Il y a 30 ans, Václav Havel prononçait un discours historique devant le Congrès américain
Le 21 février 1990, le nouveau président tchécoslovaque Václav Havel effectuait sa première visite officielle aux Etats-Unis. Moins de deux mois après la chute du régime communiste, l’ancien dissident, grande figure des grands changements de l’époque en Europe de l’Est, y avait prononcé un discours marquant, ode à la paix et à la fraternité, resté dans toutes les mémoires.
Il y a trente ans jour pour jour, Václav Havel s’exprime en tchèque devant les représentants du Congrès américain, réunis en séance conjointe pour l’occasion, dans un discours hautement symbolique. En effet, la Guerre froide touche à peine à sa fin et les relations se dégèlent peu à peu entre l’Est et l’Ouest. Fraîchement libéré de prison, Václav Havel avait été élu président de la Tchécoslovaquie un peu moins de deux mois plus tôt. Réalisateur, écrivain et ancien membre du Congrès américain d'origine tchèque, Robert Jan Mrazek revient sur ce discours historique auquel il a assisté aux premières loges :
« Je ne sais pas ce que mes collègues attendaient de ce discours. Il s’est avéré qu’il s’agissait d’un discours célébrant la dignité humaine et la liberté individuelle. Havel a parlé du prix de cette liberté individuelle lorsqu'un régime totalitaire détruit les droits d'un individu. Il a parlé comme quelqu'un qui avait passé beaucoup de temps en prison pour avoir osé s'exprimer au nom de la liberté individuelle. C'était un discours très inspirant. Le cœur de ses paroles était qu’une révolution mondiale était enclenchée dans la conscience humaine, avec le fait que nous étions tous de la même famille : l'homme. Mais il nous a également avertis que nous nous éloignions de cet idéal et que nous devions davantage nous impliquer pour le bien de tous, et pas seulement dans notre propre intérêt. »Outre l’appel à construire un monde de paix et à protéger les droits de l’Homme, Václav Havel évoque dès 1990 des enjeux qui sont aujourd’hui plus que jamais d’actualité :
« Il a parlé de la destruction de la planète qui nous a été confiée et de l'environnement. Il a dit que beaucoup de personnes affirmaient défendre des causes et les faire passer avant elles, mais qu’en réalité ces personnes faisaient passer leur intérêt personnel en priorité. Si Havel était vivant, il serait beaucoup plus insatisfait de l'état actuel de la politique qu'il ne l'était à l’époque. Il nous a appelés à agir et à faire appel au meilleur de notre nature. Je souhaite que nous l’écoutions d’avantage, que nous tirions des leçons de son enseignement. »La démocratie est un idéal cher au président Havel qui, dans son discours, demande à Washington de ne pas aider financièrement la Tchécoslovaquie, mais plutôt de soutenir la transition démocratique de l’URSS. Robert Jan Mrazek dresse un bilan contrasté de la progression de la démocratie dans le monde depuis les paroles de l’ancien président tchécoslovaque. En particulier, il porte un regard négatif, mais néanmoins lucide, sur les Etats-Unis de Donald Trump :
« Je pense que le président Havel serait terriblement déçu de la façon dont nous avons manqué l'occasion de construire un monde plus sûr, cette famille humaine, comme il l'appelait. À cette époque, il y avait un grand optimisme quant à la propagation de la démocratie partout dans le monde. Je n'aurais jamais pensé que de mon vivant Mandela serait élu à la présidence de l'Afrique du Sud. Il y a eu tellement d’opportunités, de transformations et d’espoirs. Et trente ans plus tard, nous assistons au retour de l'autocratie. Et cela se renforce aux États-Unis, où nous avons un président qui pense qu'il n'est pas soumis à la loi. C'est à la fois triste, tragique, dérangeant et effrayant. En tant qu'ancien membre du Congrès, je suis aussi déçu et je ne peux qu'espérer voir revenir les valeurs démocratiques en Europe centrale, aux États-Unis et partout dans le monde. Mais je ne suis pas très optimiste. »
Robert Jan Mrazek appelle les dirigeants à s’inspirer des paroles du président Havel dans leur manière de faire de la politique afin de relever les défis que posent les enjeux de la démocratie, la paix mondiale et les droits de l’Homme :
« Je pense que les États-Unis ont besoin d'une politique étrangère fondée sur des principes, justement les principes dont le président Havel a parlé. Regarder le monde comme une famille humaine, voir au-delà de nos différences et chercher des moyens pour réaliser les choses de manière pacifique. Des dizaines de milliers de civils innocents sont assassinés au Moyen-Orient, en Syrie, en Afghanistan et ailleurs. Nous avons besoin d'une politique étrangère à long terme fondée sur des principes, ce que nous n'avons pas actuellement. Notre politique étrangère est aujourd’hui basée sur le caprice, sur des coups de tête, sur l’humeur du moment du président. Le Sénat a renoncé à son pouvoir de décider de l'usage des forces militaires en faveur du président, et c'est inquiétant, c’est effrayant. Encore une fois, je reviens au principe que le président Havel a mis en avant : utiliser notre force pour construire la paix dans le monde. »Les mots de Václav Havel, à l’époque très chaleureusement accueillis par les sénateurs et les représentants américains, n’ont donc pas fini de résonner. L’ancien président tchécoslovaque laisse un héritage à la fois politique et philosophique - comme il définissait lui-même ses paroles - qui donne des pistes de réflexion sur les transformations du monde contemporain.
Et voici la fin du discours de Václav Havel, où, cette fois, il s’exprime en anglais :
« Je terminerai comme j’ai commencé : l’histoire s’accélère. Je crois qu’encore une fois, ce sera le rôle de l’esprit humain de remarquer cette accélération, lui donner un nom, et transformer ces mots en actions. Merci. »