Quelques ouvrages primés dans l’enquête du journal Lidové noviny
Tous les ans, le journal Lidové noviny lance une enquête intitulée Le Livre de l’année qui lui permet d’attirer l’attention du grand public sur les livres les plus intéressants parus au cours de l’année écoulée. L’enquête a une longue tradition. Voici le palmarès de la dernière édition de cette enquête qui a été lancée vers la fin de l’année dernière et qui reflète les préférences et les goûts littéraires des intellectuels tchèques.
La longévité d’une enquête
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L’enquête Le Livre de l’année a une longue tradition. Elle a été lancée pour la première fois en 1928 mais cette initiative a été interrompue par la suite d’abord par l’occupant nazi puis par la dictature communiste qui lui a succédé. La tradition des enquêtes annuelles de Lidové noviny n’a repris qu’en 1991. Aujourd’hui, nous en sommes donc à sa 34ème édition depuis la chute du régime communiste en Tchécoslovaquie et cette initiative se poursuit malgré la nouvelle situation du journal Lidové noviny qui n’existe depuis l’année dernière que sous sa forme électronique. Toujours vers la fin d’année, le journal s’adresse à peu près à deux centaines de personnalités de la vie littéraire, artistique, politique et publique les invitant à indiquer les trois meilleurs livres de l’année écoulée avec de courts commentaires.
Cette fois-ci c’est l’écrivaine Krystyna Wanatowiczová qui a remporté la première place et dont le livre intitulé Nezval. Básník a jeho syn - Nezval. Le poète et son fils a été proclamé Livre de l’année. Nous vous avons présenté cette biographie volumineuse de Vítězslav Nezval, qui était non seulement un grand poète mais aussi un grand opportuniste, dans le cadre de cette rubrique à la fin de l’année dernière. Aujourd’hui donc nous aimerions attirer votre attention sur les ouvrages qui se sont classés en deuxième et troisième positions.
L’histoire secrète d’une maison
C’est une maison de rapport dans le quartier de Smíchov à Prague qui est le théâtre du roman ayant occupé la deuxième place dans l’enquête de Lidové noviny. Son auteure Tereza Boučková l’a intitulé tout simplement Dům v Matoušově ulici - La maison de la rue Matoušova. C’est dans ce bâtiment que l’auteure a passé son enfance. Beaucoup plus tard, elle a découvert que le passé de ses locataires était très riche en événements de toute sorte et souvent tragiques – et que parmi ces voisins il y avait des individus de bon et de mauvais caractère. Elle se souvient de l’impulsion qui lui a donné l’envie d’écrire un roman basé sur l’histoire mouvementée de sa maison :
« L’idée d’écrire ce livre m’est venue lorsque qu’une ambulance a amené à l’hôpital notre voisine qui était le dernier témoin de l’histoire de cette maison. Comme je suis ce genre d’écrivains qui recherchent des histoires auxquelles ils s’efforcent d’insuffler une nouvelle vie, j’ai commencé à réaliser que cela pourrait être le thème d’un livre. Je me suis donc mise à faire des recherches au cours desquelles des crises alternaient avec de nouveaux élans. En somme, c’était un processus d’écriture très difficile. J’avais déjà voulu exploiter ce thème il y a quelques années mais je ne savais absolument pas comment m’y prendre. Finalement la rédaction de ce roman s’est étendue sur une année d’une écriture très intense. »
Il s’agit donc d’un livre en partie autobiographique mais qui reflète aussi les vies des autres locataires souvent profondément atteints par les retombées de la grande histoire. C’est une évocation du passé dans laquelle interviennent cependant les événements actuels. Et on s’étonne de constater combien d’aventures, combien de destins humains, combien de personnages très divers se sont accumulés dans une seule maison. Parmi ces personnages il y avait entre autres deux actrices célèbres, Zita Kabátová et Alena Vránová, ainsi que le futur président Václav Havel et le réalisateur Miloš Forman.
