaque que tchèque, regrettent l’État commun et continuent de penser que la partition a constitué une erreur, à l’image de Renata, enseignante de français d’une cinquantaine d’années à Bratislava :

« J’ai vécu cela avec une grande incompréhension, car nous nous comprenions très bien. Tchèques et Slovaques se mariaient, nous avions beaucoup de liens familiaux. Je ne ressentais pas, en tout cas, ces passions nationalistes qui sont apparues après la révolution de Velours. »

À l’échelle européenne, pour qui ne vivait pas la situation tchécoslovaque de l’intérieur au début des années 1990, cette incompréhension a été forte aussi, comme le rappelle la musicologue Viera Polakovičová, ancienne représentante de la Slovaquie auprès de l’UNESCO et ancienne directrice de l’Institut slovaque à Paris :

« Dans les milieux diplomatiques, la question était toujours la même : mais pourquoi ? Pourquoi la partition ? C’est une question que m’a posée Jacques Delors à Bruxelles et c’est une question qu’a aussi posée, par exemple, l’ancien ministre de la Culture français Jacques Toubon à l’écrivain Pavel Kohout à Paris. Pour moi, cela a été la question la plus dificile à laquelle il m’a été donné de répondre, parce qu’il fallait expliquer qu’il existait une belle complicité entre Tchèques et Slovaques, mais qu’il y avait aussi des problèmes qui avaient tendance à s’aggraver. Il y avait toujours des reproches du type ‘qui paie pour qui’, sur le développement insuffisant de la Slovaquie, et ainsi de suite. »

Photo: ČT24

Pour le sociologue slovaque Michal Vašečka, qui enseigne à Bratislava et à Brno, en Moravie, l’union des Tchèques et des Slovaques n’était pas une évidence non plus, et surtout pas au lendemain de la Première Guerre mondiale et de la création de la Première République tchécoslovaque en 1918 :

« Nous, Slovaques et Tchèques, aimons nous dire que nous sommes culturellement très proches les uns des autres, mais ce n’est pas tout à fait vrai. Les Tchèques sont beaucoup plus proches des Autrichiens et des Allemands, tandis que les Slovaques ont beaucoup de choses en commun avec les Hongrois, même si nous préférons ne pas l’avouer. Tchéques et Slovaques s’apprécient sincèrement les uns les autres, mais c’est davantage un amour et une proximité qui permettent d’accepter nos différences. »

Petra Švardová | Photo: Radio Prague Int.

Après la chute du régime communiste, sous lequel toute idée de séparation était exclue, cette compréhension et cette acceptation du voisin ont permis d’empêcher que la situation ne dégénere entre les deux peuples et d’éviter un scénario « à la yougoslave ». Toutefois, l’historienne slovaque Petra Švardová, dont la vie professionnelle fait partager le temps entre Bratislava et Prague, estime que comparer les deux anciens pays n’est pas tout à fait possible, et ce, même si le débat s’envenimait alors de plus en plus en Tchécoslovaquie :

« En Yougoslavie, tout a été beaucoup plus difficile qu’en Tchécoslovaquie pour tout un tas de raisons. Pensons seulement aux religions ou aux minorités, mais il y avait aussi tout un tas d’autres problèmes plus ou moins graves que l’on a un peu oubliés aujourd’hui. La Tchécoslovaquie, elle, était déjà une fédération, et ce mode de fonctionnement a simplifié pas mal de choses dans le processus de séparation. Et puis la nature des gens n’est pas la même dans les pays de l’ancienne Tchécoslovaquie et dans ceux de l’ancienne Yougoslavie. D’ailleurs, au début des années 1990, je pense que Tchèques et Slovaques, en voyant ce qui se passait en Yougoslavie, ressentaient une certaine peur, ils ne voulaient pas vivre la même situation. »

Václav Havel dans le quotidien français Le Monde | Photo: ČT24

À la même époque, dans le quotidien français Le Monde, le dessinateur Plantu avait représenté un Václav Havel en sueur et les bras ballants, faisant le grand écart au-dessus d’un abîme, entre deux rives s’éloignant l’une de l’autre, avec d’un côté les Tchèques et de l’autre les Slovaques. Au-dessus figurait ce commentaire de celui qui était alors encore le président de l’État commun : « Y’a plus qu’à espérer une évolutin de velours ! ».

