Jean-Jacques Annaud : « Des fois on se sent un peu animal et cela me plaît de me frotter à ce genre de difficultés » (1ère partie)
A l’occasion de la XXIIe édition du festival du film international FebioFest, qui s’est achevée vendredi dernier à Prague, Jean-Jacques Annaud a présenté son dernier film « Le Dernier loup » et a été récompensé du prix Kristián pour l’ensemble de son œuvre et sa contribution à la cinématographie mondiale. Après « L’Ours » et les « Deux frères », le célèbre réalisateur français Jean-Jacques Annaud met en scène de nouveau des animaux sauvages dans son dernier film. Adaptation du roman de Jiang Rong « Le Totem du loup » devenu best-seller en Chine, « Le Dernier loup », sur fond de la musique impressionnante de James Horner, relate l’histoire d’un étudiant chinois qui, lors de la Révolution culturelle en 1967, est envoyé dans les provinces, afin d’instruire les paysans, et où il est confronté à un environnement complètement inconnu pour lui. Radio Prague s’est entretenu avec Jean-Jacques Annaud, qui en a dévoilé davantage sur les coulisses de ce tournage hors normes qui a duré près d’un an et demi dans les steppes infinies de la Mongolie et dans des conditions parfois très difficiles.
Les animaux, des acteurs au même titre que les hommes
D’où vous-vient cette fascination, cette passion de tourner avec des animaux ?
Jean-Jacques Annaud : « Une fois de temps en temps, cela me plaît d’être amené à diriger des acteurs qui ont quatre pattes au lieu d’en avoir que deux, parce que je redécouvre à travers eux les émotions, les instincts essentiels de la vie. Cela m’aide à me comprendre moi-même, et aussi à comprendre les acteurs bipèdes que je suis généralement habitué à diriger. C’est quelque chose que j’ai découvert il y a bien des années. J’avais fait un film qui s’appelait La Guerre du feu, où j’avais été obligé de beaucoup étudier les réactions primitives, universelles, communes à tous les hommes. Je m’étais aperçu que nous partagions ces sentiments et ces instincts avec beaucoup d’autres espèces. C’est comme cela que j’ai été amené à faire un film qui s’appelait « L’Ours ». J’ai pris le goût, une fois de temps en temps, de retrouver cet univers-là. Cela me fait du bien, cela me dynamise. Cela me semble important pour un metteur en scène de varier. J’ai fait des films avec des moines, comme Le Nom de la Rose, ou un film autour d’une toute jeune fille qui découvrait l’amour avec L’Amant, ou un film de guerre comme Stalingrad, qui s’appelle Enemy at the Gates, dans la plupart des pays. C’est intéressant d’aller chercher à l’intérieur de soi des sentiments variés. On a tous des sentiments très variés. Et des fois on se sent un peu animal, dans des réactions de violence ou de passion amoureuse, on bascule dans un monde plus primitif, et cela me plaît de me frotter à ce genre de difficultés. Parce que c’est une difficulté de tourner avec des animaux qui ne comprennent pas les directions. Je ne peux pas demander à un loup de faire une expression où il est intrigué. Je dois créer le moment où le loup va être intrigué. Ce qui est intéressant c’est de se demander comment on peut faire pour que véritablement, cet acteur animal ait l’expression juste. Je suis donc obligé de m’interroger, à chaque fois avec mes dresseurs, qu’est-ce qui provoquera cette réaction juste et comment je pourrais la filmer. »Comment avez-vous trouvé ces acteurs particuliers et comment s’est passé le tournage à leurs côtés ?
« Pour un film comme celui-là, nous avons été obligé d’élever les loups dès leur enfance. Les loups sont des animaux qui ressemblent de loin aux chiens mais qui sont complètement à l’opposé en vérité. Ils ne font rien de ce que veut leur maître, mais ce que veut leur roi, c’est-à-dire le chef de meute. Mais ils sont complètement têtus, et très prudents. Si vous sifflez un loup, il ne viendra pas à vos pieds, il va d’abord s’enfuir. Pour venir, il va renifler pendant une demi-heure et regarder tout ce qui peut lui est arrivé, qui serait dangereux pour lui. C’est un animal incroyablement complexe. Du coup il a fallu les apprivoiser dès leur naissance. Pour répondre à votre question, j’ai été amené à choisir les papas et les mamans, les groupes de loups qui convenaient. Ce sont des loups de Mongolie, qui sont très spécifiques. Ils ne sont pas comme les loups canadiens, ils ne sont pas comme les loups européens. Ils sont de couleur fauve, comme la couleur des lions. »Sur l’apprivoisement très délicat des loups
« Après avoir parcouru un certain nombre d’endroits, où il y avait encore cette espèce en voie de disparition, nous avons élevé avec beaucoup d’amitié, beaucoup d’amour, trois générations de loups. Les loups qui jouent des adultes sont des loups qui ont 3 ans et demi. Tous les loups naissent au mois de mars, donc on ne peut pas avoir des loups quand on veut, comme avec les chiens. Il faut attendre un an. Donc la première génération des loups était née en 2009, la deuxième en 2010 et la troisième génération, c’est celle du petit loup que l’on voit. Lui aussi est né fin mars, début avril. Nous avons commencé le tournage début mai, donc il avait 4 mois au début du tournage. Ensuite, nous le voyons grandir, nous avons ajusté notre plan de travail et notre manière de tourner à sa croissance. La fin du film c’est le mois de novembre, la steppe est différente. Lui-aussi, il a grandi. D’ailleurs ce loup-là est devenu un loup très clair. On n’a pas eu de doublure pour lui, parce que ses petits compagnons, nés en même temps que lui, sont restés brun-foncés. Tandis que lui, il devenait plus clair chaque semaine, et il a terminé comme un joli loup blanc. »Les loups et les hommes, des traits de caractère pas si éloignés
Y-a-t-il des similitudes marquantes entre les hommes et les loups que vous avez découvertes pendant le tournage ?
