Josef Topol, le "peuplier" du théâtre tchèque

Josef Topol, photo: CTK

Le mot tchèque "topol" signifie en français "peuplier" et, en parlant de Josef Topol, on est vraiment tenté de comparer cet auteur courageux, qui n'a pas plié devant l'arbitraire communiste, à cet arbre élancé et apparemment fragile, mais qui sait résister au vent. Josef Topol n'est pas, et de loin, un inconnu dans les lettres tchèques. Jusqu'à la fin du XXème siècle, il jouissait de la renommée d'un des plus grands dramaturges tchèques, mais on ne connaissait pas ses poèmes. Ce n'est qu'en 1997, que le livre intitulé tout simplement "Poésies", a suscité un grand intérêt des lecteurs et des critiques et a remporté la première place dans l'enquête "Le livre de l'année" organisée par le journal Lidové noviny. Le livre a reflété le côté intime, secret du talent de cet auteur, et le critique Zdenek Horinek a pu constater en parlant de cette oeuvre: "Le livre confirme ce que nous savons depuis longtemps: le grand dramaturge est aussi un grand poète."

Josef Topol,  photo: CTK
C'est le village de Porici nad Sazavou, situé non loin de Prague, qui est la patrie de Josef Topol. Né en 1935, il se sent attiré, depuis son enfance, par le théâtre, mais ce n'est pas la seule chose qui le tente: "J'étais fou de l'archéologie et de l'ornithologie, dira-t-il, j'élevais des pigeons... Puis j'ai été séduit par le théâtre, et je me reprochais souvent de ne pas avoir choisi l'archéologie, car j'aurais eu, au moins, la sensation de connaître quelque chose." A l'âge de 14 ans, Topol chante dans un choeur d'église de Porici nad Sazavou. Le grand chanteur, Zdenek Otava l'entend chanter et lui propose de devenir son élève, mais il est amoureux, en ce temps-là, pense tout le temps à son amour et n'a pas envie de devenir chanteur d'opéra. Le théâtre ne cesse pourtant de l'attirer, et il doit lutter pour assouvir cette passion, même contre son propre père. C'est la rencontre avec le metteur en scène, Otomar Krejca, qui est décisive pour sa carrière. Krejca met en scène les pièces de Topol au Théâtre za branou, (Théâtre au-delà des portes). Josef Topol devient son dramaturge principal. Ses pièces "Fin du carême", "Une chatte sur les rails" - sont jouées non seulement dans ce théâtre, mais, traduites bientôt dans plusieurs langues, elle s'imposent sur les scènes d'autres pays, notamment en Autriche, en France et en Pologne, mais aussi au Japon. Malheureusement, le théâtre de Krejca ne survivra pas longtemps à l'invasion soviétique en Tchécoslovaquie, en 1968. Considéré comme une nichée d'intellectuels récalcitrants, le théâtre est fermé, et les pièces de Josef Topol disparaîtront aussi du répertoire d'autres théâtre tchèques. C'est la période appelée communément la "normalisation", pendant laquelle le régime arbitraire cherche à museler tous les artistes qui ne veulent pas adhérer à l'art officiel. Les années passent et Josef Topol aggrave encore sa situation, déjà difficile, en signant la Charte 77, manifeste célèbre d'un groupe d'intellectuels tchèques qui refusent de se taire et revendiquent le respect des droits de l'homme. Aucun théâtre en Tchécoslovaquie n'ose plus proposer une collaboration à Josef Topol. Il devient donc manoeuvre et travaille, entre autres, à la reconstruction du pont Charles à Prague. Pourtant, il ne veut pas quitter le pays ingrat qui semble oublier très facilement ses grands hommes. Il est patient, il attend, il s'occupe de sa famille et de l'éducation de ses deux fils. Il devra attendre jusqu'à 1989, où à la veille de la chute du régime communiste, le Théâtre de Vinohrady à Prague, osera présenter sa pièce "Les voix des oiseaux".


"Déjà quand j'étais gosse, j'aimais retenir des entretiens et des dialogues. J'étais comme envoûté par cela. Je n'avais pas envie de décrire quelque chose, mais, par exemple, dans le train, je passais parfois par plusieurs wagons pour trouver des gens intéressants, pour m'asseoir à côté sans sortir de l'anonymat, et pour écouter leurs bavardages," dit Josef Topol. Cette passion du dialogue lui a permis de devenir un des plus grands auteurs du théâtre tchèque.

"Parmi les dramaturges tchèques d'après-guerre, écrit le critique Vaclav Königsmark, Josef Topol occupe la position clé, car il est poète-dramaturge, ce qui est un phénomène plutôt rare chez nous. Il a un don exceptionnel de découvrir les conflits dramatiques qui sont typiques pour notre époque, sans se limiter à une simple description des réalités de la vie. Au contraire, il cherche leurs connotations profondes et réussit à les exprimer par une structure théâtrale complexe et par un langage poétique stylisé et étonnamment simple."


Dans ses pièces, Josef Topol traite de plusieurs grands thèmes. Il s'interroge surtout sur la véritable valeur de la vie, il cherche l'authenticité de notre existence, il se penche sur les rapports entre l'homme et la femme et le conflit des générations. C'est sur ce dernier thème qu'est basée la pièce intitulée "Leur jour" dans laquelle les jeunes protagonistes refusent d'accepter les opinions de leurs parents. Dans la pièce " Fin du carême" le même conflit apparaît dans un contexte historique plus large. Topol raconte l'histoire d'un petit paysan qui refuse d'adhérer à une coopérative agricole, dans la période de la collectivisation forcée à la campagne tchèque. L'attitude intransigeante du paysan se reflète sur son entourage. L'auteur développe ce motif et montre ses conséquences et de petits drames qu'il provoque. C'est peut-être la pièce la plus populaire de Josef Topol. Elle a été mise en scène, pour la première fois en 1963, par Otomar Krejca, et elle est revenue dans le répertoire des théâtres tchèques après 1989.Dans les pièces intitulées "Une chatte sur les rails" et "Leçon d'amour", le dramaturge se penche sur les rapports entre l'homme et la femme, sur la naissance et la disparition de l'amour, sur la vie et la mort. Ses pièces expriment une volonté de sauver tout ce qui est vrai et profond dans la vie.

Dans les années 1960, un seul dramaturge tchèque pouvait rivaliser avec Josef Topol, le future président Vaclav Havel. Pourtant, les inspirations et surtout les caractères des deux auteurs sont tout à fait différents. Tandis que chez Havel l'absurdité de la vie est saisie avec un élan sarcastique et les situations dramatiques sont simplifiées, ce qui fait ressortir leur côté mécanique et deshumanisé, chez Topol, c'est la complexité qui règne et l'omniprésente poésie baigne les conflits entre les hommes. Dans ces pièces, la vie est pour l'homme une occasion de tenter de connaître le secret de l'existence, de se connaître lui-même et de se mesurer aux défis qui dépassent, parfois, ses forces. La vie, ce jeu permanent des victoires et des pertes, est insaisissable, mais c'est la condition de sa beauté.