Jean-Denis Monory : « Le mot est toujours une image.»
La semaine dernière, nous avons présenté dans cette rubrique la première partie d’un entretien avec le metteur en scène français, Jean-Denis Monory, venu à Prague avec sa troupe, pour ressusciter le théâtre baroque. Sa compagnie «La Fabrique à théâtre» a donné à l’Opéra d’Etat la célèbre pièce de Molière « Le Médecin malgré lui », spectacle qui lui a permis de déployer les fastes et les sortilèges du théâtre du Grand siècle en utilisant les moyens d’expression tombé depuis longtemps dans l’oubli. La déclamation d’époque, la gestuelle baroque, le maquillage expressif et l’éclairage à la bougie ont beaucoup contribué au succès du spectacle. Voici donc la seconde partie de l’entretien avec Jean-Denis Monory consacrée notamment aux aspects principaux du théâtre baroque et aux ambitions de ceux qui lui rendent la vie.
Qu’est-ce que les procédés de théâtre baroque que vous utilisez, déclamation, gestuelle, maquillage, apportent à votre travail ?
« Cela apporte au texte du théâtre du XVIIe et du début du XVIIIe siècles, une puissance et une force évocatrice du mot. C’est bête à dire mais le mot est tellement développé que l’image a le temps de venir. Le mot est toujours une image, même un petit mot de rien du tout. Et si c’est en alexandrin, c’est encore plus important puisqu’on a une écriture déjà rythmique et déjà musicale. Donc on a cet aspect-là qui est tout à fait nouveau mais qui existe pourtant dans les pays comme le Québec ou dans certaines régions du sud de la France où les gens parlent avec un accent qu’on a envie d’écouter et qui nous fait sourire. C’est déjà bien pour la comédie. Un exemple : les grands acteurs qui avaient un accent du sud et sont absolument géniaux.
Donc, on a cette nouveauté de l’image. Le mot apporte une image et ensuite on a la phrase qui a de la musique, qui a les accents toniques. Le français est assez plat. (Vous pouvez entendre comment je parle en ce moment.) Alors qu’à l’époque, dans cette diction particulière, savante (tout le monde ne parlait pas comme ça), il y a avait cet accent comme on peut le voir en anglais quand on joue Shakespeare. (…) Il suffit de dire des mots pour jouer, pour être. En français, on a perdu ça. Et quand on retrouve cette technique, il suffit de dire les mots, d’être complètement dans le texte, donc respectueux, et le verbe devient une matière vivante et on n’a plus besoin de jouer, psychologiquement parlant. Et c’est aussi une nouveauté, comment jouer un personnage sans penser au personnage. Parce que le personnage vient. Il est tellement écrit qu’il est là. »
Quel est le rôle de la musique dans votre spectacle ?«Souvent, dans les pièces de théâtre à l’époque il y avait pratiquement toujours le début en musique, et entre les actes il y avait aussi des intermèdes musicaux. Parce qu’il fallait remettre des bougies, on vendait des choses dans la salle, des confitures, des pâtes de coing, du vin nouveau. Et on jouait de la musique. Il y avait souvent un jongleur ou quelqu’un qui chantait. Donc, c’est cet aspect que je voulais mettre dans toutes les pièces, même celles dont la musique écrite n’a pas été retrouvée. La particularité de cette production, c’est qu’il y a une musique que j’ai retrouvée à la Bibliothèque de Paris, qui avait été écrite par Lully sur un texte à boire de Sganarelle écrits par Molière. Nous y avons rajouté un air de cour écrit par Lully sur un poème de Molière. Il y a un très beau moment entre les actes où les acteurs chantent comme à l’époque. En ce temps-là les chanteurs savaient chanter et danser. Et à la fin, il y a une musique qui s’appelle «Barbacola » et qui est de Lully, mais date du début de sa carrière et elle est donc encore italienne. C’est une musique qu’on chantait souvent lors des mariages et des fêtes et c’est une musique qui correspond tout à fait à la pièce parce que cela parle d’un médecin.»
Peut-on résumer le message que Molière voulait transmettre par cette pièce au public de son temps? Est-ce que ce message est encore actuel?
«Il y a plusieurs messages. Celui sur le docteur qui se cache parce qu’il n’est pas docteur, peut être d’actualité. Cette pièce-là est pour moi un pur divertissement. Le sens profond de la pièce était de divertir. A l’époque cela critiquait les médecins. Surtout Molière en a souffert. Il a vu des choses horribles. A l’époque, la médecine était assez cruelle et surtout complètement sous l’emprise de l’Eglise. Donc, elle ne pouvait pas faire grand-chose. Quand on était malade, on était saigné. On enlevait du sang aux malades ce qui n’était pas tout a fait logique. Mais l’intérêt de la pièce c’est le pur divertissement. Il y a des situations farceuses : le mari qui veut tromper sa femme, tout le monde connaît la situation, de près ou de loin, d’être cocu ou de cocufier. Dans la pièce, il y a aussi une histoire d’amour très belle entre deux jeunes premiers. Et le père qui n’est intéressé que par l’argent, donc il y a aussi l’avarice.
Sganarelle a toutes les tares de l’être humain donc on peut s’y retrouver. Le personnage de Sganarelle est la création de Molière, il l’a crée sur scène et lui a donné toutes les tares dans cette pièce. Dans les autres pièces Sganarelle est différent. Ici, il est ivrogne, il engueule et bat sa femme jusqu’à ce que celle-ci se venge. Et pour se venger elle invente le stratagème qui est l’intrigue même de la pièce. (…) C’est un divertissement qui, à l’époque baroque, était très chorégraphié, où il y avait des peintures vivantes tout le temps, vivantes, pas comme dans un musée.Par contre, en septembre je monte « Les femmes savantes » de Molière et là il y a deux sujets très actuels - la mode et la sincérité. Etre sincère ou pas ? Etre sincère ou faire semblant, être ou paraître?»