« Alors oui, ça c’est stupéfiant. J’ai même assisté à un moment à un changement de roi. C’est-à-dire que le frère du mâle alpha, du chef de bande, a décidé de le supplanter. Comme ce chef de bande était tout à fait intelligent, il a décidé de ne pas se battre. Ce qui était extraordinaire, c’était de voir la tête des autres loups, qui étaient très dubitatifs, qui ont pensé que le leader n’allait pas être un bon chef, jusqu’au moment où ce nouveau roi a accepté de passer à travers un tunnel. Parce que le changement s’est produit à l’occasion d’un moment de dressage, et ce nouveau roi avait la trouille. Il fallait voir la tête des loups qui se disaient : « On en a choisi un mauvais ». Comme, quand après un vote on se dit : « Aïe aïe, on n’a pas choisi le bon président, il est trop nul celui-là ». Mais ce qu’il y avait de formidable, c’est que quand il a réussi, après pleins d’hésitations, à passer dans ce tunnel, ce que faisait son frère très bien, alors tous ceux qui étaient pleins de doutes se sont mis physiquement à lui lécher le cul, c’est-à-dire à lui débarbouiller l’anus. C’était extraordinaire de voir les courtisans que c’étaient. Je me suis dit, c’est rigolo, j’ai l’impression d’être à l’hôtel Matignon. C’est fou de voir comment ce groupe animal fonctionne comme une caricature de ce que nous sommes. Quand vous avez le pouvoir, vous êtes honorés, vous avez tous les droits, vous mangez le premier. Quand vous n’avez plus le pouvoir, vous êtes méprisés par tout le monde. Tous ceux qui vous ont léchés le cul, vous laissent tomber, ils ne vous regardent plus. Et c’était le cas de cette meute. Là je vous donne un exemple, mais pendant tout le tournage qui a duré un an et demi, c’était absolument fabuleux de regarder le rapport des femelles entre elles, la jalousie des femelles bêtas. La femelle alpha, qui était donc la reine, avait tous les pouvoirs. Sauf qu’il y avait deux autres femelles qui voulaient la tuer. Vous avez des phénomènes de jalousie, des phénomènes de pouvoir, comme vous les avez dans la société humaine. C’était très fascinant de tourner ce film. »Le Dernier loup, fruit étonnant d’une coproduction sino-française
Après votre film Sept ans au Tibet, vous avez été désigné persona non grata par les autorités chinoises. N’est-ce pas un peu paradoxal d’avoir justement été abordé par une production chinoise pour réaliser l’adaptation du roman de Jiang Rong ?
« La Chine est un pays beaucoup plus complexe et compliqué que ce que l’on imagine de loin. Je dis tout de suite que j’ai adoré mon expérience là-bas. Mais oui, j’ai été le premier à être surpris parce que Sept ans au Tibet a été un film qui a été très mal reçu en Chine, qui a été reçu comme une provocation. Je ne le souhaitais pas d’ailleurs. Je pensais que les choses étaient maintenant admises avec le temps. Quand on est venu me trouver, et que j’ai dit que je ne pouvais pas être la personne qui mettrait en scène ce livre, qui se passe à l’intérieur de la Chine, je ne suis pas le bienvenu là-bas, mes interlocuteurs m’ont regardé avec un gentil sourire et ils m’ont dit : « Vous savez, la Chine a changé. Nous sommes des gens pragmatiques et on a besoin de vous. ». J’ai adoré cette sincérité-là. Et vous voyez, sept ans plus tard, je suis enchanté d’avoir fait confiance à mon instinct, d’avoir pensé que c’étaient des gens qui venaient me voir pour de bonnes raisons, qui voulaient m’aider. Et ils l’ont fait. J’ai fait le film en toute liberté. Le film qui passe actuellement en Chine est le même que celui qui passe en France, le même que vous allez voir ici à Prague. »