Jan Švankmajer, un génie entre l’animé et l’inanimé
Jan Švankmajer est un de ces génies universels dont la Renaissance avait le secret. C’est un artiste qui marie plusieurs talents et excelle dans toute une série de disciplines artistiques. Plasticien, scénographe, expérimentateur et poète, il doit sa notoriété notamment au cinéma, car il est considéré comme un des cinéastes contemporains les plus originaux. Quel est le secret de ce personnage ? Quelles sont les sources de son art ? Quels sont les grands moments de sa biographie ? Quelles sont les disciplines artistiques qu’il a marquées par sa griffe ? Ce ne sont que quelques unes des questions auxquelles tâche de répondre une importante monographie de Jan Švankmajer parue en versions tchèque et anglaise aux éditions Arbor Vitae. Les trois auteurs de cet ouvrage, Bertrand Schmitt, František Dryje et Ivo Purš, ont réuni dans leur livre une somme considérable d’informations sur la création et la vie de cet artiste né en 1934 et qui reste toujours étonnement actif. Projets scénographiques, dessins, assemblages, films, poèmes, textes théoriques et documents réunis dans la monographie composent un portrait saisissant d’un homme pour lequel la création artistique est un moyen de transformer le monde. Bertrand Schmitt, un des auteurs du livre, a présenté la monographie au micro de Radio Prague. Voici la première partie de cet entretien.
« Je pense qu’effectivement l’ensemble de l’oeuvre de Jan Švankmajer se pose comme un dialogue. Un dialogue entre lui et lui-même, c’est-à-dire des questions qui sont liées notamment à son enfance et à sa petite enfance qu’il continue toujours à interroger, à mettre en œuvre et à rendre active. Un dialogue également entre les différentes techniques qu’il utilise. C’est-à-dire que chez Jan Švankmajer il n’y a pas de séparation entre son oeuvre de marionnettiste, pour le théâtre, l’oeuvre plastique et l’écriture. Il y a toujours une volonté de sa part de faire dialoguer, de faire communiquer, d’échanger entre les différentes techniques. Donc il y a de sa part un dialogue. Ensuite nous voulions également entrer en dialogue avec son oeuvre. Quand Jan Švankmajer présente son oeuvre à un festival, il dit toujours que c’est une oeuvre ouverte, une oeuvre qui appelle une réponse. C’est Marcel Duchamp qui disait que c’est le voyeur, le regardeur qui fait le tableau. C’est donc l’échange entre la personne qui regarde et l’artiste. Et nous voulions qu’il y ait ce dialogue, le dialogue avec le public, le lecteur, que le lecteur puisse avoir enfin une série de questions et de réponses sur l’oeuvre de Jan Švankmajer qui pour l’instant n’avaient pas forcément été données. »
Quel est le rapport entre votre livre et la grande rétrospective Jan Švankmajer présentée d’abord à Prague puis transférée à Olomouc ?
« Le rapport n’est pas direct. Bien entendu c’est l’oeuvre de Jan Švankmajer, bien entendu l’éditeur de la monographie Arbor Vitae a également participé à l’organisation de l’exposition mais ce livre-là n’est pas un catalogue et n’a jamais voulu être un catalogue. C’est-à-dire que nous voulions faire un livre qui soit valable pour cette exposition-là mais qui soit valable également pour l’oeuvre de Jan Švankmajer en général, qui soit comme un outil de travail y compris en dehors de l’exposition. Donc je pense que les deux actions, l’exposition qui a été à Prague et qui est maintenant à Olomouc et la monographie, sont liées, bien entendu, puisque c’est l’oeuvre de Jan Švankmajer, mais ne dépendent pas l’une de l’autre. »Parmi vos textes qui font partie de ce livre, il y a entre autres une biographie détaillée de Jan Švankmajer. Quels sont, d’après vous, les moments majeurs, les grands tournants de sa vie artistique ?
