Jean Népomucène : un saint entre légende, réalité et controverse
Jean Népomucène (Jan Nepomucký) est le saint tchèque le plus connu dans le monde. Des centaines d'églises et de chapelles lui sont dédiées et des milliers de statues à son effigie, souvent construites sur des ponts, se trouvent en Europe, ainsi qu’en Amérique du Sud, en Afrique et en Asie. Prêtre et juriste, martyr du secret de la confession, il a vécu au XIVe siècle à Prague, avant de devenir particulièrement populaire à l’époque baroque. Il a été béatifié il y a bientôt 300 ans, le 31 mai 1721, et canonisé en 1729.
Entouré de nombreux mystères, le personnage de Jean Népomucène a fait l’objet d’un véritable culte populaire, pour être plus tard rejeté, par certains, en tant qu’icône de la Contre-Réforme menée en pays tchèques par l’ordre des jésuites. Que nous inspire ce personnage aujourd’hui ?
Tout d’abord, il faut distinguer entre le mythe qui s’est créé autour de Jean Népomucène et les faits historiques. L’histoire, elle, ne nous dit pas grand-chose sur cet homme représenté avec ses attributs bien connus parmi lesquels une robe canonique, cinq étoiles autour de la tête, un crucifix, un rameau de palmier et un livre. Le prêtre et théologien Tomáš Halík retrace son parcours :
« Nous savons que c’était un homme doué. Il a étudié le droit au sein de la prestigieuse université de Bologne, où il a même été, un certain temps, recteur pour les étudiants en provenance des pays au-delà des Alpes. Nommé vicaire général par l’archevêque de Prague Jan z Jenštejna et chargé d’environ 2000 paroisses tchèques, il est devenu victime d’un conflit entre l’archevêque et le roi Venceslas IV. Le roi voulait placer son sympathisant à la tête de l’abbaye de Kladruby et faire en sorte que cette abbaye soit transformée en évêché et concurrence l’archevêché de Prague, ce à quoi l’archevêque s’est opposé. La colère du roi s’est retournée contre les proches collaborateurs de l’archevêque, en particulier contre Jean Népomucène qui a défendu, en tant que juriste, la position de l’Eglise. Il paraît que, ivre, le roi lui-même l’aurait torturé, avant que le corps du vicaire ne soit jeté dans la rivière Vltava. »
La légende, elle, raconte que Jean Népomucène est mort en martyr en 1393 après avoir refusé de révéler au roi Venceslas IV le secret de la confession de la reine.
Progressivement, un culte populaire très fort se développe autour du martyr, dont les statues sont élevées dans pratiquement chaque commune tchèque. Jean Népomucène est vénéré comme le protecteur contre les eaux malfaisantes et leurs dangers, ainsi que contre la calomnie. Prêtre jésuite et historien, Miroslav Herold s’intéresse à la vie de Jean Népomucène depuis vingt ans. Il explique :
« A l’époque baroque, les prêtres de la cathédrale Saint-Guy de Prague ont été les premiers à promouvoir le culte de Jean Népomucène. Ensuite, ce culte a été développé, partout dans le monde, par la Compagnie de Jésus. Dans les sources historiques, j’ai souvent lu que pour les gens de l’époque, saint Jean Nepomucène était le symbole de la vérité et de la fidélité, le protecteur de l’honnêteté personnelle. Cet aspect fascinait les gens. »
« Personnellement, en étudiant la vie de Jean Népomucène, j’étais tout aussi fasciné. Même si on se rend compte que la plupart des choses qui se rapportent à sa personne tournent autour cette légende baroque, qu’elles ont été imaginées, ce que j’ai découvert derrière ces mensonges ne m’a pas déçu. J’y ai découvert un homme intègre et de caractère qui, confronté au défi de son époque, est resté fidèle à ses convictions. »
A travers les siècles, le rapport des Tchèques à saint Jean Népomucène, qui reste bel et bien ancré dans leur mémoire collective, a changé. Après la naissance de la Tchécoslovaquie indépendante notamment, il a été rejeté par beaucoup comme un saint inventé par les jésuites pour faire oublier le réformateur Jan Hus. Une idéologie reprise plus tard par les autorités communistes qui ont rayé sa fête du calendrier.
Depuis la révolution de Velours, le personnage du saint connaît un regain d’intérêt. Son visage a même été récemment reconstitué par les scientifiques et sa fête est de nouveau célébrée le 16 mai. Le prêtre Tomáš Halík explique :
« Saint Venceslas est le patron de la nation tchèque, tout comme saint Jean Némomucène est le patron des pays tchèques. Cela nous rappelle que la Bohême a toujours été habitée par d’autres nations aussi, notamment par la minorité allemande. Jean Némomucène lui-même avait apparemment des racines tchéco-allemandes. Aujourd’hui, il pourrait devenir le symbole du dialogue entre peuples et nations. C’est quelqu’un qui construit des ponts entre eux, car c’est un personnage bien connu dans le monde entier. »
« L’ancien chef de la diplomatie tchèque Karel Schwarzenberg affirme que ‘l’Europe centrale est là, où l’on trouve Jean Népomucène sur les ponts’. Moi-même, j’ai trouvé ses traces encore plus loin. J’ai vu sa statue dans le bureau d’un évêque en Inde, dans la cour de l’Université de Georgetown, à Washington, qui avait été fondée par les jésuites. Lors de mon séjour en Antarctique, j’ai appris que le premier bateau portugais qui y est arrivé s’appelait ‘Nepomuceno’. »
Au total, il y aurait environ 30 000 statues de saint Jean Némomucène en Europe, dont 6 000 en République tchèque, et environ 66 000 dans le monde.
A l'occasion du 300e anniversaire de la béatification de Jean Népomucène, Radio Prague International vous invite à nous envoyer jusqu’au 31 mai, sur facebook, une photo d'une des églises portant son nom ou d'une de ses statues.
Nous sommes curieux de savoir où, dans les pays francophones notamment, se trouvent les traces de ce saint tchèque. Les plus belles photos apparaîtront dans un collage qui sera également publié sur notre page facebook.