Jágr est leur Messi(e)

Jaromír Jágr, photo: ČTK
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Les Pragois n’étaient pas beaucoup plus souriants que d’ordinaire ce vendredi matin dans le métro. Peut-être à cause de la fatigue ou de l’émotion. Car, pour des millions de Tchèques, la nuit de jeudi a été courte, belle, enivrante et même enivrée pour certains d’entre eux. Emmenée par un Jaromír Jágr en état de grâce, auteur de deux buts et d’une assistance, la République tchèque s’est en effet qualifiée pour les demi-finales de son championnat du monde de hockey sur glace en battant la Finlande (5-3). Désormais assurée de pouvoir se mêler à la lutte pour une médaille jusqu’à fin du tournoi dimanche, la Reprezentace, poussée par tout un pays, défiera le Canada de Sidney Crosby, samedi, dans une demi-finale qui ressemblera cependant fort à une mission impossible. Mais tel Napoléon en campagne, Jágr l’a déjà annoncé : « Impossible n’est pas tchèque ».

Jaromír Jágr,  photo: ČTK
Les Tchèques sont, paraît-il, un peuple d’impies et de mécréants. Ils ont pourtant une religion, le hockey, un temple, l’O2 Arena, et un Dieu : Jaromír Jágr. Elu meilleur joueur du match, le légendaire ailier aux 43 ans sur les épaules et au numéro 68 sur le dos a livré jeudi soir, devant une salle comble aux anges, très certainement une des performances les plus accomplies de sa carrière sous le maillot de l’équipe nationale, qu’elle soit tchèque ou tchécoslovaque. Un an après la défaite (0-3) concédée contre le même adversaire en demi-finale du Mondial en Biélorussie, Jaromír Jágr et ses partenaires ont pris leur revanche sur une Finlande qui ne s’est avouée vaincue qu’à l’ultime retentissement de la sirène :

Jaromír Jágr,  photo: ČTK
« Nous n’avons pas respecté inutilement les Finlandais. Nous leur sommes rentrés dedans dès la première minute de jeu. Nous avons beaucoup patiné pour les contraindre à jouer sous pression et tout le monde a répondu présent physiquement malgré quelques petites baisses de régime. Moi, je me sens bien, mais ce n’est pas nouveau. J’ai perdu quelques kilos et mon transfert de New Jersey à Florida (cf. http://www.radio.cz/fr/rubrique/sport/hockey-en-floride-a-43-ans) en cours de saison m’a fait beaucoup de bien. Quand la saison en club s’est achevée, j’ai continué à me préparer dans la perspective de ce Mondial en sachant que certains de nos joueurs qui sont en NHL ne pourraient pas y participer. Je me suis entraîné deux fois par jour pour être prêt en cas de besoin. »

D’abord auteur du but de l’égalisation à 2-2 dans le deuxième tiers-temps, puis d’une assistance (passe décisive) sur le 3-2 deux minutes plus tard et enfin du but victorieux à 4-3 à cinq minutes de la fin de la rencontre, lorsque les 17 000 spectateurs commençaient à se demander quels ongles ils pourraient bien encore se ronger durant la prolongation, « Jarda » Jágr était donc prêt le jour J. C’est lui qui a été le grand artisan de la victoire des siens dans un quart de finale qui, en cas de défaite, aurait signifié la fin du rêve pour les Tchèques. Ovationné, comme ses partenaires, durant de longues minutes par le public à la sortie de la glace, Jágr a également eu droit à un sacré coup de chapeau de son entraîneur, Vladimír Růžička :

Vladimír Růžička,  photo: ČTK
« Quand Jarda est dans un tel état d’esprit, il joue merveilleusement bien. C’est un leader sur la glace, un exemple pour ses coéquipiers. Il marque, mais il s’est aussi battu comme un lion. Il ne joue pas seul non plus. L’ensemble de l’équipe s’est mise au diapason. Bien sûr, vous ne pouvez pas gagner sans marquer, et les buts décisifs ce soir, Jarda les a inscrits. Mais il a aussi vingt autres joueurs autour de lui qui ont été fantastiques et qui ont tout donné en faisant preuve d’une solidarité exemplaire. Et Jarda est un peu leur papa. »

