Il y a 50 ans, le courage de huit citoyens russes manifestant contre l’invasion de la Tchécoslovaquie

Участники демонстрации 25 августа 1968 года (Фото: ЧТ24)

Il y a 50 ans, le 25 août 1968, huit citoyens russes se réunissaient sur la Place rouge à Moscou pour manifester leur désapprobation suite à l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du pacte de Varsovie, survenue quelques jours plus tôt. Un acte de défi intolérable pour les autorités soviétiques qui leur firent payer cher leur courage. Samedi, quelques dizaines de personnes ont souhaité commémorer l’événement à Moscou, entraînant l’arrestation de trois manifestants.

Les 'huit courageux' qui à l’été 1968 ont osé protester sur la place Rouge contre l’invasion de la Tchécoslovaquie | Photo: ČT24

D’aucuns diraient que certaines choses ne changent pas en Russie, suite à l’annonce de cette interpellation samedi sur la Place rouge. Une trentaine de personnes s’étaient ainsi rassemblées pour rappeler qu’il y a 50 ans, huit citoyens russes avaient osé critiquer l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie.

Dès l’annonce de l’arrestation de trois manifestants, dont parmi eux deux membres de la famille de deux protestataires de 1968, le ministère tchèque des Affaires étrangères a sévèrement critiqué le comportement de la police russe, venue mettre un terme à une « manifestation non-autorisée ». Les critiques ont également fusé des rangs du parti conservateur TOP 09 et du parti chrétien-démocrate. Les manifestants ont été relâchés plus tard dans la journée, mais ils risquent une amende pouvant aller jusqu’à 390 euros.

En 1968, c’est un sort bien différent qui attendait les manifestants. Pavel Litvinov était l’un d’entre eux :

« J’ai été tabassé et emmené au poste de police. J’ai fini par être exilé en Sibérie, où j’ai travaillé comme électricien dans les mines. C’était très dur. A un moment donné, je suis tombé très malade. Mais en même temps, je m’attendais à pire. J’étais prêt à me retrouver en camp de travail, derrière des barbelés, pour sept ans. Je n’ai écopé que de cinq ans d’exil, et ma femme et mon fils ont pu me rejoindre. Ma fille est d’ailleurs née là-bas. C’était bien mieux. Je m’attendais à pire et j’étais préparé au pire. »

Jusqu’à ce jour d’août 1968, pivot dans la vie des huit protestataires de la Place rouge, le profil de Pavel Litvinov était assez « classique » de l’histoire soviétique du XXe siècle. Son grand-père, Maxim Litvinov avait été ministre des Affaires étrangères de Staline dans les années 1930. Et jusqu’au discours de Nikita Khrouchtchev en 1956, le petit père des peuples avait été un objet d’admiration pour le jeune Pavel.

Si le rapport Khrouchtchev suscite de l’espoir, celui-ci est vite douché par l’invasion de la Hongrie. Pavel Litvinov commence alors à chercher et à se rapprocher de personnes qui, comme lui, estiment qu’il y a quelque chose de pourri dans l’empire soviétique. En 1968, quelques échos du mouvement réformateur du Printemps de Prague parviennent aussi en Union soviétique :

Pavel Litvinov,  photo: Ondřej Tomšů
« On en entendait parler de manière officielle, mais c’était très déformé. Mais nous savions lire entre les lignes. Quand on entendait que l’intelligentsia tchèque avait des sympathies pour les idées bourgeoises capitalistes, nous savions qu’en fait il s’agissait de droits de l’Homme et de liberté d’expression. Nous écoutions la Voix de l’Amérique, la BBC, Radio Liberté, donc nous étions informés. Pour nous le Printemps de Prague, la possibilité de construire le socialisme à visage humain, comme disait Dubček, nous a fait penser : ‘Et si ça arrivait chez nous ?’. Nous n’étions pas naïfs, nous savions que c’étaient des pays différents, mais en même temps, nous ressentions un lien très fort avec les Tchécoslovaques. »

Cet espoir est balayé, tant pour ces derniers que pour les Russes aspirant à un changement, par l’intervention des troupes soviétiques le 21 août. C’est là que huit Russes dont Pavel Litvinov décident d’organiser leur manifestation sur la Place rouge :

« Nous sentions que nous devions parler. Nous n’espérions pas parvenir à quoi que ce soit. Nous savions qu’ils n’allaient pas retirer les troupes juste à cause de notre manifestation. Les autorités soviétiques disaient que toute la population soutenait l’intervention en Tchécoslovaquie. Mais nous avons voulu dire : ‘Non, pas toute la population, je ne suis pas l’un d’entre eux’. Voilà, nous sentions que nous devions nous exprimer et qu’il fallait qu’on sache que tous les Russes n’étaient pas d’accord. J’avais honte qu’en mon nom, un gros pays occupe son voisin, un petit pays, pour nulle autre raison que parce que ce dernier voulait déterminer seul son destin. »

50 ans après, le message que Pavel Litvinov et ses camarades ont voulu faire passer à l’époque est plus que jamais d’actualité. Une des manifestantes arrêtées samedi sur la Place rouge portait une pancarte demandant la libération du réalisateur ukrainien Oleg Sentsov, en grève de la faim, et farouche opposant de l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014.