Jan Sitta : l’exil tchécoslovaque en héritage
Le Festival du film français s’achève ce mercredi. Parmi les invités présents à cette 21e édition, le réalisateur français Jan Sitta pour qui ce passage à Prague était un peu un retour aux sources en raison de ses origines tchèques. Cette histoire familiale bouleversée par le régime communiste en Tchécoslovaquie, elle nourrit en grande partie sa création cinématographique, jusque dans le court-métrage qu’il présentait au festival, intitulé Avaler des couleuvres. Pour Radio Prague, il en d’abord décrypté le titre et expliqué les imbrications avec son histoire personnelle :
C’est une thématique très actuelle. C’était une volonté de coller à l’actualité ?
« Depuis que je suis enfant, en France, la question des immigrés d’origine maghrébine est quelque chose avec quoi j’ai grandi. C’est une question qui, en France, revient en permanence et dont on n’arrive pas à bien parler. Depuis la guerre d’Algérie, c’est très compliqué. Tous les ans, il y a des problématiques très fortes qui ressurgissent à ce sujet-là. J’aime bien parler dans les films de thématiques contemporaines et sociales. On nous avait parlé de cette histoire, donc je suis partie d’un récit vrai : dans une petite ville de province, des parents nous ont raconté que dans un salon de beauté, on avait demandé à leur fille de prendre un autre prénom que le sien. Cela nous a beaucoup surpris qu’en France, cela puisse encore exister aujourd’hui. Le film est réaliste mais l’idée de l’écriture n’était pas d’avoir un réalisme brut, naturaliste, mais de tirer vers quelque chose d’atmosphérique et sensitif autour de ces questions d’identité. L’idée est de s’approprier une problématique contemporaine et d’y mettre une atmosphère qui tire vers quelque chose de vraiment étrange. »
Cette thématique est très contemporaine, mais elle a d’autres ramifications. Je rappelle que vous avez des origines tchèques vous-même. Donc cette question de l’identité est importante pour vous et se reflète dans votre travail…
« J’aime toujours partir de questionnements très personnels pour écrire. Je n’arrive pas à faire autrement ! Mon père est tchèque, mon grand-père était tchèque. Ils étaient réfugiés politiques. Ce prénom tchèque que mes parents m’ont donné, Jan, a toujours été écorché, à chaque rentrée des classes. Donc j’expliquais toujours mon histoire quand on me demandait pourquoi. Au bout d’un certain temps, j’ai moi-même voulu en savoir un peu plus sur cette histoire car on s’arrêtait toujours à la vie flamboyante praguoise de mon grand-père et de mon père gamin. On me parlait moins de l’exil. J’avais envie de savoir d’où je venais, quelles étaient mes origines, quel était le passé de ma famille. Du coup, le court-métrage, au-delà de la question d’une jeune fille d’origine maghrébine, c’est en effet : comment on vit avec son histoire familiale, surtout quand on vient d’un pays étranger ? Qu’en fait-on quand on arrive dans un nouveau pays ? Jusqu’à quel point a-t-on envie de défendre son identité par rapport à des problématiques qu’on trouve dans la société française, où il y a une espèce de racisme latent. Ce sont des questions très fortes que j’ai un peu connues avec mon grand-père. Il s’appelait Bohumil. Quand on croisait des amis dans la rue, j’entendais : ‘Salut Théo !’ Il m’a expliqué après qu’il avait changé son prénom. En France, les gens ne comprenait pas Bohumil alors il s’est fait appeler Théophile qui est l’équivalent. Tout cela en effet a nourri mon imaginaire. J’ai aussi compris comme la question du prénom vous façonne et façonne votre identité. Ce que vous êtes. »
Hors micro vous me disiez d’ailleurs que vous avez tourné un documentaire sur l’histoire de votre famille…
« Mes premiers films de fin d’études, c’était vraiment autour de ma famille, de mon père. Il a quitté Prague à 6 ans. En 1948, on a dit à mon grand-père : ‘Ne rentre pas chez toi, des gens t’y attendent’ et il n’est plus jamais retourné chez lui. Il est parti à Munich, puis il est allé chercher mon père et ma grand-mère. Ils sont repartis à Munich et il est retourné chercher ma tante qui était encore à Prague. Ensuite ils sont partis en France. J’ai eu besoin, quand mon grand-père était à la fin de sa vie, de faire un court-métrage documentaire qui retraçait des bribes de l’histoire. Dans le film, je demande encore une fois à mon grand-père de me raconter encore l’histoire de son départ. Il ne veut plus, il me l’a trop racontée et il en a marre et du coup, j’interroge mon père sur ses souvenirs d’enfant de six ans à propos de ce passage. Il a des souvenirs flous, mais se rappelle de ce départ de Prague, du passage en train, de l’arrivée dans les camps de réfugiés qui étaient très vivants avec beaucoup d’enfants des pays du bloc de l’Est mais très difficiles aussi… Cette histoire familiale m’a complètement construit, nourri. J’ai d’ailleurs un projet de long-métrage pour plus tard, car c’est quelque chose de très riche. Cette question de l’exil, de savoir comment on se construit en tant qu’individu entre plusieurs cultures, plusieurs pays, est vraiment très importante pour moi. »
Ce serait l’occasion de se revoir pour en parler. Il y a peu de films sur ce thème…
« Et peu sur ce thème franco-tchèque. C’est quelque chose qui m’anime vraiment. L’idée serait de faire une plongée un peu psychanalytique dans l’inconscient de plusieurs générations d’enfants d’exilés pour essayer de comprendre ce qui se joue et ce qui se transmet de l’exil, consciemment ou inconsciemment. »