Il y a cent ans disparaissait Jan Kříženecký, le père du cinéma tchèque
Il est au cinéma tchèque ce que les frères Lumière sont au cinéma français. C'est d'ailleurs le visionnage d'un de leurs films qui, en 1896, a marqué un tournant dans sa vie. Jan Kříženecký, auteur du premier film tchèque, est décédé le 9 février 1921, il y a exactement un siècle.
Dans la liste des grands cinéastes tchèques, on connaît surtout Miloš Forman, Jiří Menzel, Jan Svěrák ou, pour les plus anciens, dans l'entre-deux-guerres, Gustav Machatý. Bien avant ces grands noms, il y en a un qui est quelque peu tombé dans les oubliettes de l'histoire. Pragois de naissance, Jan Kříženecký a 28 ans quand il découvre avec émerveillement une production des frères Lumière, projetée dans une taverne de la rue Hybernská.
Architecte raté, cet employé de l'Office des constructions est chargé de la documentation photographique des vieux quartiers de Prague. Car l'homme est passionné de photographie, cette nouvelle technologie qui a révolutionné le rapport à l'image au XIXe siècle. Mais l'autre révolution en cours, c'est le cinéma, et Jan Kříženecký est subjugué par ce qu'il voit sur la toile du grand écran.
Peu après ce coup de foudre technologique, Jan Kříženecký se rend à l'usine des frères Lumière à Lyon et achète un cinématographe, ce célèbre appareil qui est à la fois caméra et projecteur. Pour cela il doit emprunter de l'argent. Il y a quelques années, son petit-neveu, Jaroslav Kříženecký, s'était souvenu pour la Radio tchèque :
« Il ne s'est jamais vraiment préoccupé des questions matérielles ou de gagner de l'argent. Il était préférait se consacrer à ce qui l'intéressait réellement. D'une certaine façon, il était un peu irresponsable. Il n'a pas fini ses études, préférant faire ce qui lui plaisait : d'abord la photographie, puis quand il a découvert le travail des frères Lumières, il a commandé une caméra en France et est devenu le tout premier cinéaste tchèque. »
Dans son entreprise, il est épaulé par un ancien camarade de classe Josef František Pokorný qui peut être considéré comme le tout premier producteur tchèque de cinéma : il emprunte de l'argent à son père, propriétaire d'une fabrique de calèches. C'est ainsi qu'il joue dans le tout premier film de Jan Kříženecký, où on aurait dû le voir sortir du parc de Stromovka en calèche. Mais quand ils reçoivent le film développé à Lyon, aucune image n'est visible.
Pas découragé, Jan Kříženecký persévère et continue de produire ses propres films qu'il présente dans un pavillon pour 180 spectateurs qu'il fait spécialement construire sur le site du Parc des Expositions à Prague. Lors des projections, son ami, Josef Pokorný, commente les films et est chargé des bruitages. Cette première salle de cinéma en pays tchèques est appelée Théâtre Uranie. Plus tard, le célèbre Café Louvre de la rue Národní devient également un lieu de projection de films, puis le cinéma Světozor (1918), à deux pas de la place Venceslas, qui est d'ailleurs toujours une salle de cinéma renommée de nos jours. Jan Kříženecký en deviendra le tout premier directeur.
Comme le rappelait son petit-neveu il y a quelques années, Jan Kříženecký était un peu considéré comme l'original de la famille. Toujours endetté en raison de sa passion pour les nouvelles technologies, Jan Kříženecký aimait aussi à combiner ses objets de prédilection. Amateur d'horlogerie, il met en valeur cet intérêt pour le temps jusque dans ses films :
« Dès qu'il rendait visite à quelqu'un, il parcourait tout l'appartement pour aller observer les horloges du lieu. Il les remontait et les réglait à la bonne heure. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles un de ses films documentaires met en scène un tir de canon qui, à l'époque, annonçait midi à Prague. Il a même dû refaire le film une seconde fois parce que la première fois, il était si près que le coup de canon l'a projeté en arrière avec sa caméra. »
En dépit des multiples fiascos de ses nombreux projets, Jan Kříženecký a tourné une quinzaine de films, en tant que réalisateur, caméraman ou producteur, avant de reprendre son travail à l'Office des constructions. Parmi ses réalisations, des films consacrés au rassemblements de gymnastique patriotiques Sokol, à la visite de l'empereur François Joseph Ier à Prague, ou d'autres saynètes mettant en scène la vie quotidienne.
Une autre génération prendra ensuite la relève, mais c'est à Jan Kříženecký que les Tchèques doivent d'avoir été le sixième pays au monde à s'être lancé dans la production cinématographique. En 1947, la place devant les célèbres studio de cinéma Barrandov à Prague a été baptisée en son nom, et le porte toujours aujourd'hui.