Jérôme Paillard à Karlovy Vary : « Le Marché du Film de Cannes était la plus belle expérience de ma vie »
La 56e édition du Festival international du Film de Karlovy Vary, qui s’est tenue du 1er au 9 juillet, a rendu hommage à Jérôme Paillard, ancien producteur et directeur du Marché du Film de Cannes. A Karlovy Vary, Jérôme Paillard a présenté au public festivalier le film « L’inondation » qu’il avait produit au début des années 1990. Au micro de Radio Prague International, il nous parle de ce film et de son parcours.
« ‘L'inondation ‘est un film tourné en 1992 à Moscou par le réalisateur Igor Minaev (avec Isabelle Huppert dans le rôle principal, ndlr). Par ailleurs, j’ai découvert récemment, en l’écoutant parler de la guerre en Ukraine sur France Culture, qu’il était d’origine ukrainienne. Lorsque le directeur artistique du Festival de Karlovy Vary, Karel Och, m’a proposé de présenter un film, je lui ai proposé celui-là. Par chance, nous avons un matériel qui existe pour ce film, ce qui n’est malheureusement pas le cas pour de nombreux films qui datent de trente ou quarante ans. Heureusement, le cinéma Gaumont avait fait un DCP, un support numérique, ce qui permet le visionnage. »
« Le tournage de ‘L’inondation’ était une belle expérience. C’est un film en noir et blanc, très sombre, assez difficile, mais avec une histoire amusante qui se cache derrière. C’est une adaptation d’une nouvelle d’Evgueni Zamiatine. Igor Minaev a découvert cette nouvelle quand elle a été publiée à Paris en 1988. Isabelle Huppert la connaissait aussi. Quand Minaev a présenté en 1990 son film ‘Rez-de-chaussée’ à la Quinzaine des réalisateurs, elle a vu le film, l’a rencontré et il se sont aperçus qu’ils souhaitaient tous les deux adapter ‘L’inondation’ au cinéma. C’est comme cela que l’histoire a commencé. »
Vous étiez pendant vingt-sept ans directeur du Marché du Film du Festival de Cannes, poste que vous avez quitté au printemps dernier. Comment le marché a évolué sous votre direction ?
« Vingt-sept ans, c’est effectivement une très longue période. Quand je suis arrivé, le Festival de Cannes n’avait pas encore conscience d’avoir un marché, un salon professionnel ou les gens font du business. A l’époque, le côté mercantile était assez mal vu des artistes. Ensuite, il y a eu l’arrivé de toutes les industries culturelles et c’est à ce moment qu’on a compris qu’en plus de l’artistique, il faut du business autour. Je suis arrivé à un moment où nous avons commencé à nous appuyer sur le marché du film. J’ai donc eu la chance d’avoir carte blanche pour développer cet événement qui est devenu rapidement le plus gros marché film au monde. »
Je suppose que vous êtes un habitué du Festival de Karlovy Vary?
« J’aimerai être un habitué, mais en réalité, je ne suis venu que quatre fois. Je suis arrivée après une pause de plusieurs années. Je retrouve ici tout ce que j'ai aimé : il y a un public extraordinaire, les salles sont toujours pleines, ce qui me rend joyeux. Je vois aussi que la partie industrie a énormément évolué, avec beaucoup de projets et d’activités. C’est très important que des professionnels puissent rencontrer des distributeurs et producteurs tchèques et de toute la région. »
Dans les années 2000 encore, des professionnels du cinéma étrangers étaient très étonnés que le festival soit très cinéphile mais sans réel marché du film.
« Ce qui existe à Karlovy Vary, ce n’est pas un marché du film, mais plutôt ce qu’on appelle un ‘Industry Office’, un endroit où les films en sélection peuvent faire du business avec des distributeurs locaux. C’est aussi un lieu où, justement, il existe des activités autour des projets ou des films en développement. Il fait se rendre compte que la période est difficile pour faire un marché : en été, c’est la fin de la saison, les gens ont navigué dans tous les festivals et marchés et ils ont besoin d’un peu de temps pour eux. Ces festivals d’été, que cela soit Karlovy Vary, Locarno ou Sarajevo un plus tard, permettent souvent aux professionnels de mixer le business et le plaisir de voir des films, de faire du tourisme, c’est vraiment une autre typologie de festival. »
Vous souvenez-vous de votre première visite à Karlovy Vary?
