Jaroslav Seifert, un poète redouté au-delà de sa mort
La disparition du poète tchèque Jaroslav Seifert, il y a juste vingt ans, a mobilisé les forces de répression du régime communiste en Tchécoslovaquie et notamment sa police politique, la StB. Les obsèques du poète risquaient de devenir une manifestation de résistance passive sinon de désobéissance ouverte vis-à-vis du régime totalitaire, et le régime a décidé d'agir.
De son vivant Jaroslav Seifert, Prix Nobel de littérature, était mal vu par le régime à cause de son refus des pratiques totalitaires et il a aggravé encore son cas en signant la Charte 77, document appelant les autorités tchécoslovaques à respecter les droits de l'Homme. On a donc décidé que les funérailles de ce poète dissident seraient organisées selon un scénario soigneusement préparé sous le contrôle de la police secrète. Les obsèques ont eu finalement trois parties : un rassemblement officiel dans la grande salle du Rudolfinum à Prague, une cérémonie religieuse dans la basilique Sainte-Marguerite à Prague-Brevnov et finalement l'enterrement au cimetière de Kralupy, petite ville située non loin de Prague.
Un témoignage de Milena Strafeldova qui était, en ce temps-là, fonctionnaire du ministère de la Culture, chargée de coordonner les préparatifs : "La direction du ministère et les agents de la StB n'étaient pas du tout favorables à la participation de la famille aux préparatifs des funérailles. Ils n'ont pas invité les membres de la famille aux réunions de la commission créée pour préparer les obsèques officielles et il les ont complètement exclus de ce processus. Personne ne pouvait les informer sur la façon dont la partie officielle des obsèques était préparée."
Le jour des obsèques, on intensifie les représailles contre les dissidents, on interdit de photographier la cérémonie et on soumet à un contrôle strict tous les participants. Evidemment dans l'assistance il y a d'innombrables agents de la StB.
Milena Strafeldova évoque l'atmosphère de cette journée de deuil : "Dès le matin des milliers de personnes attendaient devant le Rudolfinum de Prague et, très disciplinés, faisaient la queue, pour pouvoir s'incliner devant le catafalque du poète. Ils ont apporté une immense quantité de fleurs. Tout cela était étroitement suivi par la StB qui cherchait à éviter surtout les gerbes aux inscriptions "provocatrices". Je me rappelle qu'un agent de la StB s'est littéralement jeté sur une gerbe de la Section de jazz, association oeuvrant pour la liberté de la culture. On a cherché donc à éliminer toute allusion à la résistance et à l'opposition."
Le discours officiel a été prononcé par le président de l'Union des écrivains Jan Pilar, homme prétendant avoir été ami du poète mais qui en réalité n'avait inspiré à Jaroslav Seifert que de l'appréhension.
Tandis que les obsèques officielles au Rudolfinum n'étaient qu'une espèce de manifestation politique orchestrée par la StB, le caractère de la cérémonie religieuse à la basilique Sainte-Marguerite de Prague-Brevnov a été bien différent. Dans la foule de 3 500 personnes il y avait aussi de nombreux amis du poète, des dissidents, des signataires de la Charte 77. Et la police n'a pas évité un incident fâcheux. Sur une des gerbes déposées devant le catafalque du poète, on a remarqué les noms de Vaclav Havel, de son épouse Olga et du président de la fondation de la Charte 77 Frantisek Janouch.
L'enterrement de Jaroslav Seifert, photo: Jaroslav Krejci