Iva Mrázková : « Devenir un pont entre mes deux pays » (II)
Suite et fin de notre entretien avec Iva Mrázková, une artiste tchèque née à Opava, mais qui vit depuis 1989 au Luxembourg. Dans son travail et sa vie quotidienne, elle aspire à être une sorte de passerelle, un pont entre ses deux pays qui, dans le passé, ont eu des liens forts. Des liens symbolisés notamment par le père de l’empereur Charles IV, Jean de Luxembourg auquel elle a consacré un livre pour enfants, en collaboration avec une auteure luxembourgeoise.
« Toutes les sculptures sont en acier Corten. C’est un acier oxydable uniquement en surface. Pourquoi la rouille ? J’aime beaucoup la couleur, et ensuite on n’a pas besoin de repeindre plus tard, cela reste tel quel. La seule chose qui arrive, c’est que la couleur fonce avec le temps. Avec la pelouse, je trouve que la couleur rouille contraste avec le vert. Le parc Tournay-Solvay à Bruxelles est un parc à l’anglaise, avec des arbres classés. C’était donc magnifique : il y avait des jeux d’ombres et de lumière avec les sculptures. J’étais très heureuse d’avoir été choisie pour cette exposition. »
Et pour représenter le Luxembourg, votre deuxième pays…
« C’est vrai que beaucoup de mes collègues luxembourgeois étaient étonnés que j’ai été choisie. Mais en septembre, je suis devenue luxembourgeoise, donc j’ai la double nationalité, après 26 ans de vie au Luxembourg ! Je suis contente, parce que désormais, pour représenter le pays, il m’est plus facile de le justifier. »Nous avons parlé de l’importance de faire un pont entre vos deux pays. Justement, vous avez illustré des livres pour enfants. Certains de ces livres parlaient de Jean de Luxembourg, très lié à l’histoire tchèque, puisqu’il fut le père de Charles IV, roi de Bohême et empereur romain, un des souverains les plus célèbres des pays tchèques…
« C’est vraiment le troisième volet de mon travail artistique. Cela fait sept ou huit ans que je travaille avec la même auteure. On a commencé par un livre pour enfants, à vol d’oiseau au-dessus de la ville de Luxembourg. Ils traitent toujours de monuments historiques liés avec l’histoire de la ville ou bien, de personnages historiques comme le livre sur Jean l’Aveugle. C’était en 2010. Corinne Kohl-Crouzet a décidé de traduire ce livre en cinq langues, dont le tchèque. On a présenté le livre et ses illustrations dans le cadre d’un festival à Litomyšl, en 2010. Le livre a accompagné l’exposition dédiée à Jean l’Aveugle, dans la galerie U zvonu. Cette fois-ci, l’an prochain, on a l’intention de faire le même livre, sur Charles IV, le fils de Jean l’Aveugle. »
Que représentent les illustrations, quelle est leur place dans votre travail artistique ?
« C’est très différent. Ce que j’adore avec l’illustration, c’est que ce n’est plus un monologue mais un dialogue. Quand je fais mes toiles et mes sculptures, c’est ce que je veux faire et c’est un peu égoïste. C’est ma création. Pour les illustrations, surtout celles qui concernent l’histoire, on a besoin d’apprendre, de voir comment dessiner les détails de l’architecture, des habits. Et puis je dois ‘obéir’ à l’auteure ! Pour ma personnalité parfois têtue, je dois m’incliner. C’est quelque chose qui me fait du bien. C’est un travail de quelques mois sur le livre, et parfois l’auteure perd de ses forces ou perd espoir pendant le processus de création. Alors on se motive réciproquement : quand j’ai plus d’énergie, je lui en donne et vice-versa. Je trouve que c’est très beau. On est très amies, et cette amitié a gagné en profondeur grâce à cette création commune. »En vous intéressant à l’illustration, je trouve que c’est une façon de renouer avec la tradition tchèque. On sait que la tradition tchèque de l’illustration de livres pour enfants est riche et belle…
« Oui. Et en outre, j’ai une formation très classique : je peux dessiner la perspective, le corps humain, donc je m’exerce en même temps dans ces dessins-là ! »
Revenons à votre nouvelle fonction : vous êtes depuis peu consul honoraire de la République tchèque au Luxembourg. Qu’est-ce que cela signifie pour vous au quotidien et en termes de projets ?
« Je pense qu’il s’agit toujours de la même chose : je n’ai pas changé de position, mais je peux plus faire de choses pour soutenir les choses qui relient les deux pays. Cela me fait plaisir en plus : par exemple, début 2016, on va présenter de nouvelles étiquettes sur des vins de Moselle sur le thème de Charles IV. Je vais être l’artiste tchèque qui fait le lien, et il y aura un autre artiste du Luxembourg dont les dessins seront sur ces étiquettes. »A côté de ce travail de consul honoraire, quels sont vos projets d’exposition à venir, dans l’année qui vient ?
« J’ai toujours beaucoup de projets qui sont en cours. Pour l’instant, en République tchèque, j’ai des possibilités, mais je ne veux pas trop en parler, car ce n’est pas encore tout-à-fait défini. Au Luxembourg, il va y avoir une exposition de sculptures dans le parc communal, l’été prochain. On va aussi exposer les illustrations du livre sur Charles IV au moment du lancement. Comment et où, on verra selon les étapes du livre. »