Jan Rovný : « Les Pirates ont su profiter de la disparition du Parti des Verts »

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Selon un sondage de la Télévision tchèque révélé début mars, la coalition formée par le Parti pirate et STAN (Maires et indépendant) recueillerait 34% des intentions de vote en vue des élections d'octobre prochain. Cela représente  12 points de plus que le parti du Premier ministre qui arrive en deuxième position. Créé en 2009, le Parti pirate est donc, à six mois du scrutin, aux portes du gouvernement. Le politologue tchèque Jan Rovný,  professeur à Sciences Po Paris a répondu aux questions de Radio Prague Int., pour tenter de comprendre ce parti qui tout en s'inscrivant dans un mouvement européen a su s'émanciper des seules questions liées au numérique.

Le Parti pirate de République tchèque a été créé en 2009, mais il n'a commencé à obtenir des résultats électoraux significatifs qu'à partir de 2014. Comment expliquez-vous ces bons scores, qui sont arrivés assez soudainement ?

Jan Rovny,  photo: Site officiel de Jan Rovny

« Le Parti pirate tchèque n’a que le nom d’un Parti pirate. Il est historiquement issu de cette famille politique : au début ils se concentraient surtout sur les domaines de prédilection du mouvement Pirate, en particulier toutes les questions liées à internet ou à la liberté d’accès aux contenus. Mais cela a changé au cours du temps, surtout en réaction à ce qui se passait alors dans le paysage politique tchèque. Au début des années 2010, à la fois le Parti pirate et le Parti des Verts visaient à peu près les mêmes électeurs, en termes de groupe social. En clair, on parle plutôt des jeunes, urbains et diplômés. Mais le Parti des Verts, parce qu'il a eu une expérience compliquée au gouvernement – ils y sont rentrés très vite et dans une coalition peut-être peu judicieuse pour eux, a décliné. Pour les Pirates, un boulevard s'est ouvert sur cette cible avec l'élimination de l'alternative écologiste. Donc les pirates ont comblé le vide laissé par les écologistes, et ils ont bénéficié des scandales de l'année 2013 qui ont permis à de nouvelles formations politiques d'intégrer la scène, comme cela a été le cas avec ANO. »

Pourtant, les Verts et les Pirates, ce n'est pas exactement la même chose ?

Le leader du parti Pirate Ivan Bartoš,  photo: Flickr,  CC BY-SA 2.0

« Vous savez, le Parti pirate, je le vois plutôt comme un parti ‘Vert’ avec un drapeau pirate. Ils siègent d’ailleurs dans le groupe écologiste au parlement européen, et beaucoup de leurs propositions ressemblent à celle d’une sorte de parti centriste-écologiste. Il s’agit de quelque chose de très différent par rapport aux Verts français, mais plus typique des Verts allemands. »

Vous l'avez dit, le Parti pirate est issu d'un mouvement essentiellement intéressé par les questions numériques, le respect de la vie privée sur internet ou encore la liberté d'expression. Mais désormais, les Pirates sont capables de parler de tous les sujets, du numérique à l'environnement, en passant par l'économie, la santé ou les affaires internationales et de sécurité. Comment leurs idées et leur programme ont-ils évolué au fil du temps ?

« Ils sont en effet passés d'un parti concentré sur une seule problématique, comme le sont en général les Partis pirates, vers des horizons plus larges. D'une part, ils ont récupéré l'agenda laissé par les Verts lorsqu'ils ont explosé. Maintenant, ils parlent plutôt d'environnement, mais leur agenda est caractéristique de ce que l'on appelle le ‘social-libéralisme’. Cela comprend les droits des minorités, les droits des femmes, les droits de la communauté LGBT… Toutes ces problématiques en général portées par les partis écologistes sont maintenant représentées par les Pirates.

