Jarmila Novotná, la naissance d’une diva moderne

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« Ce qui est décisif, c’est le courage d’être ce que nous sommes », a écrit la cantatrice Jarmila Novotná (1907-1994) et toute sa vie semble apporter une preuve convaincante de la véracité de ses paroles. Celle qui a été une des divas les plus admirées de son temps, n’est pas oubliée même aujourd’hui. Auteur de sa biographie, Pavel Kosatík a intitulé son livre « Baronka v opeře » (La Baronne à l’opéra).

Comme une fleur s’ouvrant dans un film en accéléré

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En effet Jarmila Novotná trouve déjà très tôt le courage de s’avouer qu’elle est née pour le théâtre. Si elle hésite un peu au début, ce n’est pas qu’elle doute de sa vocation mais parce qu’elle est tiraillée entre le théâtre et l’opéra. Petite, elle chante déjà comme un rossignol, mais c’est le théâtre qui sera le point de départ de sa future carrière. Née en 1907 dans la famille d’un simple couturier, elle ne jouit pas des facilités des filles de familles aisées, mais son intelligence, son talent et sa beauté lui ouvrent toutes les portes. A quinze ans elle campe déjà de petits rôles au Théâtre national de Prague et deux ans plus tard le directeur artistique de la scène lyrique du Théâtre national Otakar Ostrčil lui confie le rôle principal dans « La Fiancée vendue » de Bedřich Smetana, un des sommets de l’art lyrique tchèque. Elle est sans doute l’artiste la plus jeune ayant jamais campé le rôle de Mařenka sur cette scène prestigieuse. Son biographe Pavel Kosatík n’en finit pas de s’étonner de la rapidité prodigieuse de son ascension :

Pavel Kosatík,  photo: David Vaughan
« Quand vous suivez la ligne de son destin, et vous ne l’enviez pas, vous avez un sentiment de bonheur. Vous avez l’impression comme si tout allait presque tout seul dans les premières années mais aussi plus tard dans sa vie. Elle a toujours eu la chance de s’adresser à des personnes qui pouvaient la faire progresser mais vous ne sentez pas une ambition au fond de tout cela. Elle n’était pas de ceux qui cherchent à tout prix à s’imposer, à se mettre au premier rang. Vous y sentez quelque chose de très naturel, comme une faculté spontanée d’un talent éruptif, et vous êtes stupéfaits. C’est comme si vous voyiez éclore une fleur dans un film en accéléré où ce qui dure en réalité une semaine, est condensé en une minute. C’est comme ça qu’elle s’épanouit. »

Une carrière de rêve

Jarmila Novotná,  photo: ČT
La suite de la carrière de Jarmila Novotná ressemble à un rêve. La jeune chanteuse devient vedette du Théâtre national mais elle ne s’arrête pas là. Elle est trop intelligente pour ne pas sentir que sa voix doit être encore cultivée et affinée, et part à Milan pour prendre des leçons de chant.

Trois hommes influenceront d’une façon décisive son évolution artistique - Tomáš Garrigue Masaryk, Max Reinhardt et Arturo Toscanini. D’abord c’est le président du jeune Etat tchécoslovaque Tomáš Garrigue Masaryk qui prend la jeune artiste sous sa protection, fait élaborer le programme de ses études et le prend généreusement à sa charge. Le deuxième homme important de la carrière de Jarmila Novotná s’appelle Max Reinhardt et elle le rencontre à Berlin où elle prend un engagement après ses premiers succès internationaux. Metteur en scène du théâtre Krolloper de Berlin, Max Reinhardt est un fanatique de la perfection. C’est lui qui introduit la jeune femme dans les milieux d’avant-garde et développe son talent dramatique. Et finalement c’est le fameux chef d’orchestre Arturo Toscanini qui collabore étroitement avec Jarmila et la dirige à l’apogée de sa carrière d’abord à Salzbourg puis à New York. Pour le vieux chef elle est une source intarissable d’inspiration, pour Jarmila la collaboration avec le grand Toscanini est une ascension au sommet de la gloire.