Grâce au livre de Tereza Boučková, la maison de la rue Matoušova devient donc une espèce de monument dans lequel se rencontrent le passé et le présent et qui tire de l’oubli ce qui ne doit pas être oublié. Nous allons consacrer à cette chronique insolite une émission spéciale.
Les miracles quotidiens
C’est un roman situé dans un village tchèque au début du XXe siècle qui s’est classé troisième dans l’enquête de Lidové noviny. Le roman est intitulé Letnice - La Pentecôte et son auteur Miroslav Hlaučo (1967) est un chercheur en biotechnologies. Il écrit depuis son enfance, mais ce n’est que maintenant, à l’approche de la soixantaine, qu’il publie son premier roman. Et c’est une révélation. Il dit :
« Bien que je m’occupe d’une façon indirecte des moyens destinés à guérir les gens, je pense que cela est lié d’une certaine façon à la littérature. La littérature elle-même contribue à guérir les gens, à les rendre meilleurs. La littérature peut leur apporter du calme et l’envie de réfléchir sur eux-mêmes, ce que je considère comme une sorte de thérapie. »
Selon Miroslav Hlaučo, la littérature nous permet de vivre une autre vie même si nous n’avons pas cette possibilité dans la vie réelle. Elle nous donne la possibilité de prendre les chemins que nous ne prendrions pas en réalité. La vie est, pour cet écrivain, pleine de miracles et cela se reflète aussi dans son roman :
« Les miracles ne sont pas les phénomènes suscités par un magicien pour être présentés sur une scène ou sous le chapiteau d’un cirque, mais ce sont les choses que vous rencontrez tous les jours. Cependant, vous ne réalisez que plus tard qu’il s’agissait de miracles. Souvent, ce n’est qu’après avoir réfléchi sur ce qu’une telle chose signifiait que vous vous rendez compte qu’elle était magique. »
Dans son roman, l’auteur nous amène dans un village où les gens sont isolés du monde extérieur et dont les vies sont encore profondément marquées par des coutumes anciennes et des mythes. Cependant, ils commencent à se rendre compte que les temps changent et qu’une nouvelle époque arrive. Le temps des miracles quotidiens prend fin et c’est l’époque des miracles techniques qui s’annonce.
La critique a trouvé dans ce roman beaucoup d’éléments du réalisme magique. D’ailleurs, Miroslav Hlaučo avoue aimer Gabriel García Marquez, le grand représentant de ce courant littéraire. Parmi ses autres auteurs préférés il y a Alejo Carpentier, Edgar Lawrence Doctorow mais aussi Karel Čapek et Vladislav Vančura. La tradition et le progrès sont deux grands thèmes du roman de Miroslav Hlaučo et l’écrivain ne les voit pas comme deux phénomènes antagonistes. Pour lui les deux sont importants et vivants et l’un n’exclut pas l’autre. Il dit : « Moi-même, je suis un conservateur qui aime le progrès et croit en lui. »
Trois ouvrages traduits du français
Ajoutons que parmi les livres les plus souvent cités par les participants à l’enquête se trouvent aussi trois ouvrages écrits en français et traduits en tchèque. Il n’est pas surprenant de trouver parmi ces livres le roman L’identité de Milan Kundera traduit par Anna Kareninová et enfin sorti aux éditions Atlantis, 27 ans après sa parution en France.
Le même écrivain est également le protagoniste d’un livre que son auteure Florence Noiville a intitulé Milan Kundera : Ecrire, quelle drôle d’idée. L’écrivaine et journaliste française qui a côtoyé Kundera au cours du dernier tiers de sa vie, brosse avec sensibilité et tendresse un portrait du grand écrivain qui « a fait vœu de silence médiatique ». La traduction tchèque de son livre est sortie aux éditions Host.
Le troisième livre traduit du français et très remarqué par les participants à l’enquête, est intitulé H. P. Lovecraft : Contre le monde, contre la vie. C’est un essai que Michel Houellebecq a consacré au célèbre auteur américain de la littérature d’épouvante et dans lequel il analyse d’une façon très personnelle l’hostilité de Howard Philips Lovecraft pour le monde moderne et pour la vie en général.