« Pas en détail, sauf que c’était la découverte, j’avais été frappé par le public, qui dans mon souvenir, était très jeune à l’époque ! J’ai l’impression que les étudiants sont un peu moins nombreux actuellement, mais c’est toujours un festival très populaire, avec une audience variée dans les salles. Je trouve cela formidable à un moment où les salles de cinéma sont en difficultés. En plus, ce festival permet de découvrir de nouveaux films qui, malheureusement, ne sortent pas tous en France. »
Avez-vous eu des coups de cœur parmi les films présentés cette année ?
« J’ai vu des films très différents, mais il y a notamment un film tchèque que j’ai beaucoup apprécié, ‘Slovo’ (Mot) qui est très fort et très bien joué. C’est un film sur les événements de 1968. Dans un autre registre, j’ai vu le film de Quentin Dupieux ‘Fumer fait tousser’. C’était intéressant de voir le public tchèque réagir formidablement face à ce film un peu déjanté et avec un humour parfois difficile à traduire. »
Il y a eu une polémique sur le film russe « La fuite du capitaine Volkogonov », dont la projection a été critiquée par l’ambassadeur ukrainien à Prague. La direction du festival a refusé de le retirer du programme. Quelle est votre position là-dessus ?
« A Cannes, nous étions confrontés au même problème. Nous avions présenté deux films ukrainiens et un film russe. Tous les festivals ont pris la position de ne pas bannir systématiquement la culture russe mais de bannir évidemment tout ce qui est proche du pouvoir. En même temps, je comprends tout à fait la sensibilité ukrainienne. Je pense que le Festival de Karlovy Vary a pris la bonne décision. »
Vous est-il arrivé dans votre carrière de travailler avec des cinéastes tchèques ?
« Dans ma vie de producteur, j’ai plutôt travaillé en Pologne, Russie ou Serbie mais pas avec des Tchèques. A Cannes, le cinéma tchèque à un pavillon dans le village international du festival depuis des années, ce qui crée une proximité. J’assiste aussi de temps en temps à la Semaine du cinéma tchèque à Paris, je n’habite pas loin du Centre culturel tchèque et j’ai aussi beaucoup d’amis et de collègues tchèques. »
Avez-vous travaillé avec Eva Zaoralová, l’ancienne directrice artistique du festival de Karlovy Vary ?
« Je n’ai pas travaillé avec elle mais je l’ai connu. C’est quelqu’un qui m’impressionnait et que j’admirais, sur le plan humain et professionnel, j’étais donc très triste d’apprendre son décès cette année. Elle a fait un travail formidable pour faire de ce festival ce qu’il est aujourd'hui. Eva faisait partie de ce groupe de quelques femmes très importante dans le milieu des festivals, tout comme Lia Van Leer, qui était directrice du Festival du film de Jérusalem ou encore Beki Probst, la directrice du marché du film à Berlin. »
Jérôme Paillard, comment êtes-vous personnellement arrivé dans le cinéma?
« C’est une longue histoire mais pour faire court, mon background était la musique, je travaillais dans une maison de disques qui a été racheté par Gaumont. A un moment donné, Daniel Toscan du Plantier, m’a proposé de prendre la direction générale de la société de production Erato Film. Je ne connaissais rien au cinéma et je me suis retrouvé catapulté en plein au milieu du tournage d’un film de Maurice Pialat, ‘Van Gogh’, qui était compliqué car il se passait mal car la précédente directrice générale avait démissionné brutalement. J’ai donc découvert la production, même si je la connaissais un peu en tant que directeur financier du groupe. Pendant quelques années j’ai eu cette activité de producteur et un jour il y a eu un recrutement pour le poste de directeur du Marché du film de Cannes. J’ai hésité, j’ai eu peur que cela soit un peu trop pantouflard, mais finalement j’ai accepté et j’ai bien fait. Cela a été la plus grande expérience de ma vie évidemment, mais aussi la plus merveilleuse. »