Ivan Gutierrez, de Zuzana Navarová à Madera

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De la musique latino, un peu de chanson tchèque, de la musique du monde, c’est avec Ivan Gutierrez. Son nom de famille ne laisse pas de doute, il est un latino, originaire de Colombie. Mais peut-être que son prénom, Ivan, un prénom traditionnel slave – bien que commun dans les pays hispanophones – le prédestinait à venir s’installer sur ces terres est-européennes.

Ivan Gutierrez est né à New-York, de parents colombiens. Il a donc grandi dans un milieu cosmopolite. Il parle remarquablement plusieurs langues étrangères, dont le français, comme vous allez l’entendre, et le tchèque, puisqu’il est par ailleurs traducteur. Mais il est avant tout guitariste et fondateur du groupe Madera.

« Je joue de la guitare, je chante, j’écris des chansons, des chansons d’auteur. Ca fait longtemps que je joue ici. Je jouais avant avec Zuzana Navarová. Je suis ensuite partie en Espagne et depuis que je suis revenu, j’ai commencé avec Madera. Avec Madera, on a commencé petit mais maintenant, on est quatre. Je suis à la guitare et à la voix. Il y a une contrebasse. C’est Tadeas Mesany qui en joue. Le batteur est David Landstof, et il y a un accordéon, c’est Mathieu [Gautron]. »

Est-ce que c’est difficile de tourner, de jouer en République tchèque ?

« On ne le fait pas trop, mais ce n’est pas parce que c’est difficile en République tchèque mais seulement parce qu’on n’arrive pas à bien s’organiser. Mais je crois qu’on a un bon public. A Prague c’est différend, mais dans le reste du pays, ce n’est peut-être pas un public qui est habitué aux musiques du monde. Ce n’est pas comme la France ou l’Angleterre. Ca pourrait être mieux mais ça marche, ça marche très bien. »

Vous avez rencontré Zuzana Navarová au début des années 90, en 1993. Vous avez commencé à travailler avec elle. Comment a eu lieu cette rencontre ?

« Quand je suis arrivé en 1993, je voulais jouer, je voulais faire quelque chose. J’avais entendu que Zuzana faisait de la musique en espagnol. Je me suis dit que ce serait bien de l’appeler, de prendre contact avec elle parce que je pensais qu’elle pourrait connaître des musiciens d’Amérique latine. Je l’ai appelé. Elle m’a dit de venir à un concert, après lequel on a discuté. Elle m’a proposé que l’on se rencontre et que je lui montre mes morceaux. On a donc fait cela puis elle m’a invité à venir jouer avec elle et avec le groupe avec lequel elle jouait qui s’appelait Nerez. J’ai commencé comme ça et au bout d’un an, on a formé un trio qui s’appelait Tres. On a joué comme cela quelques années puis on a joué avec Koa. »

En 2000, Ivan Gutierrez quitte la République tchèque pour un interlude en Espagne.

« J’étais déjà ici depuis 8 ans. J’avais l’impression qu’il y avait ma langue qui me manquait. Je voulais refaire le lien avec l’espagnol. Mais je me suis rendu compte que ce n’est pas parce que l’on parle la même langue qu’il s’agit de la même culture. Il y a beaucoup de différences entre la culture espagnole et la culture colombienne et je suis finalement revenu. »

La République tchèque est réputée pour être un pays de musiciens, les gens pratiquent beaucoup la musique, que ce soit de la musique classique ou du jazz. Etes-vous d’accord avec l’idée que c’est une nation de musiciens ?

« Dans un sens oui. Il y a beaucoup de musique en République tchèque, beaucoup de musique qui se fait ici, qui s’écoute ici, de la musique qui vient aussi d’ailleurs et les gens ont beaucoup d’intérêt pour entendre de nouvelles choses. Il y a partout des écoles. Chaque Tchèque a étudié dans une école de musique quand il était petit. Et il est vrai qu’ils sont connus pour la musique classique et le jazz. Je trouve que c’est un pays très musical. »

Et vous Mathieu ?

