Jakub Hejna : « un documentaire est réellement créé dans la salle de montage »

'Katka'

Le 5 mars dernier, la réalisatrice Helena Třeštíková recevait le prestigieux prix cinématographique le Lion tchèque du meilleur documentaire, pour un portrait réalisé sur quinze ans d’une toxicomane, « Katka ». Le tournage de ce film qui touche le spectateur au plus profond a commencé en 1996, lors du séjour de la jeune Katka, âgé de 19 ans, dans une communauté thérapeutique pour toxicomanes. Helena Třeštíková a ensuite filmé le retour de Katka à la drogue, son interminable combat avec la dépendance, combat qui se poursuivra même au-delà de sa grossesse et de la naissance de sa fille en janvier 2008.

'Katka'
Le documentaire « Katka » a eu un beau succès en salles : près de 120 000 entrées depuis sa sortie en février 2010. Il a été primé en République tchèque comme à l’étranger, par exemple au Festival international du film documentaire de Montréal où le monteur du film, Jakub Hejna, a également été récompensé. Les documentaires tournés sur plusieurs années sont une spécialité de Helena Třeštíková. Elle a ainsi réalisé le portrait d’un délinquant, « René », ou encore un cycle de documentaires sur plusieurs couples qu’elle avait filmé pendant les premières années de leur vie conjugale, dans les années 1980, et vingt ans après. Jakub Hejna a monté les films « René » et « Katka ». Il explique quelle est la spécificité de ce travail de longue haleine :

Jakub Hejna
« Ce qui est très important, c’est qu’avec Helena nous définissons d’abord le thème principal du film. En fonction de cela, nous choisissons les scènes intéressantes, nous montons le film de façon à mettre en évidence ce thème-là. Chez ‘Katka’, le thème s’impose : tout le monde pense que c’est un film sur les drogues et la dépendance. Bien sûr. Mais nous nous sommes dits : ‘nous allons plutôt faire un film sur une vie et une maternité manquées.’ A partir de cette idée-là, nous avons construit le film. »

Avec Helena Třeštíková, l’imprévisible et la surprise sont souvent au rendez-vous et son équipe doit suivre le pas. Jakub Hejna :

« Helena Třeštíková tourne plusieurs documentaires à la fois. Puisque ce sont des films réalisés sur plusieurs années, elle ne peut pas se concentrer sur un seul sujet. Au fil du temps, ces films mûrissent. A un certain moment, il devient évident que l’un d’entre eux est prêt pour être monté. Mais cela ne signifie pas que tout à été tourné. Il arrive que l’on commence à couper et à monter le film, et quelque chose d’important se passe dans la vie des héros, qui fait évoluer l’histoire. Alors le tournage et le montage ont lieu simultanément. »

Jakub Hejna, 35 ans, a baigné, dès sa petite enfance, dans un milieu artistique : il a grandi dans la maison de son grand-père, le célèbre scénographe Josef Svoboda. Grâce à sa maman, costumière, il a pu assister au tournage des films. Le petit garçon se passionne immédiatement pour l’univers du « septième art » et rêve de devenir caméraman. Sa première formation, Jakub Hejna l’obtient à l’école préparatoire aux métiers du cinéma de Písek, en Bohême du Sud, où enseignent des professeurs de la FAMU de Prague. C’est à ce moment-là que Jakub Hejna change d’avis.

Photo: Commission européenne
« Grâce à cette école, j’ai compris ce qu’est le montage d’un film. Les gens pensent souvent qu’il s’agit simplement de ‘coller’ les scènes les unes aux autres et d’en faire un ensemble. Mais à Písek, j’ai compris que le montage était une des choses essentielles dans la création d’un film. C’est le montage qui fait que le film a un impact ou pas sur le spectateur, il détermine si le film sera captivant ou ennuyeux, il détermine le rythme. Le choix et l’emploi de la musique, tout cela est lié au montage. Le monteur est en fait le bras droit du réalisateur. »

La décision est prise : à la FAMU, Jakub Hejna n’étudiera pas l’image, mais le montage. En 1999, lorsqu’il est encore étudiant, Jakub fonde son propre studio de montage baptisé « Youngfilm », studio qu’il aménage juste au-dessus de son appartement, dans un immeuble du quartier de Holešovice. « Youngfilm » se spécialise dans le montage des documentaires de cinéma et de télévision, que ce soient les films de Helena Třeštíková ou ceux de Erika Hníkova et de Lucie Králová qui représentent la nouvelle génération de documentaristes.

'Divadlo Svoboda'
« Pour les films documentaires, le montage est vraiment essentiel. Bien sûr, il joue un rôle important dans les films de fiction également – mais les scénarios sont écrits d’une certaine manière, les films sont tournés d’une certaine manière et le monteur souligne plutôt certains aspects. Mais un documentaire est vraiment créé dans la salle de montage. Si vous demandez à dix documentaristes de tourner un film à partir du même matériel, chacun le fera de manière différente. »

Récemment, Jakub Hejna a tourné lui-même son premier documentaire sur son grand-père, intitulé « Divadlo Svoboda » (Théâtre Svoboda), dont nous avons déjà parlé à l’antenne. Il sortira en salles début avril.