Une lettre cachée de la mère de Jan Palach de retour au lycée de Český Krumlov
53 ans après sa rédaction, une lettre de la mère de Jan Palach adressée à des élèves et enseignants d’un lycée de Český Krumlov est retournée dans cet établissement, après avoir été cachée pendant de longues années. Cette missive était la réponse à une lettre de condoléances, d’une mère en deuil, un mois après l’immolation de son fils par le feu pour protester contre l’apathie des Tchèques et des Slovaques après l’occupation de leur pays par les troupes du pacte de Varsovie.
Plusieurs récits sont entremêlés dans l’histoire de cette lettre cachée et désormais exposée au regard des élèves et enseignants de ce lycée de Český Krumlov, en Bohême du Sud. C’est en effet à Václav Lipka, un technicien de la Radio tchèque qu’on doit la redécouverte de ce texte dans les archives personnelles de son ami décédé, Vladimír Kaifer. Peu de temps après l’immolation de Jan Palach le 16 janvier 1969, il écrit une lettre de condoléances à sa mère, Libuše Palachová, qui répond le 10 février par une missive courte mais poignante. Cette lettre, Václav Lipka l’avait eue entre les mains une première fois il y a 18 ans, avant de la redécouvrir après la mort de l’enseignant :
« Soudain, il est sorti de table. Il m’a dit qu’il avait écrit à la mère de Jan Palach et m’a montré la réponse à sa lettre. Personne n’était vraiment au courant de son existence, car il avait peur que la lettre soit détruite. »
Vladimír Kaifer a enseigné au lycée de Český Krumlov dans les années 1960 et 1970. Chez ses anciens élèves, il a laissé le souvenir d’un professeur ouvert d’esprit, qui les laissait exprimer librement leurs propres opinions. Un libéralisme qui le distingue et le fait être remarqué par les autorités communistes « normalisées » : en 1970, il fait l’objet d’un rapport d’évaluation qui note que ses idées influencent les jeunes gens auxquels il enseigne, empêchant « la consolidation du parti et de la société ».
En bref, cet enseignant soutenant le Printemps de Prague n’est pas rentré dans le rang : il est donc renvoyé de l’école peu de temps après. Dans ce contexte de chasse aux sorcières, Vladimír Kaifer décide de cacher la lettre de la mère de Jan Palach dans un placard de sa maison pendant près de quarante ans.
C’est finalement à sa mort qu’elle est retrouvée par le technicien de la Radio tchèque, avant d’être authentifiée par l’historien du totalitarisme Petr Blažek :
« Cette lettre est quelque chose de très précieux. Il faut rappeler que Jan Palach s’est immolé par le feu moins de cinq mois après l’occupation d’août 1968. Il a utilisé cette forme de protestation principalement pour secouer le cœur des gens. Pour leur montrer que certaines choses sont si fondamentales dans l’existence qu’il était prêt à sacrifier sa vie. »
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L’immolation de Jan Palach en haut de la place Venceslas a eu un retentissement international, à défaut d’avoir empêché le processus de « normalisation » de se poursuivre en Tchécoslovaquie. Malgré la douleur d’avoir perdu un fils, sa mère a tenu à répondre à de nombreux courriers de condoléances affluant d’un peu partout. Petr Blažek :
« Les réactions ont été énormes. La mère de Jan Palach a ensuite correspondu avec un certain nombre de personnes qui avaient été touchées d’une manière ou d’une autre par ce sacrifice. Ces gens s’efforçaient de la consoler avec un mot gentil. Je pense que ça la touchait beaucoup parce que c’était la preuve pour elle que la mort de son fils n’avait pas été vaine. »
De cette lettre, on déduit que le professeur de lycée envisageait de donner le nom de son fils à un foyer d’étudiants, projet qui 53 ans plus tard devrait être bientôt chose faite, comme le précise la directrice actuelle du lycée, Hana Bůžková :
« Je suis très heureuse que deux choses se mettent en place. Le fait que nous ayons l’espoir de pouvoir construire bientôt ce nouveau foyer pour jeunes et une nouvelle cantine. Maintenant que nous avons reçu la lettre, nous pouvons espérer tenir la promesse faite à madame Palach. C’est important pour moi. »
« Je crois que vous vous battrez pour la cause pour laquelle mon fils a sacrifié sa vie - pour la vérité et la liberté. Libuše Palachová, mère de Jan Palach. »
Ainsi s’achève la lettre que Libuše Palachová a envoyée à l’époque au professeur Vladimír Kaifer, des mots qui résonnent encore jusqu’à nos jours.