Photo: Le Parti Pirate/Flickr,  CC BY-SA 2.0

Il y a quand même un certain nombre de différences. Pour les Verts par exemple, un pilier du programme était la justice sociale. Il y avait une dimension économique. Je ne suis pas certain que les Pirates l'aient poussée à ce point. »

Aujourd'hui les Pirates représentent 10% de la chambre basse du Parlement tchèque ; ils sont pour l'heure en tête dans les sondages en vue des prochaines élections. On notera également que sur quatre eurodéputés pirates, trois sont tchèques. Comment expliquer qu'en Europe, les Pirates n'obtiennent de bons résultats qu'en République tchèque ?

Le parti Pirate,  photo: Flickr,  CC BY-SA 2.0

« C'est vraiment grâce à l'opportunité offerte par le système partisan tchèque. Encore une fois, ce n'est pas vraiment un Parti pirate : il s'agit d’une alternative sociale-libérale au système actuel dominé par une montée d'un parti plutôt autoritaire et populiste qui collabore avec la droite radicale et la gauche radicale. Le système tchèque a toujours manqué d'une force sociale-libérale stable qui puisse représenter les électeurs qui sont, disons grossièrement centristes en matière économique, et libéraux en matière sociale. Pour l'heure, ce positionnement n'était occupé que par des forces éphémères. Les Pirates sont désormais seuls sur ce créneau avec leurs partenaires de coalition, STAN (Maires et indépendants). »

Pensez-vous qu'ils puissent remporter les élections de l'automne prochain ?

Le parti Pirate,  photo: Flickr,  public domain

« Étant donné le contexte actuel, avec ces parti quasi-traditionnels, ou quasi-autoritaires, avec les problèmes qu'a le gouvernement à gérer la pandémie, d'une manière incompréhensible, vous avez ce Parti pirate et son allié qui ont su s'opposer au gouvernement, et démontrer qu'ils pouvaient être une alternative. J'ai vu que dans les sondages ils pourraient même gagner. Donc le fait qu'ils soient des Pirates ne compte pas beaucoup. »

Et tout cela alors que le parti social-démocrate, le ČSSD, est en chute libre …

« Le ČSSD a explosé, il n'est plus. Il a suivi la trajectoire de nombreux partis de la même catégorie, comme le Parti socialiste en France qui n'existe presque plus… Les partis sociaux-démocrates ont été d'une manière générale affaiblis à la fois par le déclin de la classe ouvrière, et le changement de nature des potentiels électeurs vers des politiques de redistribution et des initiatives ‘progressistes’. Le ČSSD ne fait pas exception à ce déclin structurel, mais en plus il a été impliqué dans le gouvernement d'Andrej Babiš. Je ne serais pas surpris s'ils n'étaient pas représentés au parlement en octobre. »

Photo: Flickr,  public domain

Aujourd'hui dont les Pirates sont en tête des sondages, mais pourront-ils transformer l'essai : ont-ils suffisamment de candidats, de moyens, de ressources en général pour cela ?

« Il est toujours compliqué de faire des prévisions. Peuvent-ils gagner? En théorie oui. J'imagine qu'ils pourront avoir plus de voix qu'Andrej Babiš, en particulier si le gouvernement continue dans cette gestion de la pandémie et de la vaccination. C'est donc possible qu'avec STAN, ils aient le plus de voix. Sont-ils prêts ? Est-on jamais prêt ? Ils le seraient sans doute davantage que les Verts quand ils ont intégré le gouvernement. Ils ont intégré le parlement en 2006 et directement après rejoint la coalition de la majorité, ce qui a été selon moi leur erreur fatale. Des ministres ont été nommés, ils n'avaient jamais siégé au Parlement avant et ne savaient pas vraiment comment gouverner. Les Pirates ont au moins un mandat d'expérience au Parlement en tant que force d'opposition majeure. En travaillant dans l'opposition, un certain nombre d'entre eux sont désormais des potentiels ministres.

Il est assez clair qu'ils devraient être dans une position pour créer une coalition, avec les chrétiens-démocrates, ou les conservateurs de l'ODS. Alors ils entreraient dans un gouvernement… compliqué et ils y laisseraient sûrement quelques plumes puisqu'ils devraient faire des compromis. »