« Jan Palach n’est pas seulement un héros tchèque, c’est un héros européen »
Le 50e anniversaire de la mort de Jan Palach est commémoré par les Tchèques mais pas seulement. Ailleurs en Europe aussi, on se souvient de cet événement qui a marqué les esprits, comme en témoignent les nombreux articles parus cette semaine dans la presse française par exemple. D’autres ont choisi de donner une autre dimension à cette anniversaire : les membres d’une association appelée EuropaNow!, créée il y a quelques mois à Rome, étaient également présents à Prague ce mercredi. Parmi eux, deux de ses cofondateurs, le correspondant du quotidien Libération à Rome, Eric Jozsef et son collègue Maurizio D’Amore qui a commencé par expliquer au micro de Radio Prague, l’objectif de l’association :
Eric Jozsef, vous êtes ici à l’occasion de l’anniversaire de la mort et du sacrifice de Jan Palach. Pourquoi avoir choisi ce moment pour venir ?
EJ : « C’est essentiel de venir pour rendre hommage à Jan Palach, pour expliquer et réaffirmer que Jan Palach est un modèle, un exemple, un défenseur des valeurs de l’Europe. Maurizio a rappelé que l’Europe a vécu en paix pendant 70 ans, mais n’oublions pas que c’était l’Europe de l’Ouest. Il est essentiel de dire que l’Union européenne garantit l’union de toute l’Europe, qu’elle soit occidentale ou orientale. Jan Palach a donné sa vie pour des valeurs qui sont celles qui fondent l’Union européenne. Quelles sont les racines de l’Union européenne ? C’est le souvenir du XXe siècle, de deux guerres mondiales, des luttes contre deux totalitarismes. Jan Palach, de ce point de vue-là, n’est pas seulement un héros tchèque, c’est un héros européen. »
Vous vous inscrivez donc en faux contre l’idée d’une Europe à deux vitesses, d’une Europe occidentale et orientale irréconciliables…
EJ : « Si nous pensons que l’Europe est une maison commune, cela veut dire qu’il faut construire cette Europe. Il faut donc une Europe des citoyens qui auront les mêmes droits, les mêmes devoirs et repousser l’idée qu’il y a deux Europes. On est européen sur des principes et des valeurs communes. On ne fait pas uniquement l’Europe parce que ça nous sert à être plus forts dans le monde globalisé, mais aussi parce que nous avons un patrimoine commun. Cette expérience commune est celle du XXe siècle, avec la volonté de la dépasser par la démocratie, la solidarité, la liberté. Il faut défendre et réaffirmer ces valeurs, à l’ouest, à l’est, au nord et au sud. C’est tout l’enjeu. On est aussi là pour cela aujourd’hui, pour dire que les opinions publiques européennes doivent se soutenir. Ce qui se passe en République tchèque ne concerne pas que les Tchèques. Ce qui se passe en Pologne avec notamment l’assassinat du maire de Gdansk ne concerne pas seulement les Polonais. Cela concerne tous les Européens. Les menaces nous concernent tous, à cause des souverainistes mais aussi des forces extérieures qui veulent détruire l’Union européenne, qui le disent clairement. Donald Trump et Steve Bannon considèrent l’Union européenne comme une ennemie. On a aussi le président russe Vladimir Poutine. Il faut être conscient de cela et aller de l’avant en demandant une sorte de République européenne où tous les citoyens auraient les mêmes droits. »
De manière surprenante et choquante, la mémoire de Jan Palach fait l’objet d’une récupération par l’extrême-droite. Un concert de néo-nazis italiens était prévu samedi, à Vérone, en hommage à Jan Palach. Que vous inspire cette récupération politique ?EJ : « C’est un défi auquel nous devons répondre vite. Il est abominable de penser que des néo-nazis puissent récupérer la mémoire de Jan Palach qui a combattu pour la liberté alors que les néo-nazis veulent la nier à certains. Mais ce qui est encore plus grave, c’est que ce concert qui aura lieu ou pas, on ne sait pas, a été autorisé par des autorités locales de la ville. Ce ne sont pas seulement des petits groupes extrémistes marginaux. Il y a une certaine institutionnalisation de la parole de l’extrême-droite. C’est pour cela qu’il faut rester vigilant, et que les Européens attachés aux valeurs de la démocratie et de la liberté doivent se mobiliser, dire que le geste de Jan Palach correspond aux valeurs européennes. Le geste de Palach a été suivi également par Jan Zajíc et Evžen Plocek, ne l’oublions pas. Et puis il y a Václav Havel, qu’il ne faut pas oublier : la dernière fois que Václav Havel a été arrêté, c’était en janvier 1989, lorsqu’il voulait rendre hommage à Jan Palach. »
Et quelques mois plus tard, il était président de la Tchécoslovaquie…
EJ : « En effet. Et il avait une volonté de changer, d’approfondir l’Europe. A EuropaNow ! nous avons toujours en mémoire cette phrase de Václav Havel : si nous ne sommes pas capables de rêver d’une Europe meilleure, nous ne construirons jamais une Europe meilleure. »
Un dernier mot peut-être, Maurizio, sur l’héritage de Jan Palach…
MDA : « Justement, Eric l’a bien expliqué auparavant. Nous sommes là, nous qui venons d’Italie, de France, pour démontrer que nous pensons, en tant qu’Européens, que le sacrifice de Palach était celui d’un homme, d’un héros européen. »