Mathieu : « Ce qui me surprend vraiment, en République tchèque, c’est que chaque Tchèque est capable de prendre un instrument et de jouer. Prague est aussi une ville intéressante parce que c’est aussi une ville très cosmopolite. On peut rencontrer des argentins, des colombiens, des uruguayens, des indiens, des personnes du monde entier. C’est très facile de travailler avec eux, d’apprendre de nouvelles musiques, et même beaucoup plus facile qu’à Paris. A Paris, tous ces cercles sont vraiment très fermés, et si on ne connaît pas la musique, c’est très difficile. C’est ce qui m’intéresse à Prague aujourd’hui. C’est un endroit où je peux rencontrer beaucoup de monde, et les salles ici n’ont pas forcement énormément de moyens mais si on a des créations, des projets, elles sont toujours ouvertes à offrir des salles. Je pense que c’est un pays vraiment intéressant pour la musique. »

Ivan : « Moi je le vois de l’extérieur. Mais être à Paris ou New-York, ce serait pour moi plus intéressant. Si on ne fait pas de la musique jazz, classique, ou très mainstream ici en République tchèque, c’est très difficile de rencontrer des gens qui jouent une autre musique. Dans une autre grande ville comme Paris, New-York ou Londres, je trouve qu’il y a beaucoup de monde. Le public est plus éduqué et les musiciens aussi. C’est donc plus facile de trouver des langues qui parlent des langues musicales.

Ca s’améliore tout de même ? J’ai l’impression que l’ouverture vers les musiques du monde est de plus en plus grande…

Ivan : « Peut-être mais dans des pays comme la France ou les Etats-Unis, il y a eu un contact avec d’autres cultures plus longtemps, donc il y a eu plus de temps pour avoir un mélange de culture. On commence à voir pas seulement des gens qui jouent des musiques autochtones, mais on commence à voir des mélanges intéressants. Ici, ce n’est pas à ce point là, en République tchèque. Des gens viennent, le pays commence à s’ouvrir, mais je ne ressens pas une voix très forte qui soit une voix tchèque qui ait déjà incorporée des nouveaux éléments. »

Zuzana Navarová faisait alors encore plus figure d’exception. Comment s’était-elle tournée vers les musiques du monde ?

Zuzana Navarová
« Elle avait commencé à l’université et avait étudié l’espagnol. Elle est ensuite allée à Cuba. Il y a la culture de la chanson, et c’est quelque chose qui est très fort en Amérique latine. Un chanteur, de la musique bien faite, mais aussi de la poésie, c’est la musique d’Amérique latine et c’est quelque chose qui lui a parlé. Elle a connu des gens comme Sylvio Rodriguez, comme Pablo Milanes, soit vraiment des stars de la musique de ce style comme seraient Brel ou Brassens pour la musique française. C’est quelque chose qui l’a frappé. Quand je l’ai connue, elle venait de faire un disque qui s’appelle Caribe. C’étaient des chansons qui sont très connues. Et c’est grâce à cela que j’ai pensé qu’elle pourrait connaître des musiciens pour moi, parce qu’elle avait réussi à réunir des gens pour faire ce disque. »

Depuis environ un an, Mathieu Gautron, à l’accordéon, a donc intégré la formation d’Ivan Gutierrez, Madera, qui prépare donc de nouveaux projets :

Ivan : « On a déjà du matériel qu’on joue quand on se produit en concert. Mais on cherche maintenant la façon de le faire. On a déjà une maison de disque mais on aimerait bien trouver une autre façon de faire la distribution de la musique. Maintenant, avec internet, le paysage a tellement changé. Ici à Prague, on joue régulièrement dans un endroit qui s’appelle la Balbínova poetická hospůdka et c’est un endroit où les gens sont des habitués. C’est assez petit mais c’est toujours assez plein. Et c’est très agréable de jouer là-bas.»

Mathieu : « C’est un endroit absolument surprenant. C’est vraiment fait d’une façon où les gens sont attentifs à la musique, et c’est vraiment une communion entre Ivan, les musiciens et le public. »

Vous savez donc où trouver Ivan Gutierrez et son groupe Madera. Ils jouent en général une fois par mois à la Balbinova poeticka Hospudka. Il faut d’ailleurs souvent réserver sa place à l’avance parce que les concerts affichent généralement complet. Le prochain concert aura lieu le 23 octobre prochain.