Kundera en tchèque dans le texte, enfin !

Photo: ČTK/Deml Ondřej

La précédente publication officielle d’un livre en tchèque de Milan Kundera datait de 1993 avec L’immortalité, écrit en français et traduit par l’auteur dans sa langue maternelle. La sortie cette semaine en tchèque de La fête de l'insignifiance (Slavnost bezvýznamnosti) par les éditions Atlantis est donc un véritable événement. Publié en français en 2013, ce roman a été traduit en tchèque par Anna Kareninová, qui nous a parlé de ce cette traduction pas comme les autres.

Anna Kareninová,  photo: Jakub Krásný,  ČRo

Vous êtes habituée à traduire des livres (notamment ceux de Céline par le passé) et des dialogues de cinéma - votre nom apparaît dans de très nombreux génériques de film -, votre approche pour traduire un roman écrit en français par l'auteur de langue maternelle tchèque qu'est Kundera a-t-elle été très différente ?

Anna Kareninová : « Oui, c’est un travail tout à fait différent. Ce n’est pas une traduction habituelle mais plutôt la reconstruction de la langue d’un grand écrivain. Donc j’ai essayé de reconstruire, reconstituer son tchèque – et c’était difficile, vraiment difficile… »

C’est-à-dire que quand vous lisez une phrase de Kundera en français, vous vous demandez comment il l’aurait écrite en tchèque, ou comment il l’a pensée en tchèque ?

« Tout à fait. J’ai cherché dans les romans qu’il a écrits en tchèque les procédés syntaxiques et le vocabulaire employés. Donc le vocabulaire est le sien. »

Avez-vous été régulièrement en contact avec Milan Kundera pour ce travail ?

Milan Kundera,  photo: Youtube / ina.fr 1984

« Quand il m’a demandée de traduire La fête de l’insignifiance, j’ai dit que l’allais traduire une partie du roman puis la soumettre à son consentement. Une fois que j’ai terminé, nous avons envoyé la traduction à Paris, à M. Kundera et son épouse et nous avons travaillé sur la traduction pendant plusieurs mois pour parvenir à reconstituer sa langue personnelle. »

Comprenez-vous pourquoi Milan Kundera a changé d’avis, lui qui ne voulait pas laisser traduire en tchèque par d’autres ses romans écrits en français ?

« Je comprends, et j’en étais d’abord très triste, parce qu’en cause sont l’âge et les forces… Il s’est résigné au fait qu’il n’avait plus la force ou bien le temps de traduire en tchèque ses quatre livres écrits en français. Mais comme il est très soucieux de ces traductions, alors il a préféré veiller sur la traduction en tchèque pour avoir une influence sur ce que ses livres français deviennent en tchèque. »

Cela signifie que c’est le premier d’une série pour vous ?

Photo: ČTK/Hlaváčová Monika

« J’espère ! Je suis déjà en train de traduire L’ignorance et on envisage déjà de traduire les deux autres : L’identité et La lenteur. »

En tant que traductrice tchèque, repérez-vous parfois le tchèque derrière la phrase écrite en français par Milan Kundera ?

« Non, ça non, mais plutôt l’inverse. En traduisant son français et en essayant de trouver les procédés de son style dans ses anciens livres écrits en tchèque, j’ai trouvé qu’il avait écrit avec des procédés français, j’ai retrouvé l’influence du français sur son écriture en tchèque même avant son départ en France… »

C’est assez étonnant !

« Oui, c’était très étonnant pour moi ! Mais il était traducteur vers le tchèque lui aussi et il a notamment très bien traduit Guillaume Apollinaire et je crois que c’était vraiment sa façon de penser et d’écrire. »