Cette évolution de velours - ou paisible - espérée, Havel y contribuera. Le 20 juillet 1992, deux ans et demi donc après la révolution de velours et trois jours après l’adoption de la déclaration d’indépendance de la nation slovaque par le Parlement slovaque, il démissionnait ainsi de ses fonctions de président de la République.

Partisan, lui, du maintien d’un État commun, Havel avait alors expliqué sa décision à ses concitoyens lors d’une allocution télévisée surprise :

« Je suis parvenu au constat que je ne pouvais plus remplir les obligations découlant de mon serment d’allégeance à la République tchécoslovaque et à sa Constitution d’une manière conforme à ma nature, à mes convictions et à ma conscience. »

Estimant ne plus pouvoir « assumer la responsabilité de développements sur lesquels je n’ai plus d’influence », Václav Havel préférait, donc, jeter l’éponge, soucieux aussi de respecter la volonté d’indépendance et de souveraineté exprimée par les députés slovaques.

Photo: e-Sbírky,  Musée national,  CC BY 4.0 DEED

Dans un entretien diffusé dans nos émissions à l’occasion du 20e anniversaire de la partition, Omar Mounir, feu auteur du livre « La Partition de la Tchécoslovaquie » (publié en français en 1999 aux éditions Quorum) et ancien journaliste à Radio Prague, avait expliqué pourquoi « la partition paisible », selon lui, « a été un service immense que les Tchèques et les Slovaques ont rendu à tout le monde en Europe ».

Omar Mounir | Photo: Radio Prague International

Comme Petra Švardová, Omar Mounir souligne l’importance du caractère des deux peuples dans le fait qu’ils soient parvenus à se séparer dans la paix, et non dans un bain de sang comme souvent ailleurs dans le monde :

« Dans chaque pays il y a des dominantes locales, c’est à dire il y a tout un tas de caractères et puis il y a une résultante et c’est le caractère dominant. Les Tchèques sont des gens paisibles. On n’y peut rien, c’est comme ça. Que ça plaise ou ça déplaise. Et puis les Slovaques ont été entraînés dans cette atmosphère, ils ont joué le jeu, d’autant que, il ne faut pas l’oublier, il y a un mélange qui s’est fait entre ces pays pendant soixante-dix ans qu’a duré la Tchécoslovaquie. Il y a des statistiques très très surprenantes sur le nombre de Tchèques passés en Slovaquie pendant ce temps-là et le nombre de Slovaques passés en République tchèque. C’est comme ça, ces gens-là ne règlent pas leurs problèmes à coup de couteaux. »

Ainsi, donc, même si cela n’a pas forcément plus à beaucoup d’entre eux, et même si certains auraient vu d’un bon œil l’organisation d’un référendum qui aurait peut-être abouti au maintien de l’État commun, Tchèques et Slovaques ont laissé leurs dirigeants politiques, et notamment les Premier ministres Václav Klaus et Vladimír Mečiar, décider majoritairement de leur sort.

Et malgré les risques de dérapages et les multiples différends, malgré le populisme des deux côtés et le nationalisme en Slovaquie, tous ont au moins eu le mérite de s’entendre sur l’essentiel, permettant aux deux ex de rester en bons termes après leur divorce. Et c’est ainsi que, lundi soir, le Premier ministre slovaque Eduard Heger a assisté à Prague, aux côtés de tous les anciens chefs de gouvernement tchèques qui se sont succédés au pouvoir depuis 1993, au grand concert organisé pour le 30e anniversaire de la fondation de la République tchèque indépendante.

Eduard Heger et Petr Fiala | Photo: Office of Czech Government
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