Annoncé fermé, prudent, défensif et pauvre en buts avec un Pekka Rinne dans la cage finlandaise comptant parmi les meilleurs gardiens au monde et élu meilleur joueur du Mondial 2014, ce quart de finale entre la République tchèque et la Finlande n’a pas tout à fait répondu au scénario attendu, si ce n’est au niveau de l’incertitude et de l’intensité. Après avoir ouvert logiquement la marque dans un premier tiers-temps entamé pied au plancher et parfaitement maîtrisé, les Tchèques se sont retrouvés menés au score (1-2) sans trop bien même savoir comment au début du deuxième tiers. Mais deux buts inscrits coup sur coup sur deux supériorités numériques peu après la demi-heure de jeu leur ont permis de repasser devant un adversaire qui a malgré tout recollé à son tour au tableau d’affichage dans la troisième période. Et alors que se profilait une prolongation irrespirable et fortement déconseillée aux cardiaques, c’est le moment que choisit Jaromír Jágr pour faire retentir le dernier coup de son heure de gloire…

Marqué dans une cage finlandaise déserte dans les ultimes secondes de la partie, le cinquième but a parachevé le succès tchèque, ce dont se félicitait le capitaine Jakub Voráček :

Martin Erat,  Jakub Voráček,  Jaromír Jágr,  photo: ČTK
« C’est tout à la fois. C’est une grande joie, un grand soulagement et beaucoup d’émotion pour tout le monde. Pour nous joueurs, pour les supporters et pour toute la République tchèque… Vous savez, un championnat du monde n’est considéré comme réussi que si nous passons le stade des quarts de finale. Mais ça se joue sur un match et tout est toujours possible. Aujourd’hui, Dieu merci, tout est allé dans le bon sens et nous sommes allés chercher cette victoire. A 3-3 dans le troisième tiers-temps, nous sommes restés sereins et n’avons pas paniqué malgré la tension. Les Finlandais ont eu des occasions eux aussi, mais nous avons su faire preuve de patience pour inscrire le but décisif. C’est ce qui fait notre force depuis le début du tournoi. »

Une fois l’euphorie quelque peu retombée, les Tchèques ont vite tourné la page Finlande pour, déjà, se plonger dans la demi-finale contre l’ogre canadien ; un Canada invaincu qui écrase tout sur son passage depuis le début de ce Mondial et qui avait nettement dominé la République tchèque en match de groupe la semaine dernière (6-3). Pour autant, s’il reconnait la supériorité des Crosby, Giroux et de la ribambelle des stars NHL qui évoluent à Prague cette année sous le maillot frappé de la feuille d’érable, Jaromír Jágr se dit convaincu que sur un match, et pourquoi pas donc justement cette demi-finale, un exploit reste possible :

Jaromír Jágr,  photo: ČTK
« Les gens vont croire que je suis tombé sur la tête, mais je pense que les Canadiens sont prenables. Ce sont tous des joueurs fantastiques et peut-être le Canada n’a-t-il jamais eu une aussi belle équipe dans un Mondial. Mais ce sont des hommes comme nous. A nous de ne pas les craindre, sinon on en prendra dix (buts) comme les autres équipes. Il ne faudra pas avoir peur de jouer. Avec les Canadiens, nous ne pouvons pas boxer pendant douze rounds, nous n’aurions aucune chance. Il faut prendre des risques pour les mettre k-o. C’est ce que nous avons essayé de faire dans le premier match. Mais bon, ça reste une équipe… Si le Canada joue son meilleur hockey, nos chances seront infimes. Mais… tout est possible. »

Et si Jarda le dit… Alors, « just do it ! »