Les revers d’une vie brillante

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Pavel Kosatík démontre cependant aussi que la vie de Jarmila Novotná n’a pas été qu’une suite de succès dans les grands théâtres lyriques. Il évoque également les moments difficiles de cette vie brillante qui n’a pas échappé aux vicissitudes de l’histoire européenne du XXe siècle. Son livre complète donc en quelque sorte les Mémoires de Jarmila Novotná dans lesquelles la diva ne s’attarde pas beaucoup sur ces moments difficiles où elle a été obligée de se battre pour ses rôles, de montrer la force de son caractère et de prendre des décisions douloureuses. Pour Pavel Kosatík ces Mémoires ont été une des sources d’informations précieuses :

« C’est un livre intéressant écrit avec un entrain typique pour elle, même quand elle a pris de l’âge. En fait elle a vécu pendant toute sa vie avec l’idée qu’elle écrirait un jour ses Mémoires. Cela se manifeste en général dans le fait qu’on met en réserve les histoires de sa vie et conserve des lettres et d’autres documents. J’aime lire ses Mémoires. J’ai donc rédigé ma biographie de Jarmila Novotná en tenant compte du fait que je suis le second et avec l’intention d’écrire un livre complémentaire. Si par exemple quelqu’un voulait lire les deux livres, il fallait que ces deux ouvrages ne se désavouent pas et qu’ils parviennent à se compléter. »

Deux fois chassée de son pays

Jarmila Novotná,  photo: ČT
Malgré sa carrière internationale Jarmila Novotná aime beaucoup son pays. Grande patriote, elle est pourtant chassée à deux reprises de sa patrie tchèque. Pour la première fois elle fuit le nazisme en 1939, pour la seconde fois elle se réfugie avec son mari et ses deux enfants aux Etats-Unis après le coup de Prague et la victoire du communisme en 1948. Elle chantera au Metropolitan Opera de New York pendant 16 ans, entre 1939 et 1956, et deviendra une sorte d’icône de cette scène prestigieuse. Il y a quelque chose de noble dans son visage et dans la force de son caractère. Pavel Kosatík explique pourquoi il a donné à sa biographie le titre « La Baronne à l’opéra » :

« Il y a deux raisons à cela. L’une est au sens propre et va de soi. Elle a épousé un noble tchèque, le baron Jiří Daubek. Et la seconde raison, au sens figuré, est à mon avis le fait qu’elle a été une des dernières divas qui non seulement jouaient les personnages d’opéra sur scène mais ont vécu le sort de ces héroïnes dans une certaine mesure aussi dans leur vie privée. »

Une pléiade d’héroïnes d’opéra

Jarmila Novotná,  photo: ČT
Rien que le nom de Jarmila Novotná fait surgir tout une pléiade de personnages auxquels elle a prêté sa voix, son visage et son art. Elle a été entre autres Butterfly, Mimi, Manon, Mařenka, Rusalka, Olympia, Antonia, Giulietta, Rosina, Marguerite, Fiordiligi, Pamina et la Reine de la nuit, mais aussi Chérubin et Octavian car son corps svelte et agile se prêtait bien aux rôles d’adolescents. Mais c’est Violetta, « La traviata » de Verdi, femme qui se sacrifie pour son amant, qui a été sans doute son plus grand rôle.

A l’époque où les cantatrices lyriques, ces statues chantantes, considéraient la robustesse de leur corps comme un appui nécessaire pour l’émission de la voix, elle a apporté à l’opéra un nouveau style plein de mouvement. Sa silhouette élancée et sa grande beauté n’ont été fragiles qu’en apparence. Jeune, elle avait fait de la gymnastique dans le mouvement des Sokol, et elle était capable de donner toute la force et l’agilité de son corps au service de ces rôles. Elle a été donc non seulement une cantatrice mais aussi une grande actrice capable d’incarner vraiment les héroïnes d’opéra, de leur insuffler la vie. Malgré les allures aristocratiques de Jarmila Novotná, malgré son titre de noblesse, son biographe Pavel Kosatík, qui a pourtant intitulé son livre « La Baronne à l’opéra », en vient donc à une conclusion aussi inattendue que paradoxale :

Jarmila Novotná,  photo: ČT
« Elle a été une des pionnières de son art et n’a pas vraiment accepté le rôle de primadonna. Elle a donné à l’art lyrique un aspect moins officiel et l’a rapproché des gens et de la vie réelle sans être cependant moins exigeante en ce qui concernait la qualité artistique. Elle a permis aux gens de vivre le chant d’opéra différemment des périodes précédentes : non pas comme quelque chose d’exclusif qui est destiné à quelques privilégiés mais comme un art imprégné par la vie, qui ne se situe pas à l’opposé de la vie. Et c’était très important. »