Il y a 30 ans, la première visite de Jean-Paul II dans « le pays des pécheurs »
« Je vous souhaite la bienvenue, Saint-Père, parmi nous, les pécheurs », a dit Václav Havel ce jour-là à l’aéroport de Prague. Il y a trente ans, les 21 et 22 avril 1990, cinq mois après la première des manifestations qui ont abouti à la chute du régime communiste, Jean-Paul II effectuait une visite en Tchécoslovaquie. Pour le pape polonais, qui a compté parmi les prinicipaux artisans des grands changements politiques intervenus à l’époque, comme pour beaucoup en Tchécoslovaquie, cette visite a été une confirmation supplémentaire qu’un vent frais et nouveau de liberté soufflait désormais bien en Europe centrale et de l’Est.
« Je ne sais pas si je sais ce qu’est un miracle. J’ose pourtant dire que je suis en ce moment le témoin d’un miracle : un homme qui, il y a six mois encore, était arrêté comme un ennemi de l’Etat, accueille aujourd’hui en qualité de président de cet Etat le premier pape dans l’histoire de l’Eglise catholique à avoir posé le pied sur le sol où se trouve cet Etat. »
Ancien dramaturge, Václav Havel a toujours eu le sens de la formule. Et plus particulièrement lors des grands moments qui ont marqué les premières années de son exercice des fonctions de chef d’Etat. Un peu moins de quatre mois après avoir été élu président par les députés communistes, la visite de Jean-Paul II en 1990, premier passage d’un souverain pontife sur le sol de Bohême et de Moravie depuis l’arrivée du christiannisme au IXe siècle, avait été pour été lui une nouvelle occasion d’exprimer ses talents d’orateur.
L’événement était, il est vrai, exceptionnel. Inimaginable même quelques mois seulement encore plus tôt dans une Tchécoslovaquie qui comptait alors parmi les pays les plus hermétiques dans la région et où l’Eglise était restée, quarante ans durant, une des plus persécutées en Europe. Après sa Pologne natale, la Tchécoslovaquie, qu’il avait comparée à « une pierre tombale » quelques années plus tôt, devenait ainsi le deuxième pays de l’ancien bloc communiste dans lequel Jean-Paul II se rendait.
Alors que deux ans sont généralement nécessaires à l’organisation d’une visite du chef spirituel du Vatican, Jean-Paul II s’était empressé de répondre à l’invitation lancée par l’ancien dissident Václav Havel et son ami le cardinal František Tomášek. Interné par les communistes au début des années 1950, celui qui était l’archevêque de Prague depuis 1965 était devenu un des symboles de la défense de la liberté - religieuse mais pas seulement - en Tchécoslovaquie. Durant les années 1980, František Tomášek avait rencontré à plusieurs reprises le pape, qui l’avait mobilisé dans cette lutte à l’issue très incertaine.En s’agenouillant à sa descente d’avion à l’aéroport de Prague ce 21 avril 1990, c’est donc le sol d’un pays et d’un peuple qu’il connaissait déjà fort bien que Jean-Paul II a baisé, comme l’ont confirmé un peu plus tard ses premières paroles prononcées dans un tchèque presque parfait seulement teinté d’un léger accent polonais :
« Les croyants de Bohême, de Moravie et de Slovaquie ont à Rome un pasteur qui comprend leur langue. Qui comprend aussi leur silence. Lorsque l’Eglise de ce pays était réduite au silence, j’ai considéré qu’être leur voix faisait partie de ma mission. Aujourd’hui, ma principale mission vis-à-vis de l’Eglise tchécoslovaque est celle que Jésus a confiée à Pierre : affermir ses frères »
Devant une immense foule rassemblée sur l’esplanade de Letná, là où s’étaient tenues les grandes manifestations contre le régime communiste en novembre 1989, puis à Velehrad, haut-lieu de pélerinage en Moravie du Sud, devant 350 000 personnes venues également des pays voisins, Jean-Paul II a célèbré deux messes, avant de poursuivre sa route à Bratislava.
Plus généralement, cette visite de Jean-Paul II dans une Tchécoslovaquie où il avait à plusieurs reprises émis le souhait de se rendre avant même la chute du régime communiste, est aussi devenue le symbole des changements qui sont ensuite intervenus dans l’ensemble de l’Europe de l’Est en matière de libertés religieuses et dans les rapports entre l’Etat et les Eglises.Preuve de son attachement à ses origines slaves et de l’importance qu’il accordait à l’évolution de la place de l’Eglise catholique dans une Bohême historiquement plus protestante et qui, longtemps, a entretenu des relations exécrables avec le Vatican, Jean-Paul II est ensuite revenu encore à deux reprises dans ce qui était entretemps devenu la République tchèque : d’abord en mai 1995 pour la canonisation de Jan Sarkander et de Zdislava de Lemberk, puis en avril 1997 à l’occasion du millénaire de la mort de saint Adalbert de Prague (Vojtěch).