« Ils sont nombreux. Jan Švankmajer est quelqu’un qui a toujours essayé de réagir aux choses. Quand un événement important se passe, il essaie d’en faire quelque chose. Il essaie toujours de ne pas subir sa vie mais d’être actif. Beaucoup d’événements ont provoqué dans son oeuvre des choses nouvelles. Il y a tout ce qu’il appelle à la suite de Vratislav Effenberger la morphologie mentale, c’est à dire tous les événements de la petite enfance qui ont pu marquer sous forme d’obsession, de peur et de rêve son esprit et qu’il reprend aujourd’hui et tout au long de son œuvre d’ailleurs pour travailler. Donc c’est là l’aspect de la petite enfance. Il y a également la formation, chose qui a été très peu étudiée, la formation de Jan Švankmajer marionnettiste, son travail en tant que marionnettiste qui marquait et marque encore tout son travail y compris son œuvre de plasticien et de réalisateur. Il y a ensuite sa rencontre avec le cinéma notamment par l’intermédiaire d’Emil Radok et sa rencontre avec le groupe surréaliste et Vratislav Effenberger qui constitue également un événement très très important. Et puis il y a encore une autre rencontre qui a été déterminante pour lui, celle d’Eva Dvořáková qui est devenu Eva Švankmajerová, et qui a été donc pendant des années une sorte de collaboratrice intime de l’oeuvre de Jan Švankmajer. Ce sont peut-être les moments les plus importants de sa vie. »Jan Švankmajer est entré dans le monde de l’art déjà dans son enfance par le théâtre de marionnettes. Il a même dit : « Au fond, tout ce que je fais, c’est du théâtre de marionnettes ». Qu’est-ce que la marionnette en tant que moyen d’expression représente pour lui ?
« La marionnette est très très intéressante pour lui parce que, symboliquement, elle représente à la fois un objet manipulé c’est-à-dire un objet qu’on peut contrôler, et en même temps la forme humaine. C’est donc le jeu entre l’animé et l’inanimé, entre le jouet d’enfants et l’objet magique, parce que la marionnette peut également rappeler le fétiche par exemple et Jan Švankmajer s’intéresse beaucoup aux civilisations et à la pensée primitives et aux fétiches. Donc la marionnette concentre en elle-même énormément de centres d’intérêt de Jan Švankmajer : l’enfance, le jeu, la magie, la manipulation, et en même temps le rapport entre l’animé et l’inanimé, le vivant et le non vivant qui est pour lui le sens même de l’animation, le film d’animation. L’animation, ça veut dire redonner vie, redonner une âme à des objets. Et je pense que la marionnette se prête totalement à ce genre d’interrogation pour un artiste. »Vous citez dans le livre la déclaration de Jan Švankmajer : « Je suis surréaliste parce que je n’ai pas de choix ». Quel a été le rapport de Jan Švankmajer vis-à-vis du mouvement surréaliste ?
« Cette phrase de Jan Švankmajer qui peut paraître un peu étrange, montre qu’il était surréaliste avant d’être surréaliste, c’est-à-dire qu’il n’a pas choisi un mouvement ou un groupe artistique mais en rencontrant les surréalistes il s’est rendu compte que lui-même était sans doute surréaliste depuis des années, depuis peut-être même son enfance. Il a rencontré le groupe surréaliste vers la fin des années soixante. Il a véritablement fait partie du groupe en 1970. Il connaissait l’existence du groupe surréaliste depuis sa jeunesse et je pense que quand il disait : ‘Je suis surréaliste parce que je n’ai pas de choix’, il voulait dire qu’il n’a pas choisi le programme mais a reconnu quelque chose qui a été lui-même. Les relations entre Jan Švankmajer et les surréalistes sont fortes puisque aujourd’hui encore il est membre du groupe surréaliste et participe à ses activités. Donc je pense qu’il a trouvé dans le surréalisme, et dans le surréalisme tchèque et slovaque qui est peut-être un peu particulier, quelque chose qui lui correspondait totalement, qui répondait totalement à ses interrogations. »Pourquoi l’appelez-vous « le surréaliste militant » ?
« C’est lui, ce n’est pas nous, c’est Švankmajer lui-même qui dit : ‘Je suis un surréaliste militant’. Il fait sans doute la différence entre celui qui serait un surréaliste par affinité ou par goût esthétique ou qui s’inspirerait simplement du surréalisme dans son œuvre, et celui qui est véritablement actif dans le groupe surréaliste, ce qui veut dire ne pas prendre simplement des choses qui sont surréalistes mais participer aux activités du mouvement et du groupe surréalistes. Je pense qu’il y a également un autre sens qui veut dire que le surréalisme dès le départ n’a pas voulu être un mouvement artistique mais un mouvement disons philosophique qui peut prendre parfois des formes artistiques mais aussi des formes politiques et dont le but est quand même de changer la vie. Et je pense que quand Jan Švankmajer se déclare surréaliste militant cela veut dire qu’il pense que l’activité surréaliste est toujours efficiente, toujours capable de changer des choses et que toute son oeuvre est en fin de compte un moyen pour participer à ce grand projet du surréalisme qui est de changer la vie. »